Alouestes – Étape 6 : Une piste dans le désert
Le 3 mai 2023, Tiphaine et son compagnon de voyage Glen, débarquent à Anchorage en Alaska, 7 500 kilomètres à l’ouest – ou Alouestes – de la France.
Depuis, ils roulent à vélo entre les Montagnes Rocheuses et l’océan Pacifique, cap sud vers une destination encore inconnue. D’étape en étape, le binôme s’arrête à des endroits spectaculaires, bien préservé ou, au contraire, menacés par l’impact anthropique. Des sols gelés dans la vallée du Yukon (Canada) aux plateaux désertiques de la Basse-Californie (Mexique), en passant par les glaciers et les forêts de la Colombie-Britannique (Canada), celle de Tiphaine et Glen n’est pas qu’une aventure humaine, mais aussi un périple scientifique.
Pour ce sixième épisode d’Alouestes, quoi de nouveau ?, l’écologue Lynn C. Sweet du Center for Conservation Biology de l’Université de Californie Riverside, alerte sur la fragilité des déserts du sud de la Californie et la perte de biodiversité dans ces régions, plus riches que ce que l’on croit.
Quels services écosystèmes fournis par les déserts risquent de disparaître ? Comment les êtres humains et le changement climatique menacent ces régions ?
« Nous savons que chaque printemps risque d’être le dernier et qu’il sera probablement suivi par une sécheresse historique », s’inquiète Lynn C. Sweet, depuis son bureau du Center for Conservation Biology à Palm Desert, deux heures à l’est de Los Angeles.
Cette unité de recherche de l’Université de Californie Riverside se concentre sur la conservation et la restauration des écosystèmes désertiques : « c’est un véritable défi à relever : la plupart du temps, la terre ici semble être vide, dénudée. Les gens pensent donc que construire des maisons et installer de l’énergie solaire ne pose aucun problème. Alors qu’il faut comprendre l’importance de la biodiversité dans le désert. Elle est en réalité très riche, même comparée à celle des forêts », poursuit la chercheuse.
L’urbanisation galopante, l’installation de panneaux solaires et les dépôts d’oxyde d’azote (NOx), provenants de la pollution atmosphérique de la métropole voisine de Los Angeles, affectent en particulier les sols arides. Le caliche, une couche biologique de sédiments compactés, très fragile, composée de champignons et de bactéries, se brise. Et une fois qu’elle est détruite, le sol s’érode. Cette pellicule représente également un puits de carbone naturel : « si vous perturbez la surface du sol, ce carbone peut se dissoudre et retourner dans l’atmosphère. Il s’agit donc d’un autre service écosystémique du désert », affirme Lynn C. Sweet.
Sauver l’arbre « Yucca brevifolia »
Une partie importante du travail de son équipe de recherche, consiste à collaborer étroitement avec les parcs naturels et les associations locales, qui s’occupent de la protection et de la gestion de la flore et la faune désertique.
« Il y a des plantes et des animaux qui évitent complètement la sécheresse parce qu’ils hibernent et se cachent sous terre pendant la saison sèche. Ils reviennent ensuite à la vie lorsqu’il pleut, en hiver et au printemps, quand les températures sont plus fraîches », explique l’écologue. Même si dans les régions arides du sud-ouest des États-Unis et de l’ouest du Mexique, les espèces s’adaptent très bien à la chaleur, elles ne peuvent rien face aux températures extrêmes provoquées par le réchauffement climatique.
Selon Lynn C. Sweet, la seule solution pour limiter les dégâts est celle de mobiliser davantage la population. Pour cela, il est important de disposer de très beaux exemples dans la nature : « Les gens se soucient des arbres de Joshua (Yucca brevifolia), par exemple. La lutte contre le changement climatique se résume souvent à ce qui préoccupe les gens et à ce qu’ils aimeraient sauver. C’est un bon moteur pour passer à l’action ! »
De l’iconique parc national de Joshua Tree jusqu’aux plaines semi-arides de la péninsule de Basse-Californie au Mexique, la sixième étape d’Alouestes vous emmène à la découverte des écosystèmes désertiques nord-américains !
