La version 2025 de la base internationale SOCAT de CO2 océanique
La dernière version de la base internationale de données SOCAT (Surface Ocean CO2 Atlas) a été rendue publique le 5 juin 2025. Cette base, qui rassemble près de 50 millions d’observations du dioxyde de carbone dans les eaux de surface de l’océan mondial, est le fruit d’une collaboration internationale initiée en 2007 et à laquelle participe le Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL/OSU Ecce Terra, SU/CNRS/MNHN/IRD).
L’océan, par sa capacité à absorber chaque année environ 25 % des émissions anthropiques de CO2 et plus de 90% de la chaleur en excès, joue un rôle crucial pour réguler le changement climatique. Sur environ 750 PgC (Peta-gramme de Carbone) injectés par les activités humaines depuis 1750, on estime que l’océan en a absorbé 200 PgC (Friedlingstein et al., 2025), limitant l’impact des émissions de CO2 anthropique sur le changement climatique. Sans ce puits de carbone océanique, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait aujourd’hui d’environ 526 ppm contre 426 ppm observée en moyenne globale en Janvier 2025. Mais il faut constater que l’accélération du CO2 atmosphérique ne suit pas la trajectoire recommandée pour limiter le réchauffement à 2°C ; l’accroissement de CO2 était de +3.77 ppm au cours de l’année 2024 (Lan et al., 2025), bien plus élevé que les records de +2.8 ppm/an identifiés durant les années El Niño en 1987 ou 1998. Pour quantifier le puits de carbone océanique il est nécessaire de disposer d’observations de CO2 océanique précises et, si possible, dans tous les secteurs océaniques et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable dans le temps et l’espace, et suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou les zones côtières. Tel est l’objectif de la base de données SOCAT de CO2 océanique, initiée lors d’un workshop à Paris (Metzl et al., 2007) et régulièrement actualisée depuis 2011 (Bakker et al., 2016).
La version 2025 s’est enrichie de nouvelles données qualifiées provenant de 495 campagnes océanographiques, navires d’opportunité, capteurs sur mouillages ou sur plateformes dérivantes (figure 1). À noter le faible nombre de données recueillies récemment dans l’Océan Indien ou les zones océaniques de l’hémisphère sud. Un effort doit être porté dans les années à venir pour mieux documenter ces zones et mieux contraindre les modèles de reconstruction des champs de CO2 utilisant la base SOCAT (figure 2). Depuis la première version de 2011 qui rassemblait 6.3 millions de données (Pfeil et al., 2013), SOCAT contient à ce jour près de 50 millions d’observations de la fugacité de CO2 dans les eaux de surface de l’océan global et zones côtières, couvrant la période 1957-2024.

Figure 1. À gauche : distribution des nouvelles observations intégrées dans la base SOCAT-v2025 (le code couleur représente l’année, 2024 en jaune). À droite : l’ensemble des données de fugacité du CO2 (fCO2, µatm) à la surface de l’océan dans la base SOCAT sur la période 1957-2024. Les carrés symbolisent les capteurs de CO2 sur des mouillages. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère approchant 420 ppm actuellement, les zones en bleu-vert (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). À noter l’absence d’observations récentes dans certains secteurs, notamment l’océan Indien Nord et les océans sud, ce qui nécessite d’élaborer des modèles d’extrapolation pour évaluer les échanges air-mer de CO2 à grande échelle (figure 2) ou la distribution de pH pour étudier l’acidification des océans (figure 3). D. R.

Figure 2. Le puits de carbone océanique global évalué sur la période 1959-2024 à partir de modèles océaniques (modèles individuels en violet, moyenne ligne noire et incertitude en grisé) ou de méthodes de reconstructions basées sur la base SOCAT (en cyan). Les histogrammes informent sur le nombre d’observations de CO2 dans la base SOCAT utilisées chaque année pour contraindre les méthodes de reconstructions. Source : Global Carbon Project (Friedlingstein et al., 2025). Une certitude, les modèles comme les méthodes basées sur les observations, montrent que le puits de carbone océanique augmente au cours du temps. Toutefois, on note que les modèles sous-estiment le puits de carbone sur les années récentes. D. R.
Outre les données accessibles en ligne et accompagnées des commentaires d’évaluation (Quality Flag, Gkritzalis et al., 2024), la base propose également des produits grillés à différentes résolutions pour l’océan ouvert et le domaine côtier, pouvant être utilisés pour construire des climatologies, initialiser et valider les modèles biogéochimiques de l’océan et les modèles couplés climat/carbone (CMIP6) ou contraindre les modèles d’inversions atmosphériques. Un outil de visualisation interactif (LAS Data viewer) permet un accès aisé aux données, dont l’extraction peut se faire par région, période, navire ou plateforme (bouées ou mouillages). Les codes de lecture Matlab des fichiers de données et produits grillés, ainsi que le format ODV (Ocean Data View, https://odv.awi.de/) sont également accessibles en ligne.
La nouvelle base servira, entre autres, à évaluer le bilan de carbone planétaire de 2024, dont le prochain rapport du Global Carbon Project (www.globalcarbonproject.org) devrait être publié avant la COP-30 (10-21 Novembre 2025, Belem). La base SOCAT apporte aussi des informations précieuses sur le système des carbonates océaniques ; en effet, une conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH) qui peut être estimé via la base SOCAT (figure 3) et dont les impacts sur les écosystèmes marins restent à évaluer.

