Les récifs coralliens menacés
Les gaz à effet de serre et en particulier le CO2 (dioxyde de carbone) via le réchauffement et l’acidification des océans font peser de lourdes menaces sur la survie des récifs coralliens, refuge pour une myriade d’animaux marins, barrières naturelles protégeant les côtes et les îles de l’assaut des cyclones et autres tempêtes, et véritables oasis de nourriture pour les hommes. On estime que ces ressources alimentaires, combinées à d’autres activités comme le tourisme, permettent la survie de 500 millions de personnes à travers le monde.
Alors quand la grande barrière de corail perd la moitié de ses coraux en 25 ans, c’est l’équilibre planétaire tout entier qui est remis en question. Quelles menaces le changement climatique fait-il peser sur les récifs et comment y remédier ? La chercheuse de l’IRD, Aline Tribollet, rattachée au laboratoire d’Océanographie et du Climat (LOCEAN-IPSL), y répond à travers ses projets de recherche CLIM-EPARSES et OA-ME dans l’ouest de l’océan indien.
« Les récifs coralliens sont des structures naturelles qui se forment dans la zone intertropicale, où l’eau est comprise entre 18 et 30 degrés et est très claire, pauvre en nutriments », explique Aline Tribollet. Les coraux sont les principaux organismes constructeurs de ces édifices carbonatés. Au départ, il y a une larve planctonique, qui dans le récif va trouver un substrat favorable à sa métamorphose en polypes » : ce petit animal mou, semblable à une minuscule anémone, va en quelques jours fabriquer son premier squelette calcaire.
À force de clonage répété, le corail prend forme. C’est un animal colonial composé d’un grand nombre de polypes identiques dont le socle est le squelette calcaire (ou carbonaté). C’est cette accumulation de millions de squelettes qui forme les récifs coralliens, des écosystèmes en 3D offrant une multitude d’habitats abritant 25% de la biodiversité marine dans le monde !
La menace d’un blanchissement permanent et d’un taux de mortalité corallien en augmentation
La spécificité du polype est qu’il vit en symbiose avec une algue microscopique, la zooxanthelle, qui lui donne des colorations rouge, verte, jaune… « Cette algue couvre une large part des besoins nutritionnels du corail qui en retour la protège et lui fournit des nutriments comme le carbone, » précise Aline Tribollet.
Or le réchauffement climatique entraîne une hausse de la température de l’eau, au-delà de la température maximale tolérée par les coraux, et perturbe le fonctionnement des algues symbiotiques dans le tissu corallien. En réponse, le corail les expulse, et perd du même coup sa couleur. On dit qu’il est blanchi car on voit son squelette à travers ses tissus devenus translucides.
« Ce phénomène est d’ordinaire transitoire sauf lors d’épisodes de réchauffement des océans très sévères (ou lorsqu’il est combiné à d’autres perturbations) ce qui arrive de plus en plus souvent. On assiste alors à des blanchissements à l’échelle mondiale qui conduisent à des taux de mortalité corallienne très importants (jusqu’à 80% à 100% dans certaines zones), » alerte la spécialiste. Ce corail mort devient alors le terrain de jeu de prédilection des agents de la bioérosion parmi lesquels les poissons perroquets et les microalgues perforantes, qui le réduisent en sable et carbonate dissous.
Appuyée par une équipe pluridisciplinaire, Aline Tribollet essaie grâce au projet CLIM-EPARSES et OA-ME de déterminer à l’échelle régionale de l’Océan Indien Ouest les effets du réchauffement et de l’acidification des océans, combinés ou non à des perturbations locales telles que les pollutions, sur les récifs coralliens et d’identifier des solutions de mitigation de ces effets basés sur la nature.
« Mayotte est une île fortement anthropisée avec un développement démographique important tant dis que les Îles Eparses sont non habitées et donc faiblement anthropisées. Les Iles Eparses situées dans le Canal du Mozambique offrent ainsi des terrains uniques pour étudier les seuls effets de la température et du pH sur les coraux et les agents de la bioérosion, ces deux compartiments jouant un rôle capital dans le maintien des récifs coralliens, » explique Aline Tribollet.
