Paname 2022 : premières observations d’une campagne de mesure inédite en plein Paris et en région parisienne


50 heures de vol d’un avion de recherche en région parisienne, 48 ballons météorologiques lancés et 28 mini-ballons, 15 instruments de télédétection atmosphérique de pointe répartis sur 5 sites urbains et péri-urbains, plusieurs dizaines d’instruments de mesure déployés en surface et sur des mâts… Un mois après le début des mesures, l’initiative de recherche PANAME, qui étudie la qualité de l’air et le climat urbain en région parisienne, nous livre les premiers résultats d’une campagne placée sous le signe de la canicule.

Paname 2022, ce sont dix projets de recherche rassemblés pour acquérir des observations, parfois inédites, et les confronter aux résultats des systèmes de prévision, afin de mieux comprendre les mécanismes responsables de la pollution de l’air, de l’îlot de chaleur urbain, des phénomènes météorologiques extrêmes en ville, et de leurs conséquences.

Depuis plusieurs semaines des systèmes de mesure innovants sont déployés dans ce contexte, en ville, en périphérie et en forêt par des scientifiques du CNRS, de Météo-France, de l’Université Paris-Est Créteil, de Sorbonne Université, de l’Université Paris Cité, de l’Institut polytechnique de Paris, de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, d’INRAE, de l’Institut Mines Télécom Nord Europe, de l’Université de Bordeaux, d’Aix-Marseille Université, de l’Université Clermont Auvergne, de l’Université de Lille, de l’Université d’Orléans, de l’Université de Lyon, de l’Université de Chieti, du Max Planck Institute, de L’Université de San Diego, du Harvey Mudd College, de l’Université John Hopkins, de l’Université de Cambridge, de l’Ineris, de LigAir et d’Airparif.

La campagne de mesure a été marquée par une vague de chaleur exceptionnellement intense et précoce qui s’est déroulée dès la première semaine de mesure, et a culminé le 18 juin 2022. Le temps des jours suivants a été plus perturbé, avec une grande diversité de conditions météorologiques rencontrées, y compris des phénomènes orageux sévères. La fin de la campagne intensive est marquée par le retour de conditions chaudes en cette deuxième moitié du mois de juillet.

 

Étude du panache de pollution de la région parisienne depuis l’avion scientifique


Le volet aéroporté du projet ACROSS s’est traduit par près de 50 heures de vol en région parisienne et dans ses environs entre le 16 juin et le 5 juillet, au cours de 13 vols scientifiques.

Près de deux tonnes d’instruments ont été installées à bord de l’avion, en cabine ou fixé sous les ailes, pour mesurer directement la composition chimique dans l’atmosphère, à la fois les gaz (ozones, oxydes d’azote, composés organiques volatils etc.) et les particules qui s’y trouvent. L’avion a pu échantillonner plusieurs fois un même panache de pollution à différentes distances de Paris afin d’identifier les sources et les transformations de ces composés chimiques, et cela au-dessus de surfaces variées et dans des masses d’air soumises à diverses influences. La mesure du panache de pollution de Paris l’a conduit à voler à très basse altitude, quelques centaines de mètres au-dessus de la surface, un défi que les instruments et scientifiques à bord de l’avion ont parfaitement su relever.

En haut : ATR-42 instrumenté de SAFIRE ; en bas à droite : matériel scientifique et scientifiques en action ; en bas à gauche : concentration en particules atmosphériques mesurée à 300 m d’altitude par les instruments à bord de l’avion pendant le vol du 23 juin 2022. La pollution de Paris peut être détectée à au moins 150 km de distance. Ces dernières sont élevées dans le panache en aval de Paris. © Cyrielle Denjean, CNRM/Météo-France/CNRS.

 

Réalisés en condition de vent faible, les vols ont permis de mettre en évidence la distribution hétérogène des polluants, le panache de pollution depuis Paris pouvant s’étendre jusqu’à 200 km de l’agglomération urbaine. Des panaches de pollution plus localisés ont été mesurés au-dessus de certaines villes (par exemple Rouen) ou au-dessus de sources spécifiques (centrales, autoroutes). La distribution verticale des polluants était également très variable, une couche d’aérosols à haute altitude contenant des poussières désertiques ayant été détectée pendant l’épisode de canicule.

Profils verticaux d’aérosols observés par Lidar sur la période 16-18 juin 2022. L’échelle de couleur présente la polarisation du signal Lidar qui indique en bleu foncé et clair des aérosols d’origine anthropique (pollution – principalement entre 0 et 1500m), en orange des aérosols de type poussières désertiques (en altitude, au-dessus de la couche de mélange), et en vert lorsque les deux types d’aérosols sont mélangés (18 juin). © Simone Kotthaus, IPSL/CNRS

 

L’analyse des données d’observations permettra d’évaluer les inventaires d’émission des polluants d’intérêt et d’évaluer la contribution de la mégalopole parisienne à la concentration de gaz et particules à l’échelle régionale, notamment lorsque le panache se mélange aux masses d’air au-dessus des forêts environnantes. Ces observations sont essentielles pour évaluer et améliorer les prévisions des modèles de qualité de l’air, en particulier pour la prévision des concentrations d’ozone et de particules fines qui constituent aujourd’hui un enjeu majeur.

