Comprendre l’impact climatique des nuages


Les nuages sont un point complexe de l’étude de l’évolution de notre climat et restent une incertitude importante pour les climatologues dans leur effet de rétroaction. De gros nuages d’orages ou de fins petits filets dans un ciel clair ont un effet très différent sur le bilan radiatif. Pour les projections climatiques, mieux comprendre la formation des champs de nuages et comment cela est impacté par le réchauffement des surfaces et de l’atmosphère est un nœud essentiel à résoudre pour comprendre plus précisément l’amplitude du changement climatique en cours.

Les nuages sont un des plus gros défis concernant les sciences du climat, pour estimer comment les nuages vont se comporter dans un climat plus chaud et si cela risque d’amplifier ou de réduire la voilure du changement climatique. Ils jouent un rôle considérable dans le transport de chaleur et donc sur le bilan radiatif de la Terre. Mais en fonction de leur forme, leur structure horizontale et verticale ou leur composition, les différents types de nuages ont des impacts variés. Certains accentuent ce réchauffement en bloquant le rayonnement infrarouge émis par la Terre et maintiennent cette énergie dans l’atmosphère. D’autres l’amoindrissent, en réfléchissant vers l’espace le rayonnement solaire sans qu’il n’atteigne le système Terre. Les climatologues parlent respectivement de rétroactions positives ou négatives. Le rôle des nuages est central pour comprendre l’équilibre entre le gain et la perte de chaleur du système climatique et estimer précisément l’amplitude du réchauffement climatique.

Les incertitudes qui entourent encore les nuages s’expliquent d’une part par des observations difficiles : les instruments de mesure sont en général soit précis mais très localisés, soit globaux mais moins précis. Et d’autre part, les modèles de climat ne disposent pas de mailles suffisamment petites pour représenter les mécanismes de petite échelle comme la convection et la microphysique, essentiels dans la compréhension du cycle de vie des nuages. L’amélioration de notre compréhension et de la représentation des processus nuageux qui contrôlent leur rétroaction est ainsi primordiale pour des prévisions fiables du changement climatique.

Néanmoins, les observations spatiales accompagnées de nouvelles méthodologies donnent une vue globale ​​des nuages sur une longue période. Les propriétés des cirrus (nuages de glace) sont particulièrement bien identifiées par les sondeurs mesurant dans le spectre infrarouge. A partir de ces mesures, Claudia Stubenrauch, chercheuse au LMD-IPSL, et son équipe ont développé des jeux de données des propriétés nuageuses. Ceux-ci contiennent par exemple leur altitude, température et épaisseur optique (ou émissivité), ainsi que les propriétés microphysiques des cirrus, et sont distribués par le Centre National de données pour l’atmosphère (AERIS).

Les nuages de glace dans la haute troposphère

Claudia Stubenrauch s’intéresse plus particulièrement aux nuages de la haute troposphère. Ils sont abondants sous les tropiques et jouent un rôle crucial dans le système climatique en modulant le bilan énergétique et le transport de chaleur, affectant ainsi la circulation atmosphérique et la répartition de précipitation. Leur altitude peut atteindre jusque 18 km lorsqu’ils atteignent la tropopause, couche entre la troposphère (couche basse de l’atmosphère) et la stratosphère. La formation de ces nuages constitués des cristaux de glace est souvent liée au mouvement de convection d’un nuage d’orage. « On les appelle aussi enclumes, car la tour convective monte en altitude puis s’étale horizontalement lui donnant cette forme caractéristique d’une enclume » illustre la chercheuse.

Quand la convection est intense, ces enclumes peuvent atteindre un étendu horizontal de plusieurs centaines de km2. De plus, des cirrus plus fins créés par glaciation in situ à ces températures très froides semblent plus fréquents autour de ces systèmes, car leur environnement est plus humide. L’étude exhaustive de ces processus nécessite une description complète 3D de ces systèmes nuageux ainsi que leur suivi dans le temps. « La microphysique des nuages de glace est aussi complexe, avec une grande variabilité de forme et de taille des cristaux et aussi de leur vitesse de chute. Les premières influant directement l’effet radiatif et la dernière leur durée de vie » constate-elle. Cela dit, ces paramétrisations ont pu être améliorées dans le modèle de climat du LMD grâce à la synthèse de résultats d’un grand nombre de mesures par avion et au sol.

