La qualité de l’air dans les projections du GIEC
Sophie Szopa est chercheuse au LSCE-IPSL et auteure principale et coordinatrice du chapitre du GIEC sur les forceurs climatiques de courte durée de vie. Cela comprend un ensemble de composés ayant un effet réchauffant ou refroidissant sur le climat mais restant relativement peu de temps dans l’atmosphère, comme le méthane, les aérosols ou encore des précurseurs d’ozone troposphérique. Sophie Szopa discute du nouveau rapport du GIEC et souligne l’importance que les politiques de réduction de pollution de l’air soient prises en compte dans les projections climatiques.
L’une des particularités de ce nouveau rapport AR6 du GIEC sorti le 9 août est d‘analyser l’effet des politiques d’amélioration de la qualité de l’air dans les projections climatiques et celui des politiques d’atténuation du changement climatique sur la qualité de l’air. Les premières vont agir directement sur les aérosols, leurs précurseurs et ceux de l’ozone tandis que les secondes vont viser à réduire le méthane et, en s’attaquant aux activités émettrices de gaz à effet de serre et en premier lieu le CO2, vont également conduire à une baisse indirecte des polluants co-émis par ces activités. Les cinq scénarios illustratifs utilisés dans le cadre de ce rapport couvrent une gamme de réchauffement large allant à la fin de ce siècle d’un réchauffement centré autour de 1.4°C à 4.4°C. Ces trajectoires sont principalement déterminées par l’évolution des émissions futures de CO2. L’évolution des autres gaz à effets de serre et des aérosols vont néanmoins moduler ces trajectoires. Dans ces 5 scénarios, les évolutions futures des émissions des forceurs à courtes durées de vie devraient augmenter le réchauffement global. Ce réchauffement supplémentaire serait causé soit par la réduction des aérosols – dont l’effet net est refroidissant – pour améliorer la qualité de l’air, soit, dans le cas de scénarios basées sur des hypothèses plus laxistes, par une augmentation de méthane, d’ozone ou d’hydrofluocarbures (HFC).
« Nous indiquons à la fin du résumé pour décideurs que décarboner nos économies et donc sortir des combustibles fossiles implique des bénéfices pour la qualité de l’air, c’est mécanique et c’est un fait établi. Mais ce n’est pas suffisant, dans de nombreuses régions du monde, pour atteindre un niveau de qualité de l’air correspondant aux recommandations de l’OMS et il faut y ajouter des politiques de réduction de la pollution » affirme Sophie Szopa. Les politiques mises en place ou envisagées pour réduire la pollution de l’air, et donc la concentration d’aérosols, entraînent un réchauffement additionnel. Néanmoins, le climat ne se limite pas à la température et les aérosols ont également un effet sur les précipitations donc réduire leur quantité permet de réduire leur impact sur le cycle hydrologique en plus de l’énorme bénéfice en terme de santé publique que constitue leur baisse dans les régions anthropisées. « Le levier du méthane peut partiellement le compenser » pointe Sophie Szopa. De par la courte durée de vie du méthane et des aérosols, leurs impacts respectifs sur la température peuvent partiellement s’équilibrer. Le méthane est un gaz à effet de serre de courte durée de vie mais il est aussi impliqué dans la formation d’ozone troposphérique, et de fait lié aux questions de qualité de l’air. De fortes, rapides et durables réductions des émissions de méthane auront un impact bénéfique à la fois sur le réchauffement global du climat et sur la qualité de l’air.
“From a physical science perspective, limiting human-induced global warming to a specific level requires limiting cumulative CO2 emissions, reaching at least net zero CO2 emissions, along with strong reductions in other greenhouse gas emissions. Strong, rapid and sustained reductions in CH4 emissions would also limit the warming effect resulting from declining aerosol pollution and would improve air quality.” – IPCC, Summary for Policy Makers
« Il est important de garder à l’esprit que l’on peut être dans des scénarios de fortes émissions de gaz à effet de serre mais à faible émission de composés polluants, parce que ce sont des hypothèses prises quasiment indépendamment l’une de l’autre. Des pays peuvent continuer à se développer économiquement grâce aux énergies fossiles mais faire le choix d’une meilleure santé de leurs citoyens en mettant l’accent sur une politique de réduction de ces polluants » ajoute Sophie Szopa. C’est pourquoi les scénarios évalués par le GIEC prennent en compte une large gamme de possibilités sur l’évolution des émissions de ces polluants à courte durée de vie.
L’impact de ces polluants sur la santé humaine est incontestable. Mais concernant l’évolution de leur concentration dans l’air, il y a encore plusieurs scénarios possibles dépendant de l’ampleur des politiques de réduction de la pollution de l’air. « Cela dépend des narratifs qui se cachent derrière chacun des scénarios, c’est pour cela que sur cette question de pollution il y a un intérêt évident d’avoir non plus des scénarios de type RCP comme précédemment mais des scénarios de type SSP, prenant en compte les enjeux socio-économiques et les choix des pays » conclut Sophie Szopa. Le rapport met d’ailleurs en avant que les scénarios combinant une réduction des gaz à effet de serre et de la pollution montre une meilleure amélioration de la qualité de l’air pour le moyen terme (2040 et plus).
Qui est le GIEC ?
Créé en 1988 par l’ONU, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a pour mission d’étudier le changement climatique, ses causes physiques, les risques climatiques qu’encourent les sociétés des pays en voie de développement et des pays développés dans un futur proche et moyen, et les moyens d’atténuer ce changement climatique. L’organisme a été fondé par deux institutions de l’ONU : l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Pour ce premier groupe de travail du rapport AR6 qui s’intéresse aux bases physiques, ce sont 234 chercheurs qui ont analysés l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet pour présenter cette première évaluation. Les deux évaluations suivantes prévues pour 2022 seront respectivement concentrées sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité et enfin l’atténuation.
Pour aller plus loin :
En apprendre plus sur les Composés organiques volatils biogéniques avec Juliette Lathière
Qui sont les forceurs climatiques de courte durée de vie dans l’atmosphère avec Didier Hauglustaine
Pour tout savoir sur l’ozone
Comprendre la différence entre les scénarios RCP (Representative Concentration Pathways) et SSP (Shared Socio-economic Pathways) avec Céline Guivarch, Le climat en questions
Retrouvez toute la série Détour vers le futur – L’IPSL à l’heure du GIEC