 

Étude de l’interaction des masses d’air urbaines et forestières depuis le sol


Le volet sol du projet ACROSS voit depuis le 13 Juin la participation de 17 laboratoires de recherche déployant des dizaines d’instruments de mesures sur cinq sites différents. La localisation des différents sites de mesures a été choisie notamment pour pouvoir caractériser l’évolution de la composition de l’atmosphère et les propriétés de ces constituants en conditions anticycloniques et donc favorables à une photochimie intense. La disposition de ces sites est organisée selon un axe nord-est – sud-ouest avec deux sites dans Paris intra muros (Université Paris Cité et Sorbonne Université), un site périurbain (SIRTA sur le plateau de Saclay), un super-site forestier comprenant une tour de 40m ( forêt de Rambouillet) et un site aval éloigné (Orléans).

Dispositif expérimental ACROSS sur le toit de l’Université Paris Cité dans le XIIIe arrondissement de Paris. © Aline Gratien, LISA/CNRS

 

Ces mesures permettront de mieux comprendre comment le mélange des masses d’air urbaines avec les émissions des forêts environnantes modifie les processus physico-chimiques atmosphériques et quel est l’impact en termes de qualité de l’air et de climat. La campagne ACROSS a été marquée par plusieurs jours de mesures présentant les conditions idéales d’intérêt pour le projet, avec un panache parisien transporté vers le sud-ouest et donc échantillonné sur l’ensemble des sites à différentes phases de leur évolution. Un épisode exceptionnel de fortes chaleurs est intervenu mi-juin. Lors de cette période, des concentrations de polluants secondaires plus élevées ainsi que des émissions forestières plus intenses ont notamment été observées. La fin de campagne a été marquée par le retour de conditions de chaleurs intenses et de transport du panache parisien en direction des sites de mesures du projet.

Dispositif expérimental déployé sur le super site forestier ACROSS dans la forêt de Rambouillet vue du haut de la tour de 40m. © Mathieu Cazaunau, LISA/CNRS

 

Lâchers de ballons météorologiques et observations in situ et par télédétection depuis le sol


Ballons météorologiques et instruments de télédétection depuis le sol fournissent des informations complémentaires sur le profil des conditions atmosphériques au-dessus de la surface.

Depuis le 13 juin, 48 lâchers de ballons météorologiques conventionnels ont eu lieu à Paris sur les quais de Seine, et 28 mini-ballons ont été lâchés depuis plusieurs zones de la région parisienne (site péri-urbain au SIRTA, environnement de parc urbain à Vincennes, Paris intra-muros dans le 13e arrondissement). Pour Paname 2022, la fréquence des lâchers automatiques de ballons effectués sur le site de Météo-France à Trappes est passée de 2 à 4 par jour.

Pas moins de 15 instruments de télédétection depuis le sol (lidars, radiomètres, radars) sont déployés sur 5 sites différents dans Paris intra-muros (Hôtel de Ville, Sorbonne Université et Université Paris Cité) et en périphérie (Campus de l’École Polytechnique, Aéroport Charles-de-Gaulle). Ces instruments innovants permettent de mesurer en continu le profil de température, d’humidité, la distribution verticale des aérosols (particules atmosphériques), mais aussi le champ de vent au-dessus de la région parisienne.

Ces instruments et les observations sous ballon ont permis de documenter de forts contrastes du profil de température au-dessus de la surface, et notamment de mesurer l’”épaisseur” de l’îlot de chaleur urbain nocturne pendant le pic de chaleur de mi-juin. Grâce aux mini-ballons lancés simultanément, on a observé que l’effet de refroidissement du parc de Vincennes s’étend sur environ 150 m de haut, et est plus intense au coucher du soleil (de l’ordre de 5 à 7°C certaines nuits par rapport aux quais de Bercy) que plus tard dans la nuit, de l’ordre de 3°C.

Profils de température en zone urbaine (Quai de Bercy), au Bois de Vincennes et en zone péri-urbaine (Trappes) le 17 juin à 20 UTC (22h en heure locale). © Simone Kotthaus, IPSL/CNRS.

 

Sur le plan horizontal, des mesures itinérantes à pied, à trottinette et à vélo (température de l’air, humidité relative et vitesse de vent) à l’intérieur de l’agglomération parisienne ont été réalisées lors de plusieurs nuits, en particulier lors de l’épisode chaud de mi-juin. Elles montrent des contrastes (1 à 3°C) à des échelles fines entre les espaces urbanisés et les espaces verts (Place des Vosges, Parc de Bercy…), au-delà du gradient centre-périphérie qui caractérise l’îlot de chaleur urbain.

