Saisie d’un nouveau regard


Nathalie de Noblet-Ducoudré, auteure principale du chapitre 2 du rapport spécial Sols et changement climatique sur les interactions entre les surfaces continentales et le climat.

Portrait de Nathalie de Noblet-Ducoudré par Valérie Lilette pour l'IPSL, 2023

Portrait de Nathalie de Noblet-Ducoudré par Valérie Lilette pour l’IPSL, 2023

 

Quand j’ai su, c’était une immense joie. J’avais déjà pensé à candidater au GIEC, puis a été prévu un rapport spécial sur l’usage des sols et le climat, en plein cœur de mon travail au quotidien. Je me sentais totalement en phase avec le rapport et le chapitre dans lequel j’ai été prise. Cette expérience a validé l’importance qu’avait pour moi cet état des lieux de la connaissance scientifique. J’ai été recrutée pour le résumé pour décideurs, et là, j’ai vraiment compris quelque chose dont je n’avais pas du tout idée : le sens de ces rapports pour les gouvernements. La semaine d’approbation a été absolument fabuleuse, elle m’a permis de concrétiser une vraie compréhension de ce à quoi nous servons par rapport au monde politique et aux décideurs, de le ressentir dans ma chair. Le GIEC est une synthèse pour une décision, donc il faut que tout soit robuste. Il y a énormément de choses à lire, et il faut le relire avec un regard neuf. Sur ce rapport spécial nous avions des formations très éclectiques – biologiste, écologue, agronome, sociologues, etc. – nous devions d’abord nous comprendre pour écrire un texte ensemble. Ça a créé un mécanisme d’entraide et de cohésion dans notre groupe, ces rencontres ont été des moments magiques.

Quand j’ai accepté, des projets venaient de se terminer et je pouvais me donner ce temps, mais ce serait une erreur de penser que l’on peut s’y impliquer en plus de tout ce qu’on fait par ailleurs. C’est un temps de pause dans ta carrière. Mais le GIEC est un assortiment de scientifiques comme tout assortiment d’êtres humains, avec aussi des gens qui ne travaillent pas. Pour ces rencontres entre auteurs, j’ai eu la chance d’être en présentiel [avant Covid], impliquant alors une absence totale du bureau, de la maison. Mes enfants étaient déjà grands, c’est plus facile, et je crois que ça leur a donné une curiosité d’aller voir ce sur quoi je travaillais. Et même quand je ne travaillais pas, le soir, je trimballais ça dans ma tête, j’étais ailleurs. Ça m’a réorienté sur des aspects où je pensais que nous avions des certitudes, des points sur lesquels il y a pléthore de littérature, mais au final aucune ne converge et nous ne pouvions pas donner un message robuste. Ça m’a redonné envie de faire de la recherche. Et j’ai compris que je lisais toujours des articles en attendant une réponse, et donc avec un prisme. Je me suis remise à lire pour voir vraiment ce que l’auteur voulait dire.

La semaine d’approbation a été pleine de découvertes. Sur le langage, de voir à quel point on peut reformuler un texte pour le rendre limpide mais en gardant toujours le même message scientifique, qui devient compris par tous. Nous, scientifiques, avons besoin d’être aidés de gens qui savent manipuler le verbe pour transmettre nos messages. Et sur les divergences entre les pays du nord et les pays du sud. J’ai été estomaqué de voir qu’en France nous avions une équipe de 11 personnes, avec toujours quelqu’un sur le pont même lors de nuits entières à travailler. Ayant grandi à Madagascar, je me suis renseignée sur leur délégation, il y avait une femme. Elle a bien besoin de dormir, et rate des moments importants pour son pays. Une injustice totale. Ça m’a ouvert les yeux sur le rôle d’assistance à un pays en développement, ce que faisait un ancien doctorant via une association pour le Bhoutan. Je ne pense pas que beaucoup de délégations ont eu cette chance. Accompagner un pays, sélectionner les points essentiels, expliquer la science au fur et à mesure pour qu’il puisse voter en toute âme et conscience en ayant compris tous les enjeux. J’ai trouvé ça fabuleux, une attitude qui m’a plu. J’aimerais bien tenir ce rôle un jour. Le GIEC est une vraie expérience humaine, c’est ça qui est agréable, dans un contexte qui n’est pas vraiment un contexte de recherche. Une occasion de voir ce sur quoi on a progressé, avancé, de quoi on est sûrs, et quels aspects méritent de reprendre notre crayon et de continuer.

 

Portraits réalisés par Valérie Lilette et propos recueillis par Tiphaine Claveau.

Tiphaine Claveau


IPSL