Systèmes nuageux en 3D

La compréhension du rôle de la convection sur la rétroaction des nuages reste l’un des plus grands défis du World Climate Research Program (WCRP). Le groupe de travail international GEWEX UTCC PROES, coordonné par Claudia Stubenrauch et Graeme Stephens, se focalise en particulier sur la compréhension de la rétroaction des systèmes de nuages convectifs. Un des enjeux principaux est de créer de nouveaux jeux de données et méthodes d’analyse pour mieux évaluer la représentation de processus dans les modèles. Et pour avancer dans la compréhension des rétroactions des nuages hauts, un élément clé est le taux de chauffage radiatif. Il est déterminé en connaissant la structure verticale de ces nuages (étendue verticale, profils du contenu en glace et de la taille des cristaux de glace, l’altitude de changement de phase).

Les mesures à partir de sondeurs ‘infrarouge’ couvrent à une heure locale spécifique presque le globe entier mais ne peuvent pas traverser les nuages et n’apportent pas d’information sur cette structure verticale. L’association des mesures spatiales de radar et lidar la visualise, mais qu’à travers des traces très étroites et séparées d’environ 2500 km. L’idée est alors de combiner les mesures des différents instruments pour compléter les lacunes de chacun et obtenir une vue complète. Les techniques d’intelligence artificielle (‘machine learning’) sont ici un outil très utile pour compléter l’image partielle des observations. « En analysant des systèmes nuageux nous essayons de mieux comprendre le lien entre convection, propriétés d’enclume et leur effet sur l’atmosphère. Ces systèmes sont reconstruits en groupant les mesures adjacentes d’une même altitude et en distinguant les cœurs convectifs des enclumes et des cirrus fins par l’épaisseur optique » précise Claudia Stubenrauch. De plus, les séries temporelles révèlent un lien entre l’échauffement de la haute et moyenne troposphère par les systèmes convectifs dans les régions chaudes et le refroidissement dans la basse atmosphère par les nuages bas dans les régions de subsidence.

Dans l’ensemble cela est essentiel pour avancer la compréhension de ce qu’un climat plus chaud peut signifier pour la dynamique des nuages et leur rétroaction. Cela fait partie des recherches qui nourrissent les rapports du GIEC et notamment celui publié le 9 août 2021, « Climate Change 2021 : The Physical Science Basis ».

 

Pour en savoir plus :

Jeux de données des propriétés nuageuses à partir des observations spatiales

https://climatedataguide.ucar.edu/climate-data/cloud-dataset-overview

Stubenrauch, C. J., A. G. Feofilov, E.-S.Protopapadaki, and R. Armante, Cloud climatologies from the InfraRed Sounders AIRS and IASI: Strengths and Applications, Atmosph. Chem. Phys., 17, 13625-13644, doi :10.5194/acp-17-13625-2017, 2017.

 

Etudes systèmes nuageux

Stubenrauch, C. J., Caria, G., Protopapadaki, S. E., and Hemmer, F.: 3D radiative heating of tropical upper tropospheric cloud systems derived from synergistic A-Train observations and machine learning, Atmos. Chem. Phys., 21, 1015–1034, https://doi.org/10.5194/acp-21-1015-2021, 2021.

Stubenrauch, C. J., M. Bonazzola, S. E. Protopapadaki, and I. Musat, New cloud system metrics to assess bulk ice cloud schemes in a GCM, J. Advanc. Model. Earth Sys., 11, DOI: 10.1029/ 2019MS001642, 2019.

 

Claudia Stubenrauch


LMD-IPSL