Lors de l’épisode de chaleur des 16-18 juin, les profils par lidar automatique et les profils par sondes sous ballon ont révélé la descente progressive d’un air très chaud chargé d’aérosols en provenance d’Afrique du Nord. Les profils de température montrent cet air très chaud (> 36 degrés – en rouge sur la figure) se déplaçant au-dessus la région entre 2000 et 4000 m, s’introduisant ensuite brutalement dans la couche de mélange atmosphérique urbaine (délimitée par les triangles blancs) le 18 juin, causant une hausse des températures de 5 degrés supplémentaires. Les aérosols de poussière désertique transportés en altitude se sont également introduits dans la couche de mélange urbaine et ont produit un pic de pollution en surface la nuit du 18 juin.

Profils d’aérosols observés par Lidar automatique (Vaisala CL61), montrant la présence d’aérosols entre 0-4000m en bleu clair (ciel sans aérosol en bleu foncé) et l’altitude de la couche de mélange urbaine (triangles blanc). Les profils de température (potentielle) par sonde sous ballon sont positionnés aux heures des lâchers de ballon. © Simone Kotthaus, IPSL/CNRS.

 

Toutes ces données sont précieuses pour mieux comprendre la dynamique de ces phénomènes et évaluer la qualité des systèmes de modélisation et de prévision, qu’ils soient actuellement opérationnels à Météo-France (par exemple, AROME, modèle à résolution horizontale de 1,3 km) ou en cours de mise au point dans les laboratoires de recherche, à des résolutions horizontales de l’ordre de 100 à 500 m.

Champ de température de l’air près de la surface simulé sur Paris et sa petite couronne avec le modèle AROME à 500 m de résolution, le 17 juin 2022 à 20 UTC (22h heure locale). La différence de température simulée entre le centre-ville et les zones périphériques atteint 5 à 7°C. Les deux zones moins chaudes à l’est et l’ouest de Paris correspondent aux bois de Vincennes et Boulogne, respectivement. © Jean Wurtz, CNRM/GMME/VILLE

 

Lancer de ballon météorologique conventionnel au quai de Bercy au coucher du soleil. © Cyril Frésillon CNRS

 

Lidar rétrodiffusion et polarisation automatique pour profils d’aérosols 0-12km (CL61, Vaisala), installé dans les douves de l’Hôtel de Ville de Paris. © Martial Haeffelin, IPSL/CNRS

 

Lidar Doppler profileur de vent (WLS400, Vaisala-France), installé au sommet de la tour Zamansky (Sorbonne Université, Plateforme QUALAIR) à 90m au-dessus du sol pour observer le vent au-dessus de toute la ville de Paris. © Martial Haeffelin, IPSL/CNRS

 

Fonctionnement des arbres en milieu urbain en situation de stress hydrique : Projet sTREEt


Deux expérimentations ont été menées dans le cadre du projet sTREEt : de jeunes platanes ont subi un épisode de sécheresse pendant la période de canicule de mi-juin puis une réhydratation, leur physiologie et leurs émissions de composés organiques volatils (COV) à l’échelle de la feuille ont été suivis (analyses en cours). Dans le jardin de l’Hôtel de Ville de Paris, des mesures d’émissions de COV de différentes espèces de végétaux ont été effectuées associées à une caractérisation physiologique. Les analyses sont en cours mais les émissions semblent très variables selon les espèces. Simultanément, des mesures de qualité de l’air ont eu lieu en continu pour caractériser les niveaux et variabilité temporelle de composés gazeux (COV, NOx) et particulaires (composition chimique de l’aérosol fin, carbone suie et distribution en taille). Ces mesures ont été complétées par des prélèvements pour des analyses spécifiques (en particulier pour la mesure du 14C qui permet de connaître l’origine biogénique ou anthropique des particules). Toutes ces mesures seront utilisées dans un modèle qui prendra également en compte les transports de polluants issus des différents lieux et l’influence des COV biogéniques.

 

Piégeage des COV émis par les arbres du jardin de l’hôtel de ville. © Juliette Leymarie, UPEC IEES Paris

 

Perspectives


Dans les prochaines semaines, alors que certains moyens sont déjà déployés dans d’autres contextes (l’ATR 42 de SAFIRE rejoint le Svalbard pour une campagne dans l’Arctique début août), d’autres restent en place pour poursuivre les mesures dans le cadre de projets européens (en lien avec les infrastructures de recherche ICOS, ACTRIS et IAGOS) et internationaux (Organisation Mondiale de la Météo et Jeux Olympiques Paris 2024), jusqu’à l’été 2024. En parallèle, les équipes de recherche ont entamé l’analyse de la moisson exceptionnelle de mesures que la campagne PANAME 2022 a permis. Les premiers résultats sont attendus dans les prochains mois, mais la grande richesse et la diversité des mesures réalisées vont nourrir les laboratoires et équipes de recherche pour plusieurs années, à l’instar de précédentes grandes campagnes de mesures dont l’influence s’est étendue parfois sur plusieurs décennies. La mise en ligne, harmonisée et centralisée de l’ensemble des données produites pendant cette campagne sur le portail de données national AERIS, facilitera l’exploitation croisée de cet ensemble de données et leur diffusion dans la communauté scientifique.

Pour en savoir plus

La série d’articles : « L’atmosphère et le climat de Paris à la loupe »

Vidéo : « Îlot de chaleur urbain : quel climat pour demain ? »

Le portail de données national AERIS

Martial Haeffelin


Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL)