Se nourrir dans un monde plus chaud
Sécheresses, incendies, inondations : depuis plusieurs années, elles sont la cause de pertes importantes pour les agriculteurs et posent la question de la résilience de nos systèmes alimentaires. Mais quels sont les risques concrets qui pèsent sur l’agriculture de demain, dont certains se font déjà ressentir ?
Depuis de nombreuses années, les scientifiques savent que les températures moyennes sont vouées à augmenter tant que les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites. Ce constat s’accompagne d’un lot d’événements extrêmes que sont sécheresses, incendies et vagues de chaleur qui, en plus des dégâts qu’ils causent, influencent la dynamique de tout un système. Philippe Ciais est chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL), et son équipe étudie l’absorption du carbone par les écosystèmes terrestres. Le stockage de carbone par les sols et la biomasse est très dépendant des variations climatiques. « Les années extrêmes causent de grandes variations des flux de carbone à l’échelle de la planète », précise-t-il, « le changement climatique atténue globalement la capacité de la végétation à stocker du carbone. » Lors d’une sécheresse, l’air chaud et sec pousse la plante à fermer les pores par lesquels elle respire : les stomates. Dans cette configuration, le CO2 n’est pas bien assimilé et la photosynthèse ne peut pas se faire correctement. La croissance -entre autre- s’en trouve réduite et la mortalité peut causer des relargages importants de CO2 dans l’atmosphère.
Si d’autres effets du changement climatique pèsent notamment sur la santé des arbres et des grands réservoirs de carbone que sont les forêts, l’impact sur les cultures humaines est pensé en d’autres termes : « pour évaluer l’impact du changement climatique sur les plantes cultivées, la variable d’intérêt, c’est le rendement. » Celle-ci est centrale pour connaitre les risques réels qu’implique le changement climatique pour l’agriculture. « Il y a un risque climatique, avec des conditions qui atteignent des valeurs potentiellement dangereuses pour les rendements, explique le chercheur, mais il y a aussi la résilience des agroécosystèmes, c’est-à-dire leur capacité à maintenir leur fonction en présence d’un événement extrême, par exemple avec une adaptation des pratiques culturales. »
Un savant équilibre qu’il reste à trouver
Le système actuel fait face à plusieurs obstacles pour le maintien de sa stabilité. Si la plupart des espèces végétales sauvages sont affectées par les mêmes types de problèmes que les essences cultivées (notamment les stress hydrique et thermique), celles-ci sont bien plus sensibles aux parasites et aux ravageurs. Par ailleurs, certains aléas climatiques s’avèrent particulièrement préoccupants pour la récolte de certaines espèces : « si les températures sont trop élevées lors de la floraison, pour le maïs par exemple, la plante ne forme pas bien son grain par la suite », précise Philippe Ciais. « De la même manière, s’il fait trop sec en automne, lorsque les champs sont semés pour les céréales d’hiver, la germination est impactée. » Ces épisodes de chaleur peuvent ainsi voir leur impact décuplé lorsqu’ils apparaissent à des moment clés du développement de la plante. « Il y a aussi les précipitations extrêmes de mai 2016 qui ont engendré la plus grande perte de récolte de blé jamais enregistrée en France », se rappelle Philippe Ciais. Cet épisode avait entraîné 4 milliards d’euros de déficit.
Ces constats poussent à un questionnement fondamental : le système agricole actuel est-il assez résilient ? Pour Philippe Ciais, « c’est un système qui émet beaucoup de gaz à effet de serre et qui possède des vulnérabilités au climat, en particulier dans les pays du Sud. L’enjeu c’est d’essayer de trouver des systèmes de production qui émettent moins, tout en étant plus résilients face aux événements extrêmes, et ça, ce n’est pas si simple. » Les réponses potentielles sont à trouver dans un équilibre encore à définir : « les variétés résistantes aux sécheresses ont un rendement moindre, donc l’idée c’est vraiment de trouver un optimum entre la diminution de notre impact sur l’environnement, une certaine résilience et le maintien de la sécurité alimentaire », conclut le chercheur.
Par Marion Barbé pour l’IPSL
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