Figure 3. Exemple d’évolution du pH dans l’océan de surface au cours du temps. Résultats obtenus à partir des données SOCAT sélectionnées dans l’océan Indien Sud autour de l’Île de la Nouvelle Amsterdam (données des campagnes historiques et OISO depuis 1998). La diminution de pH, de l’ordre de -0.019 par décennie sur la période 1962-2024, témoigne de l’acidification des océans due à l’augmentation de CO2 anthropique. D. R.
Le laboratoire LOCEAN de l’IPSL alimente régulièrement cette base (observatoires SNO/OISO, PIRATA, SSS-CO2), contribue au contrôle de qualité des données, et participe à la coordination des groupes SOCAT (océans Atlantique Tropical, Indien et Austral). Le projet SOCAT est coordonné par Dorothee Bakker (Université d’East Anglia, Royaume-Uni). Il a été soutenu par des programmes internationaux (SOLAS, IOCCP) et nombreux instituts nationaux. Il faut aussi noter que le travail de mise à disposition des données et leur contrôle de qualité est principalement réalisé par les chercheurs volontaires et, à l’avenir, assurer la continuité de ces efforts, nécessitera des moyens durables (Bakker et al., 2023 ; IOCCP, 2024) en espérant que ces efforts ne seront pas limités par la nouvelle administration américaine. Cela d’autant que la base SOCAT, comme d’autres bases telles que GLODAP (www.glodap.info) ou SNAPO-CO2 est intégrée une récente synthèse des bases de données dédiées au CO2 océanique (Jiang et al., 2025).
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Références
– Bakker, D. C. E., Pfeil, B., Landa, C. S., Metzl, N., O’Brien, K. M., et al., 2016.: A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, https://doi:10.5194/essd-8-383-2016.
– Bakker, D., R. Sanders, A. Collins, M. DeGrandpre, T. Gkritzalis, S. Ibánhez, S. Jones, S. Lauvset, N. Metzl, K. O’Brien, A. Olsen, U. Schuster, T. Steinhoff, M. Telszewski, B. Tilbrook, D. Wallace, 2023. Case for SOCAT as an integral part of the value chain advising UNFCCC on ocean CO2 uptake http://www.ioccp.org/images/Gnews/2023_A_Case_for_SOCAT.pdf
– Bakker, D. C. E., S. R. Alin, T. Aramaki, L. Barbero, N. R. Bates, T. Gkritzalis, S. D. Jones, A. Kozyr, S. K. Lauvset, V. Macovei, N. Metzl, D. R. Munro, S.-i. Nakaoka, K. O’Brien, A. Olsen, D. Pierrot, T. Steinhoff, K. F. Sullivan, A. J. Sutton, C. Sweeney, C. Wada, R. Wanninkhof, and all >100 SOCAT contributors. SOCAT version 2025: Open ocean CO2 data submissions stabilise. Available at www.socat.info
– Friedlingstein, P., et al.: Global Carbon Budget 2024, Earth Syst. Sci. Data, 17, 965–1039, https://doi.org/10.5194/essd-17-965-2025, 2025.
– Gkritzalis, T., D. C.E. Bakker, S. K. Lauvset, T. Steinhoff, S. Alin, N. Gruber, S. Jones, L. Kamb, V. Macovei, N. Metzl, C. Neil, K. O’Brien, L. Olivier, A. Olsen, D. Pierrot, A. Sutton, M. Telszewski, B. Tilbrook, 2024. SOCAT Quality Control Cookbook – For version 2025 of the Surface Ocean CO2 Atlas. Available at www.socat.info
– Lan, X., Tans, P. and K.W. Thoning: Trends in globally-averaged CO2 determined from NOAA Global Monitoring Laboratory measurements. Version Monday, 05-May-2025 16:38:58 MDT https://doi.org/10.15138/9N0H-ZH07
– IOCCP, 2024. Declaration on Operationalising the Surface Ocean Carbon Value Chain. http://www.ioccp.org/images/Gnews/Declaration_on_Operationalising_the_Surface_Ocean_Carbon_Value_Chain.pdf
– Jiang, L.-Q., et al., Synthesis of data products for ocean carbonate chemistry, Earth Syst. Sci. Data Discuss. [preprint], https://doi.org/10.5194/essd-2025-255, in review, 2025.
– Metzl, N., Tilbrook, B., Bakker, D. C. E., Le Quéré, C., Doney, S., Feely, R., Hood, M., Dargaville, R., 2007. Global Changes in Ocean Carbon: Variability and Vulnerability. Eos, Transactions of the American Geophysical Union 88 (28): 286-287. https://doi:10.1029/2007EO280005
– Pfeil, B., Olsen, A., Bakker, D. C. E., et al., 2013. A uniform, quality controlled Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 5, 125-143, https://doi:10.5194/essd-5-125-2013