Cocktail de gaz à courte durée de vie


L’atmosphère abrite de nombreux gaz et composés différents qui interagissent entre eux et impactent le bilan radiatif de la Terre. Comprendre ces interactions et leurs évolutions futures est un enjeu de taille pour les chercheurs qui associent des modèles climatiques avec des aspects de chimie atmosphérique pour obtenir une meilleure image de ces mécanismes. Didier Hauglustaine, chercheur au LSCE-IPSL, présente la complexité de ces interactions et pourquoi elles intéressent les chercheurs en sciences du climat.

L’atmosphère est un immense cocktail de composés et gaz, naturels ou relâchés par les activités humaines, réagissant éventuellement entre eux pour créer de nouveaux composés. Ils ont tous une durée de vie différente. Certains comme le CO2 restent une centaine d’années dans l’atmosphère, d’autres comme le méthane une dizaine d’années et d’autres encore pour qui le voyage se compte plutôt en semaines ou en jours comme les aérosols ou d’autres gaz. Ces derniers font partie de ceux nommés à courte durée de vie, et à travers leurs interactions dans l’atmosphère ils sont un point d’étude central pour comprendre l’évolution du bilan radiatif de la Terre.

Les émissions de précurseurs (CO, NOx, hydrocarbures) sont liées directement aux activités anthropiques à travers la combustion de ressources fossiles ou les activités agricoles et industrielles. Elles induisent la production d’ozone dans la couche basse de l’atmosphère, appelée la troposphère, et entraînent une pollution néfaste pour la santé humaine. La production d’ozone et son évolution implique un ensemble de paramètres interconnectés rendant complexe l’estimation de son impact sur le climat. Aussi, les politiques de réduction de la pollution et donc de réduction des précurseurs ont étés souvent peu prises en compte dans les scénarios d’évolution du climat de la Terre.

« On le voit avec les tendances récentes, notamment en Chine, où les estimations de l’évolution des émissions ne rendent pas nécessairement compte correctement des concentrations de polluants observées aujourd’hui » indique Didier Hauglustaine, chercheur au LSCE-IPSL sur la modélisation de la composition chimique de l’atmosphère. « Nous travaillons aujourd’hui sur les modèles de climat pour prendre en compte de manière de plus en plus complète et interactive la chimie de la troposphère et de la stratosphère, en particulier grâce au modèle INCA » ajoute-t-il.

Prendre en compte la qualité de l’air

Ces aspects de qualité de l’air commencent alors à être inclus dans les modèles du climat, en associant des modèles qui simulent les interactions des composés chimiques de l’atmosphère et des modèles du système climatique. « Un couplage étroit est réalisé entre la biosphère, la chimie atmosphérique, les aérosols, et leurs interactions avec le rayonnement solaire et infrarouge dans le modèle LMDZ du climat et les perturbations que cela implique sur le climat » précise Didier Hauglustaine. Cela marque un tournant pour obtenir des modèles de climat de plus en plus réalistes car les politiques mises en place et la législation pour limiter la pollution de l’air impacte nécessairement la concentration des gaz radiativement actifs et des aérosols. L’intégrer dans les modèles de climat apporte des estimations plus précises des différents forçages radiatifs et ouvre la porte à des scénarios d’évolution du climat plus réalistes, notamment pour ceux utilisés par le GIEC.

«Il est essentiel de prendre en compte les aérosols et l’ozone troposphérique pour estimer précisément l’évolution du climat sur les prochaines décennies et sur le long terme se sont plutôt les gaz à effet de serre de longue durée de vie qui dominent ce forçage radiatif » explique le chercheur. Des questionnements se portent aussi sur le méthane, un gaz à effet de serre puissant mais à relativement courte durée de vie. Il n’est pas seulement émis lors de l’utilisation des combustibles fossiles, mais est aussi produit par les zones inondées et notamment les marécages et les rizières, et participe à la production d’ozone troposphérique. « Le méthane est un gaz important dans la lutte pour limiter le réchauffement, et englobe à lui seul de nombreuses incertitudes et divergences entre les chercheurs liées aux émissions mais aussi à sa destruction dans l’atmosphère» souligne Didier Hauglustaine. Etudier comment le méthane contribue à l’ozone troposphérique représente alors un point central pour les recherches, notamment au LSCE.

Quelles évolutions ?

Les interactions des gaz atmosphériques sont complexes à percevoir, et un point difficile à quantifier intéresse particulièrement les chercheurs : l’évolution du pouvoir oxydant de l’atmosphère. Les précurseurs entraînent la production d’ozone dans la troposphère et l’ozone est à l’origine de la production d’une molécule clé, le radical hydroxyle OH. Dans l’atmosphère celui-ci oxyde la plupart des polluants gazeux et notamment le méthane. Plus le radical oxydant sera présent en grande quantité dans l’atmosphère plus les autres gaz polluants seront détruits, et donc leur impact sur le bilan radiatif, dans le cas par exemple du méthane, se verra réduit.

Mais inversement, moins d’ozone signifie moins de radical hydroxyle OH et donc plus de gaz à effet de serre comme le méthane. Dans le même temps pour des raisons de santé publiques, le but est de réduire la pollution d’ozone. Suivre l’évolution de ce pouvoir oxydant de l’atmosphère est donc essentiel pour comprendre au mieux l’évolution du bilan radiatif dans sa globalité. « Comprendre comment ce pouvoir oxydant de l’atmosphère évolue et va évoluer dans le futur est délicat, et les modèles divergent sur ce point » souligne Didier Hauglustaine. Ce sont en effet des paramètres qui dépendent à la fois de la chimie atmosphérique mais aussi du climat, du rayonnement solaire et donc des nuages, ou encore de la vapeur d’eau et de la température .

Un autre point que les chercheurs souhaitent éclairer concerne l’évolution du cycle de l’azote. L’impact humain sur le cycle de l’azote est conséquent et essentiellement à travers les pratiques agricoles. « Trois gaz importants sont concernés : le protoxyde d’azote (N20), les oxydes d’azote et l’ammoniac (NH3) qui participe à la production de nitrates » indique le chercheur. Et estimer l’évolution, particulièrement de l’ammoniaque, n’est pas chose facile. Cela est directement lié à nos régimes alimentaires à travers les engrais utilisés pour l’agriculture et impacte le climat. « Nous essayons d ‘avoir une meilleure prise en compte interactive du cycle de l’azote dans les modèles, notamment en associant le modèle de végétation ORCHIDEE qui nous permet de calculer les émissions liées à l’agriculture » ajoute Didier Hauglustaine.

Les modèles de végétation comme ORCHIDEE à l’IPSL sont aussi utilisés pour étudier les émissions de composés organiques volatils biogéniques. Ce sont des émissions naturelles mais affectées par les activités humaines via l’utilisation des sols. Ces composés et leur participation à la création d’ozone sont un point d’étude essentiel pour le climat actuel et son évolution future et sont étudiés de près dans les modèles climatiques. Le couplage de modèles atmosphère-climat-biosphère aidera à mieux comprendre ces interactions et leurs répercussions sur le bilan radiatif de la Terre. Ce sont par ailleurs des sujets attendus dans le prochain rapport du GIEC à venir à l’été 2021.

 

Pour en savoir plus sur les aérosols : Le climat en questions : Comment les aérosols atmosphériques modifient-ils le climat ?

Pour en savoir plus sur l’ozone : Le climat en questions : Comment l’ozone influence-t-il le système climatique ?

Didier Hauglustaine


LSCE-IPSL