Alouestes – Étape 4 : À travers le grenier des États-Unis
Le 3 mai 2023, Tiphaine et son compagnon de voyage Glen, débarquent à Anchorage en Alaska, 7 500 kilomètres à l’ouest – ou Alouestes – de la France.
Depuis, ils roulent à vélo entre les Montagnes Rocheuses et l’océan Pacifique, cap sud vers une destination encore inconnue. D’étape en étape, le binôme s’arrête à des endroits spectaculaires, bien préservé ou, au contraire, menacés par l’impact anthropique. Des sols gelés dans la vallée du Yukon (Canada) à l’immense champ de blé qui semble être l’État de Washington (USA), en passant par les glaciers et les forêts de la Colombie-Britannique (Canada), celle de Tiphaine et Glen n’est pas qu’une aventure humaine, mais aussi un périple scientifique.
Pour ce quatrième épisode d’Alouestes, quoi de nouveau ?, deux scientifiques, Josué Medellín-Azuara, professeur associé au Département d’ingénierie civile et environnementale à l’Université de Californie, à Merced (USA) et Nicolas Vuichard, chercheur CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL), s’intéressent aux sols de l’Ouest américain, où les éoliennes percent l’horizon doré des champs de blé.
Les reflets verts et dorés dominent le paysage de l’arrière-pays, le long de la côte Ouest américaine, entre l’État de Washington et la Californie. Des champs à perte de vue, des couronnes de noisetiers soigneusement disposées en rangées sans fin…l’ampleur de la puissance agricole des États-Unis – deuxième producteur mondial après la Chine, mais premier exportateur de produits agricoles – défile devant l’objectif de la caméra de Tiphaine.
Grâce aux conditions météorologiques propices et une irrigation naturelle, l’agriculture s’est développée sans trop d’obstacles dans cette partie du pays, en couvrant une portion toujours plus importante de sols. Aujourd’hui, la pression anthropique et l’impact croissant des aléas climatiques, ouvrent le débat sur le maintien ou l’évolution de ce modèle d’agriculture industrielle.
« Le secteur agricole est à la fois contributeur net de gaz à effet de serre et aussi fortement impacté par le changement climatique. Les événements tels que les canicules, les sècheresses ou les épisodes de forte pluie, frappent la croissance des cultures à des moments-clés », analyse Nicolas Vuichard, chercheur CEA au LSCE et spécialiste des flux de carbone et d’azote en particulier dans les écosystèmes agricoles et les zones à forte pression anthropique.
« Un deuxième enjeu majeur, ajoute-t-il, est représenté par le besoin d’espaces et la compétition pour l’usage des terres liée à l’activité agricole. On va de plus en plus vers une optimisation et une diversification des surfaces, comme le montre l’installation des éoliennes et de panneaux solaires au milieu des champs ».
Un dynamisme qui touche déjà certaines régions de l’Ouest américain, ou les mâts des éoliennes poussent parmi les épis de blé. « Dans les États de Washington, de l’Oregon et de Californie, l’agriculture est essentiellement industrielle, mais le paysage agricole évolue rapidement. De nombreux facteurs sont à l’origine de cette évolution : une population croissante, une demande plus importante de produits agricoles, le besoin d’énergie renouvelable », affirme Josué Medellín-Azuara, professeur à l’Université de Californie.
Une gestion rationnée de l’eau et une réduction des émissions de gaz à effet de serre, s’imposent aussi dans un contexte de changement climatique.
Galerie photos
L’État de Washington est l’un des principaux producteurs de blé du pays – il occupe la troisième ou la cinquième place, en fonction des récoltes. La production agricole est stimulée par la demande mondiale de produits alimentaires transformés. À l’arrière-plan, on peut voir les éoliennes, qui répondent au besoin de transition énergétique survenu au cours des 20 dernières années. Dans les collines, il y a quelques pâturages irrigués : le bétail est un important consommateur de cultures.
– J. Medellín-Azuara
Le paysage est dominé par des grandes exploitations céréalières. Les cultures sont plutôt préjudiciables en ce qui concerne le stockage de carbone, par rapport aux prairies ou aux forêts.
– N. Vuichard
Le paysage est assez vide : la population se concentre le long de la côte, dans l’arrière-pays il s’agit essentiellement de production agricole et d’énergie. L’État de Washington est aussi le principal producteur d’énergie hydroélectrique aux États-Unis : il contribue pour 27 % à la production nationale, grâce aux digues situées le long du fleuve Columbia. Cela a pour effet d’altérer les conditions naturelles de circulation des poissons migrateurs, par exemple.
– J. Medellín-Azuara
L’Oregon est à l’origine de 99 % de la production nationale de noisettes (US Department of Agriculture, 2016). La spécialisation dans une seule culture, destinée largement à l’exportation, pose problème avec la multiplication des aléas climatiques. Le changement climatique rend très fragile cette « hyperconcentration » de certaines productions, avec des répercussions économiques à l’échelle mondiale.
– N. Vuichard
Ces cultures sont hautement mécanisées, elles n’ont pas besoin de beaucoup de main-d’œuvre et sont assez rentables. Mais l’irrigation impose des contraintes au système hydrique. Les territoires du Nord sont des régions riches en eau, mais sont touchées par les sécheresses. Ce qui pose problème aussi, c’est que cette région agricole ne cesse de s’étendre, ce qui réduit la marge de manœuvre dans la gestion de l’eau.
– J. Medellín-Azuara
La Californie est un État progressiste, l’attention à l’utilisation de l’eau et aux réglementations en matière d’émissions est très élevée. Il existe, par exemple, une loi qui oblige de surveiller l’équilibre hydrique : les réserves d’eau du sous-sol sont utilisées comme un compte bancaire par les acteurs concernés.
– J. Medellín-Azuara
La vallée centrale de la Californie abrite certaines des villes les plus polluées du pays, dont Bakersfield et Visalia (American Lung Association, 2023). Ce n’est pas seulement dû à l’agriculture industrialisée, mais aussi aux conditions orographiques. Les communautés de travailleurs situées autour de ces exploitations agricoles industrielles accueillent souvent les populations les plus vulnérables et les plus démunies de l’État.
– J. Medellín-Azuara
Les surfaces agricoles sont émettrices de particules qui peuvent avoir un impact sur la composition de l’atmosphère, lié par exemple à l’usage de certains engrais azotés. Les émissions d’ammoniac ont un impact sur la formation de poussières fines, dangereuses pour la santé.
– N. Vuichard
Pour en savoir plus
- Retrouvez ici le premier épisode d’Alouestes, Étape 1 : Les sols en dégel entre l’Alaska et le Canada, avec le chercheur Antoine Séjourné.
- Retrouvez ici le deuxième épisode d’Alouestes – Étape 2 : La grande fonte des glaciers nord-américains, avec le glaciologue Etienne Berthier.
- Retrouvez ici le troisième épisode d’Alouestes – Étape 3 : Dans le sillage des grands feux, avec Karen Hodges, biologiste et écologue de la conservation à l’Université de la Colombie-Britannique à Kelowna (Canada) et Juan Cuesta, chercheur en physique de l’atmosphère au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA-IPSL).
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