Galerie photos
Dans ce bassin, on reconnaît des « cactus en tuyaux d’orgue » et des arbres « Boojum ». Alors que le climat et les paysages deviennent de plus en plus secs et chauds, ces bassins offrent des refuges hydrologiques pour les espèces, en raison de l’évaporation de l’eau qui ruisselle ici comme dans un entonnoir. Ces zones sont également des corridors privilégiés pour la faune et la flore, où les coyotes, par exemple, peuvent migrer.
– Lynn C. Sweet
Le Parc national de Joshua Tree s’étend du désert de Sonora au désert de Mojave en Californie : il s’agit d’une zone de transition riche en biodiversité. L’arbre de Joshua – Yucca brevifolia – est toujours candidat à l’inscription sur la liste de la loi californienne sur les espèces menacées. Même si cet arbre s’adapte bien aux sécheresses, il a tendance à changer lentement et, sur le long terme, il pourrait presque disparaître. En 2019, nous avons modélisé son évolution basée sur les scénarios du GIEC : d’un scénario d’atténuation modérée, jusqu’à un scénario dénommé « business as usual ». Résultats : dans le premier cas, nous pourrions assister à une diminution de 80 % de l’habitat de Yucca brevifolia à l’intérieur du parc, dans le deuxième, il ne resterait plus que 1 % des terres favorable à cet arbre.
– Lynn C. Sweet
Il y a deux espèces de colibris sur la photo. Le premier, le colibri de Xantus, est endémique du sud de la Basse-Californie. Le deuxième, le colibri d’Anna, migre entre les États-Unis et le Mexique. Pour protéger leur habitat, il faut diminuer la quantité de terres reconverties et artificialisées, même si ces deux oiseaux peuvent survivre dans certains paysages suburbains. Le fait de voir de jolies images comme celle-ci, aide les personnes à se préoccuper de ces espèces et à agir.
– Lynn C. Sweet
L’élevage et le pâturage existent depuis longtemps dans ce coin du pays. Le pâturage n’est pas toujours compatible avec le paysage : il peut dégrader la couverture végétale, puisque les animaux broutent de manière sélective, ce qui modifie le sol. On voit des vaches, mais il y a aussi des gens qui les accompagnent, et ces personnes n’ont pas forcément l’aide et les informations dont elles ont besoin pour pratiquer l’élevage de manière durable.
– Lynn C. Sweet
Ce lézard occupe une zone légèrement plus fraîche dans le désert : en hauteur, où il y a des grands arbustes et quelques arbres. À cause de son habitat étroit, il s’agit d’une espèce vulnérable. Le Phrynosoma blainvillii se nourrit essentiellement de fourmis moissonneuses : tout impact sur la source de nourriture se répercute également sur le lézard. D’autre part, l’augmentation des températures pourrait réduire la période d’activité quotidienne pendant laquelle le lézard se nourrit.
– Lynn C. Sweet
Les vautours à tête rouge migrent sur de longues distances et traversent une zone assez étroite du sud de la Californie : la région de Borrego. Les vautours sont abondants, ils font partie de l’écosystème et ne se nourrissent que de proies mortes. Ils ne tuent jamais.
– Lynn C. Sweet
Pour en savoir plus
- Alouestes, Étape 1 : Les sols en dégel entre l’Alaska et le Canada, avec le chercheur Antoine Séjourné.
- Alouestes – Étape 2 : La grande fonte des glaciers nord-américains, avec le glaciologue Etienne Berthier.
- Alouestes – Étape 3 : Dans le sillage des grands feux, avec Karen Hodges, biologiste et écologue de la conservation à l’Université de la Colombie-Britannique à Kelowna (Canada) et Juan Cuesta, chercheur en physique de l’atmosphère au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA-IPSL).
- Alouestes – Étape 4 : À travers le grenier des États-Unis, avec Josué Medellín-Azuara, professeur associé au Département d’ingénierie civile et environnementale à l’Université de Californie, à Merced (USA) et Nicolas Vuichard, chercheur CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL)
- Alouestes – Étape 5 : Entre les dunes et les falaises de la côte ouest, avec Judith Gauriau, doctorante à l’université de Californie du Sud (USC) et Gonéri Le Cozannet, spécialiste de risques côtiers au BRGM et co-auteur du volet II du 6ème rapport du GIEC.
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