Alouestes – Étape 3 : Dans le sillage des grands feux
Le 3 mai 2023, Tiphaine et son compagnon de voyage Glen, débarquent à Anchorage en Alaska, 7 500 kilomètres à l’ouest – ou Alouestes – de la France.
Depuis, ils roulent à vélo entre les Montagnes Rocheuses et l’océan Pacifique, cap sud vers une destination encore inconnue. D’étape en étape, le binôme s’arrête à des endroits spectaculaires, bien préservé ou, au contraire, menacés par l’impact anthropique. Des sols gelés dans la vallée du Yukon (Canada) à l’immense champ de blé qui semble être l’État de Washington (USA), en passant par les glaciers et les forêts de la Colombie-Britannique (Canada), celle de Tiphaine et Glen n’est pas qu’une aventure humaine, mais aussi un périple scientifique.
Pour ce troisième épisode d’Alouestes, quoi de nouveau ?, deux scientifiques, Karen Hodges, biologiste et écologue de la conservation à l’Université de la Colombie-Britannique à Kelowna (Canada) et Juan Cuesta, chercheur en physique de l’atmosphère au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA-IPSL), reviennent sur un été incendiaire en Amérique du Nord.
18 500 000 hectares de forêt ont brûlé au Canada en 2023.
C’est le chiffre ahurissant communiqué par le Centre interservices des feux de forêt du Canada (CIFFC) : un peu plus de la surface forestière de la France hexagonale (Source : Inventaire forestier 2022).
Si les feux de forêt ne sont pas un phénomène nouveau, ce qui frappe aujourd’hui c’est leur intensité et leur taille: « Le problème, ces dernières années, c’est que nous observons des feux beaucoup plus grands et beaucoup plus sévères, en termes de surface brûlée et d’intensité », affirme Karen Hodges, spécialiste des incendies depuis plus de vingt ans.
Les raisons derrière cette recrudescence des incendies, sont directement liées à la gestion des forêts par l’être humain, ainsi qu’aux nouvelles conditions climatiques. « Nous récoltons ce que nous avons semé pendant des décennies en matière de gestion des forêts, affirme la biologiste canadienne, les gens ont supprimé les feux de forêt, de sorte qu’un grand nombre de petits incendies, qui auraient pu se produire pendant des décennies, n’ont pas eu lieu. Ces endroits ont donc accumulé de plus en plus de combustible. Et comme nous avons replanté principalement des monocultures, composées d’une seule espèce et relativement denses, tout cela est devenu un extraordinaire combustible connecté. L’autre facteur est le « climat du feu » : la combinaison de la chaleur et de la sécheresse. Si un feu se déclare, le combustible sera très chaud et sec. »
Les écosystèmes brûlés nécessitent de plusieurs décennies avant de se rétablir, car les feux dégradent la qualité de l’eau, amplifient les phénomènes d’érosion et menacent la capacité d’une forêt de se régénérer. Et les conséquences sont parfois tangibles à des milliers de kilomètres.
« La fumée monte et, selon la hauteur atteinte, elle va se disperser et être transportée par le vent sur des centaines et voire plusieurs milliers de kilomètres. Si ces panaches redescendent, elles peuvent affecter la qualité de l’air, comme nous l’avons vu cet été à Chicago ou à New York », explique, de son côté, Juan Cuesta, spécialiste des fumées et de ses effets sur l’atmosphère.
Au guidon de son vélo, Tiphaine a parcouru les cicatrices gravées par les grands incendies qui ont ravagé, ces dernières années, la côte ouest de l’Amérique du Nord.
Galerie photos
Les taches noires, très foncées, sont les endroits où le feu a brûlé plus sévèrement. Les taches rouges montrent les arbres qui n’ont pas survécu à l’incendie, mais qui n’ont pas complètement brûlé. Il reste donc quelques aiguilles sur ces arbres. Au centre de l’image, les taches vertes : il s’est manifestement passé quelque chose pour que l’incendie n’atteigne pas cette zone. Il s’agit d’une forêt résiduelle importante, que les animaux pourront utiliser jusqu’à ce que le reste du site commence à se régénérer en un habitat utile. Ce paysage fragmenté est assez courant après les grands incendies.
– K. Hodges
C’est un sujet qui préoccupe beaucoup les spécialistes des incendies. Chaque arbre mort ici est un combustible. Cette zone pourrait facilement brûler à nouveau. Les combustibles vivants sont plus humides, car les corps végétaux contiennent de l’eau, mais tous ces arbres morts sur pied sont des combustibles secs. Le risque est réel.
– K. Hodges
La configuration de ce qui a brûlé et de ce qui n’a pas brûlé peut parfois être naturelle, mais elle peut aussi être déterminée par les efforts des pompiers. Aux abords de la ville, les pompiers ont certainement été très actifs pour éviter que l’incendie ne se dirige vers les maisons.
– K. Hodges
La fumée monte en fonction de la chaleur dégagée par les feux. C’est un effet de brassage et de mélange, qui s’appelle pyroconvection : le feu chauffe l’air et cet air, plus chaud et léger par rapport à l’environnement autour, se déplace et a tendance à monter. La hauteur atteinte par les fumées dépend aussi de la stabilité de l’atmosphère.
– J. Cuesta
Certaines plantes peuvent repousser, car le feu n’atteint pas les racines. D’autres plantes sont très douées pour disperser les graines : l’épilobe à feuilles étroites en fait partie. Elle adore les environnements ensoleillés et fraîchement perturbés, car ses graines se répandent partout. Il s’agit d’une stratégie d’adaptation.
– K. Hodges
D’autres espèces adoptent la stratégie de la Fireweed. Même les conifères. Certains d’entre elles ont des cônes recouverts d’une épaisse couche de cire, la chaleur les ouvre et les nouvelles graines se développent très bien. Les cônes sérotineux en sont un bon exemple.
– K. Hodges
La campagne Smokey Bear est bien connue, mais elle est aussi trompeuse, puisqu’elle met l’accent sur l’origine humaine des incendies. De nombreux feux sont provoqués par la foudre. Il y a tellement d’autres actions que nous faisons, qui affectent comment, quand et où un feu brûle, que se concentrer sur le déclenchement est une erreur. Surtout au regard de ce que nous avons vécu ces dernières années, avec le nombre record d’incendies. Ce personnage est immensément populaire, il a son propre code postal aux États-Unis, mais l’héritage de sa campagne publicitaire, certes réussie, est négatif.
– K. Hodges
En général, l’étincelle dans ces zones sont les éclairs. Les feux se propagent à raison de plusieurs kilomètres par jour, ce qui brûle énormément de combustible. Les incendies sont des événements sporadiques, difficiles à modéliser et à prévoir, donc c’est difficile de les intégrer à des modèles climatiques.
– J. Cuesta
Ces arbres ne brûlent que très rarement. Les forêts côtières représentent d’énormes quantités de combustible, mais elles sont souvent humides. Quand ces feux ont éclaté, il y avait une sécheresse exceptionnelle et les vents soufflaient des montagnes, chassant l’humidité vers le large.
– K. Hodges
De nombreux animaux meurent, d’autres fuient, d’autres encore restent dans la zone de l’incendie et cherchent un abri, au sommet d’un arbre, sous la terre ou dans des étendues d’eau… Et puis, il y a ces animaux qui sont attirés par les conditions post-incendies, comme certains coléoptères, qui consomment les arbres morts. Les pics viennent manger les coléoptères et aiment nicher dans les arbres. Mais il ne s’agit là que d’une poignée d’espèces.
– K. Hodges
Pour en savoir plus
Retrouvez ici le premier épisode d’Alouestes, Étape 1 : Les sols en dégel entre l’Alaska et le Canada, avec le chercheur Antoine Séjourné.
Retrouvez ici le deuxième épisode d’Alouestes – Étape 2 : La grande fonte des glaciers nord-américains, avec le glaciologue Etienne Berthier.
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