Alouestes – Étape 2 : La grande fonte des glaciers nord-américains


 

Le 3 mai 2023, Tiphaine et son compagnon de voyage Glen, débarquent à Anchorage en Alaska, 7 500 kilomètres à l’ouest – ou Alouestes de la France.

Depuis, ils roulent à vélo entre les Montagnes Rocheuses et l’océan Pacifique, cap sud vers une destination encore inconnue. D’étape en étape, le binôme s’arrête à des endroits spectaculaires, bien préservé ou, au contraire, menacés par l’impact anthropique. Des sols gelés dans la vallée du Yukon (Canada) à l’immense champ de blé qui semble être l’État de Washington (USA), en passant par les glaciers et les forêts de la Colombie-Britannique (Canada), celle de Tiphaine et Glen n’est pas qu’une aventure humaine, mais aussi un périple scientifique.

Pour ce deuxième épisode d’Alouestes, quoi de nouveau ?, le scientifique Etienne Berthier, glaciologue au CNRS – LEGOS – Observatoire Midi Pyrénées de l’Université de Toulouse et auteur du rapport « La disparition des glaciers plus importante que prévue » (Science, 2023), dialogue avec les clichés capturés sur le chemin par Tiphaine.

100 000 km2 de glaciers dominent le paysage entre l’Alaska, le Yukon et la Colombie-Britannique.

Aux pieds de cette vaste étendue blanche, traversée à vélo par Tiphaine et Glen, l’eau ruisselle de plus en plus bruyamment dans les vallées : la région subit la hausse des températures et la glace fond.

D’après une étude publiée en janvier 2023 sur la revue Science, la fonte s’accélère, en particulier en Alaska et dans le cercle arctique du Canada. Pour accompagner la deuxième étape d’Alouestes, Etienne Berthier, glaciologue basé à Toulouse et coauteur de l’étude, nous livre un diagnostic de l’état de santé des glaciers de la région.

« L’accélération de la fonte de glaces dans ce secteur, s’explique par deux phénomènes : la hausse de températures, qui pilote la perte de masse à l’échelle globale, mais aussi une sécheresse de longue durée. Ces variations décennales de précipitations vont un peu moduler les effets liés à la température », affirme-t-il.

De plus, la survenue régulière d’immenses feux de forêt dans l’ouest du Canada, ces trois dernières années, risque d’accélérer le déclin des glaciers nord-américains : « certains collègues commencent à mesurer l’effet du noircissement de la neige superficielle, conséquence du dépôt de suie lié aux incendies », ajoute Etienne Berthier.

En surplomb sur la côte de l’océan Pacifique, cette longue chaîne montagneuse déverse ses eaux glacées directement dans le Golfe de l’Alaska. Ce qui contribue également à la hausse du niveau marin : avec environ 68 gigatonnes de masse perdue tous les ans, les glaciers de l’Alaska participent de manière significative à la montée des eaux et représentent 25 % de la fonte de tous les glaciers du globe.

Dans cette région sismique, où beaucoup de glaciers se terminent dans des fjords, l’enjeu est aussi celui de se préparer à des éventuels tsunamis, provoqués par des grands blocs de glace détachés.

Pas de risque pour la traversée de Tiphaine, qui a capturé ces vestiges de la dernière grande glaciation, survenue il y a 20 000 ans, quand la moitié du continent était recouverte par une calotte aujourd’hui disparue.

Galerie photos

 

La rivière Matanuska, qui se jette dans l’océan près d’Anchorage (Alaska) et dont les couleurs sont caractéristiques de rivières glaciaires dans la vallée Matanuska-Susitna. © T.Claveau

 

En Alaska, où on compte une grande concentration de glaciers, la fonte est plus rapide qu’ailleurs. Depuis 2010, on a moins d’accumulation de neige sur les glaciers. Cela est dû à la fois au réchauffement climatique, mais aussi à cause d’une sécheresse de longue durée qui influence le taux de précipitations dans cette région.

– E. Berthier

Dans la vallée Matanuska-Susitna, le paysage révèle l’ancienne vallée glaciaire où la rivière Matanuska a creusé dans les résidus du glacier. Le glacier Matanuska, près de 40km de long, s’étend au pied des montagnes Chugach et Talkeetna et avance d’environ 110m par an. © T.Claveau

 

Même si le glacier avance de 110 mètres par an, cela ne veut pas forcément dire que le glacier se porte bien. Un glacier peut perdre de la masse en moyenne, et voir, quand même, son front avancer. En Alaska, notamment, il y a des glaciers qui connaissent des surges – des crues glacières – c’est-à-dire des épisodes d’accélération brutale du glacier. À une accumulation rapide de neige dans la partie haute, s’ensuit un transfert rapide, en l’espace de quelques années, vers le bas. Cela donne l’impression que le glacier avance, mais il s’agit d’un phénomène transitoire. D’où l’importance de mesurer le bilan de masse, au-delà des informations sur l’avancée et le recul des glaciers.

– E. Berthier

Paysage typique de vallée glaciaire en U ou auge glaciaire, avec des flancs abrupts et un fond plat. © T.Claveau

 

À l’époque du dernier maximum glacier, il y a 20 000 ans, la Terre était d’environ quatre à cinq degrés plus froide par rapport à la moyenne d’aujourd’hui. Des énormes calottes, comme l’inlandsis laurentidien ou l’inlandsis de la Cordillère, recouvraient alors une bonne partie de l’Amérique du Nord. Cette vallée devait être entièrement remplie par la calotte.

– E. Berthier

Vue du champ de glace Cambria, dans la vallée de Stewart en Colombie-Britannique (Canada). © T.Claveau

 

Une accélération de la perte des masses de glace, serait potentiellement liée aux dépôts de suie, qui rendent les glaciers de plus en plus sombres, noirs et donc moins réfléchissants pour les rayons de soleil. Par cet effet de noircissement, le glacier absorbe plus de rayonnement solaire et va fondre plus vite.

– E. Berthier

Le glacier Bear et le lac Strohn en contrebas, dans la vallée de Stewart en Colombie-Britannique. Son recul a commencé dans les années 1940 et s’est rapidement accéléré a la fin du siècle dernier. Il s’étendait largement jusqu’au lac Strohn en 2003, et recouvrait autrefois tout le col de la vallée. Le glacier agissait comme un barrage pour le lac, donnant lieu a de puissantes inondations. Le recul du glacier l’a écarté du mur de la vallée en 1967 et, depuis, il ne fait plus office de barrage pour le lac. © T.Claveau

 

Cette photo me fait penser à un autre exemple bouleversant. Le recul des glaciers peut avoir des répercussions inattendues sur les bassins versants. À quelques milliers de kilomètres plus au nord, au Yukon, un lac alimenté par les glaciers, le Lac Kluane, est en train de se vider. Avec le recul, la rivière qui alimentait le lac, situé sur le versant nord, déverse l’eau de fonte vers le sud. Cela entraine une réorganisation de l’hydrologie de la région. Il s’agit d’une conséquence assez marquante du déclin des glaciers.

– E. Berthier

 

Pour en savoir plus

Retrouvez ici le premier épisode d’Alouestes, Étape 1 : Les sols en dégel entre l’Alaska et le Canada, avec le chercheur Antoine Séjourné.

Suivez le parcours de Tiphaine & Glen sur Instagram ou sur le blog de voyage Alouestes !

Daniel Peyronel


ICOM-IPSL