L’acidification de l’océan observée dans le bassin du Mozambique et le courant des Aiguilles
Une analyse basée sur les observations océaniques conduites au cours des récentes campagnes OISO et RESILIENCE dans l’océan Indien sud-ouest en 2021 et 2022, accompagnée de données historiques, montre l’existence d’une diminution du pH de l’ordre de -0.020 par décennie depuis 30 ans. En 2021, le pH était 0.11 plus faible que dans les années 1960s. Ce phénomène d’acidification, jusqu’alors peu évalué dans cette région, est piloté par l’accumulation de CO2 d’origine anthropique et le réchauffement de l’océan. Cette étude menée par les équipes du LOCEAN et de l’unité MARBEC est publiée ce mois-ci dans la revue Deep-Sea Research (Metzl et al., 2025).
En janvier 2021 et avril-mai 2022 deux campagnes océanographiques ont été conduites à bord du Marion-Dufresne dans l’océan indien sud-ouest et la zone du courant des Aiguilles le long des côtes africaines. Ces nouvelles observations répétaient, en partie, celles de campagnes historiques dans cette région permettant d’estimer les évolutions temporelles du CO2 dans les eaux de surface et la colonne d’eau, celles des échanges air-mer de CO2 et du pH tant dans les zones de l’océan ouvert que dans les zones côtières.
Depuis 1963, les activités anthropiques ont émis un total de 480 PgC dans l’atmosphère (Friedlingstein et al., 2024) conduisant à une augmentation des concentrations dans l’air de 315 ppm en 1963 à 420 ppm en 2022. Une partie de ces émissions, environ 25%, est captée dans les océans augmentant progressivement sa concentration en CO2 et diminuant le pH ; on parle ici d’acidification des océans, un phénomène qui peut avoir des impacts sur les écosystèmes marins, en particulier les coraux qui peuplent de nombreux sites dans l’océan Indien Ouest et le canal du Mozambique (îles Eparses). Il faut noter que l’estimation de l’évolution des flux de CO2 est encore incertaine dans les zones côtières en raison de la forte variabilité du cycle du CO2 dans ces régions (e.g., Resplandy et al., 2024). Les nouvelles observations de 2022 conduites dans le cadre de la campagne RESILIENCE montrent en effet une distribution de fCO2 des eaux de surface très variable dans le canal du Mozambique, le bassin du Mozambique et dans les zones côtières africaines. Toutefois, les mesures de fCO2 indiquent qu’en avril-mai 2022 l’océan agissait en qualité de puits de CO2 (figure 1) confirmant de précédentes études.

Figure 1. Trajet de la campagne RESILIENCE conduite en Avril-Mai 2022 à bord du Marion-Dufresne. Les couleurs correspondent aux mesures de la fugacité de CO2 (fCO2) dans les eaux de surface. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère approchant 420 ppm actuellement, les zones en bleu, vert et jaune indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2. Ces données sont utilisées pour estimer le pH. Adapté de Metzl et al. (2025).
Les nouvelles données indiquent aussi que le puits océanique de CO2 a augmenté depuis les années soixante conduisant à une augmentation des concentrations de CO2 et une diminution de pH dans les eaux de surface et dans la colonne d’eau. L’analyse indique que le pH a diminué de façon significative tant dans la zone de l’océan ouvert que dans les zones côtières (figure 2). Bien que les variabilités spatiale et saisonnière soient prononcées dans les zones côtières proches du puissant courant des Aiguilles, l’étude indique une diminution de pH qui est en grande partie liée à l’accumulation de CO2 anthropique dans l’océan et, à environ 10%, au réchauffement de l’océan.

Figure 2. Distribution de pH dans la zone du bassin de Mozambique et la zone côtière déduite des observations de fCO2 de 1963 à 2023. Le code couleur indique l’année. Dans les années récentes (en rouge), le pH est faible comparé aux années 1960 (bleu) ou 1990 (vert). Cela témoigne de l’acidification de l’océan. La carte en inséré indique les trajets des campagnes sélectionnées issues de la base SOCAT (Bakker et al., 2016). Adapté de Metzl et al. (2025).
Etant donné que la tendance à la diminution de pH semble s’accélérer sur les années récentes, comme cela avait été observé dans le canal de Mozambique (Lo Monaco et al., 2021), ces nouveaux résultats appellent à poursuivre les observations dans ces régions, comme annoncé dans le cadre des programmes internationaux IIOE-2 (https://iioe-2.incois.gov.in) et BRIDGES (https://www.bridges-wio.com/fr/).
Pour en savoir plus
Article
Metzl, N., C. Lo Monaco, G. Barut and J.-F. Ternon: Contrasting trends of the ocean CO2 sink and pH in the Agulhas current system and the Mozambique Basin, South-Western Indian Ocean (1963-2023). Deep Sea Research Part II: Topical Studies in Oceanography, 105459, https://doi.org/10.1016/j.dsr2.2025.105459, 2025.
Références
- Bakker, D. C. E., et al., 2016. A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, https://doi:10.5194/essd-8-383-2016.
- Friedlingstein, P., et al. Global Carbon Budget 2024, Earth Syst. Sci. Data Discuss. [preprint], https://doi.org/10.5194/essd-2024-519 in review, 2024.
- Lo Monaco, C., Metzl, N., Fin, J., Mignon, C., Cuet, P., Douville, E., Gehlen, M., Trang Chau, T.T., Tribollet, A., 2021. Distribution and long-term change of the sea surface carbonate system in the Mozambique Channel (1963-2019), Deep-Sea Research Part II, https://doi.org/10.1016/j.dsr2.2021.104936.
- Resplandy, L., Hogikyan, A., Müller, J. D., Najjar, R. G., Bange, H. W., Bianchi, D., et al.., 2024. A synthesis of global coastal ocean greenhouse gas fluxes. Global Biogeochemical Cycles, 38, e2023GB007803. https://doi.org/10.1029/2023GB007803
Contacts
- Nicolas Metzl, LOCEAN-IPSL • nicolas.metzl@locean.ipsl.fr
- Claire Lo Monaco, LOCEAN-IPSL • claire.lomonaco@locean.ipsl.fr
- Jean-François Ternon, IRD • jean-francois.ternon@ird.fr