En 2019, l’équipe de CLIM-EPARSES a mené une campagne de carottages en mer pour reconstruire l’environnement passé des coraux et voir comment le climat avait pu impacter leur développement, mais aussi les agents de la bioérosion récifale via l’implantation d’expériences sur le long cours. « Notre objectif est de mieux comprendre ce qui s’est passé depuis le début de l’Anthropocène (ère industrielle) pour mieux prédire l’avenir des récifs coralliens, mais aussi identifier les zones les plus vulnérables dans l’Océan Indien Ouest et aider les autorités compétentes à mieux préserver ces écosystèmes marins » poursuit la responsable du projet.
L’accélération de la bioérosion récifale
Les recherches menées récemment au LOCEAN montrent que le réchauffement et l’acidification des océans stimulent certains agents de la bioérosion tels que les microflores perforantes photosynthétiques, agents majeurs de la dissolution des carbonates récifaux. Ces microflores composées de cyanobactéries, microalgues et champignons filamenteux dissolvent activement le squelette corallien qu’elles habitent.
« L’abondance et l’activité érosive de ces microperforants, en synergie avec les poissons perroquets ou les oursins qui les mangent, sont beaucoup plus importantes dans le corail mort que dans le corail vivant. On peut ainsi aisément comprendre que le maintien des récifs coralliens qui résulte de la délicate balance entre la croissance des coraux d’une part, et la bioérosion d’autre part, est fortement menacé.
Aujourd’hui avec l’augmentation des phénomènes de blanchissement suivis par des taux de mortalité corallienne considérables et les effets positifs de la température et du pH sur les microflores perforantes et d’autres agents de la bioérosion on assiste à un déséquilibre de plus en plus important et au final à des pertes physiques de récifs. » D’ici la fin du siècle, le rapport du GIEC 2019 (SROC) estime que la majorité des récifs auront disparu si le réchauffement climatique n’est pas limité de manière importante (70% à 90% des récifs auront disparu avec +1,5°C et 99% avec +2°C). « Toutefois on connaît encore mal les boucles de rétroactions de la dissolution récifale sur l’acidification de l’eau que ce soit à l’échelle de l’organisme (corail), d’une zone récifale ou de l’écosystème, de même que les capacités d’adaptation des coraux et les zones potentiellement ‘refuges’, » explique l’océanographe.
Le projet interdisciplinaire « OA-ME » qui vient de démarrer et qu’elle codirige (consortium comprenant le Japon, les Etats-Unis et la France) a pour but de mieux comprendre le rôle des algues dans la capacité du cycle des carbonates en milieu récifal (équilibre croissance vs bioérosion récifale) à être résilient dans le contexte de l’acidification des océans, et d’identifier des solutions innovantes basées sur la nature qui permettraient de mitiger les effets de l’acidification sur les récifs.
De telles solutions permettraient dans le même temps le développement d’une nouvelle filière économique durable dans les îles ultra-marines. La chercheuse est par ailleurs convaincue que le succès d’un tel projet repose sur l’acceptabilité sociale des solutions envisagées, et la sensibilisation des populations locales, notamment les enfants, tout comme les touristes aux enjeux liés aux écosystèmes coralliens. C’est en ce sens que les volets Sciences humaines et Sociales, Sciences participatives et des actions d’éducation et de sensibilisation seront également développés durant le projet.
Pour aller plus loin
OA-ME (Ocean acidification and marine ecosystems)
Financements : Belmont Forum International (via ANR pour la partie française), IRD, PNMM.
Participants : Tokyo University et IGES (JP), SCRIPPS (USA), IRD (Fr), Laboratoires LOCEAN-ENTROPIE-LSCE-CUFR/ICARE, Parc Naturel Marin de Mayotte (PNMM), Réserve Naturelle Marine de la Réunion, FRB, Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.
CLIM-EPARSES
Financements : TAAF, Fondation Prince Albert II de Monaco, IRD, LOCEAN, LSCE, MNHN.
Participants : Laboratoires LOCEAN-LSCE-ENTROPIE-MCAM (Fr), CNR (Italie).