Les nuages, énigme du cycle de l’eau atmosphérique


Le cycle de l’eau est souvent imaginé à travers les pluies, le ruissèlement en surface et l’infiltration dans les nappes phréatiques, mais la composante atmosphérique est une étape majeure à ne pas laisser de côté. La formation nuageuse et les différents types de nuages sont des paramètres clés dans le cycle de l’eau atmosphérique et dans son évolution avec le changement climatique. Hélène Brogniez, chercheuse au LATMOS-IPSL et enseignante à l’Université de Versailles St-Quentin, met en avant ces variations atmosphériques dans les tropiques associées à la température de surface de l’océan.

Le cycle de l’eau combine au-dessus des continents une branche hydrologique et une atmosphérique. Cette dernière tient compte du transport de l’eau ainsi que son temps de séjour, en grande partie sous forme de vapeur. Les mouvements atmosphériques entraînent des refroidissements qui amènent à la formation de nuages pouvant fournir de la pluie aux surfaces. Dans l’ensemble, l’eau présente dans l’atmosphère sous toutes les formes est importante pour le système climatique car elle interagit fortement avec le rayonnement solaire et le rayonnement infrarouge. Les nuages sont par ailleurs un challenge pour les scientifiques. Les différents types de nuages ont des caractéristiques bien différentes concernant la quantité d’eau qu’ils peuvent contenir et leur impact sur le bilan radiatif. Cela joue aussi sur les interactions avec la surface, les quantités de précipitations et les retombées en pluie. Réduire les incertitudes liées aux structures nuageuses est un enjeu majeur dans la compréhension des évolutions du cycle de l’eau et du bilan radiatif de notre planète. L’impact du changement climatique actuel sur la formation des nuages n’est d’ailleurs pas évident à estimer.

Depuis 2006 les scientifiques peuvent étudier les fines structures verticales nuageuses grâce à des instruments de télédétection active comme le lidar CALIPSO ou le radar CloudSat. Mais cela reste encore trop jeune pour obtenir des tendances de leurs évolutions sur des échelles vraiment représentatives des changements que le système subit. La formation, le type de nuage et les retombées en pluie restent des points d’incertitudes pour les chercheurs, et notamment les rétroactions. « Si nous perturbons un élément nous allons voir un ensemble de réactions en chaînes qui sont tellement imbriquées que nous avons quelquefois du mal à bien percevoir les effets finaux » indique Hélène Brogniez, chercheuse au LATMOS-IPSL sur la variabilité climatique atmosphérique. Ce sont ces aspects du cycle de l’eau qu’Hélène Brogniez et ses collègues ont étudiés dans la région des tropiques pour mieux comprendre les relations entre les nuages et le contenu en eau de l’atmosphère et l’évolution de ces relations lorsque la température de surface augmente.

Le cas des tropiques

« Les tropiques ont un côté tout noir ou tout blanc » lance Hélène Brogniez. « Dans de nombreuses régions, avec la mousson, c’est comme s’il n’y avait que deux saisons : une saison des pluies et une saison sèche ». Et la ressource en eau est un enjeu majeur au regard de l’économie ou des besoins en agriculture : beaucoup de choses dépendent de la qualité de l’eau et sa quantité pendant les moussons. Cette région du globe a donc une vulnérabilité plus prononcée qu’aux moyennes latitudes sur les questions liées au cycle de l’eau et à la formation des évènements nuageux, à leur fréquence et à leur évolution vis-à-vis du changement climatique. « Les tendances actuelles semblent suggérer que ces régions évoluent vers des pluies plus intenses mais aussi des saisons sèches plus prononcées, avec des conséquences assez fortes sur la disponibilité en eau et les implications sociétales qui en ressortent » souligne-t-elle.

Le changement climatique se traduit par une augmentation globale des températures de surface et cette étude vise à mieux comprendre comment les nuages réagissent à cette évolution. Les chercheurs s’intéressent alors aujourd’hui à la sensibilité des nuages à la température de surface de ces régions chaudes pour mieux percevoir les évolutions globales de demain. Les observations qui ont été analysées couvrent quatre années de données satellitaires pour étudier la structure de l’atmosphère selon la température de la surface de l’océan. Le satellite franco-indien Megha-Tropiques et son instrument SAPHIR renseigne sur la distribution verticale de l’humidité de l’atmosphère, sur les parties sans pluie. Le lidar du satellite CALIPSO offre à son tour des informations sur la structure verticale des nuages et leurs propriétés radiatives. Puis le radar CloudSat complète l’image de l’atmosphère en matière d’humidité en regardant les précipitations associées. « Bien que nous n’ayons ici que quatre années d’observations, cela donne un aperçu des covariations à l’instantané pour voir la structure de l’atmosphère selon des gammes de températures de surface, et sur comment cette combinaison pourrait être utilisée pour observer les évolutions futures si ces gammes de températures se décalent » ajoute Hélène Brogniez.

L’hypothèse d’Iris

L’énergie émise à la surface de la Terre est bloquée par les nuages avec un fort développement vertical et réchauffe l’atmosphère, mais lorsqu’il n’y a pas de nuages ce rayonnement peut s’échapper. C’est ce qu’on appelle un refroidissement radiatif, important dans les régions désertiques, peu sujettes au développement de grands nuages convectifs. Il y a une vingtaine d’années, Richard Lindzen théorisait l’hypothèse d’Iris proposant qu’un réchauffement de la température de surface de l’océan entraînerait une diminution de la surface couverte par les nuages associés à la convection profonde, ces grandes tours devenant plus efficaces à générer des précipitations. Cette contraction des régions convectives rappelle ainsi l’iris de l’œil. « Cette analyse a été sujette à de nombreux débats car la manipulation de données était assez discutable, mais des schémas de fonctionnement assez proches reviennent depuis quelques années et ceux-ci incluent la stabilité de l’atmosphère ou encore l’altitude des nuages convectifs » précise l’enseignante-chercheuse.

« Nous avons ainsi analysé les observations fournies par nos satellites d’observation de la Terre pour voir si elles contenaient ce comportement d’iris et ses variantes, et quelles échelles spatiales et temporelles étaient en accord avec les schémas proposés dans la littérature » explique Hélène Brogniez. Bien que ce soit des choses difficiles à confirmer, leur analyse tend à montrer que l’augmentation de la température de surface implique une couverture nuageuse moins épaisse et une atmosphère plus sèche. La chercheuse insiste que ce sont des points à creuser et qu’il faudrait idéalement coupler ces observations avec les mesures de rayonnement associées et les quantités de pluies pour mieux comprendre l’impact sur le bilan radiatif.

« Cette étude donne quelques indications mais les observations sont finalement accumulées sur un temps assez court par rapport aux échelles climatiques, et donc la question de la représentativité de ces résultats se pose » souligne-t-elle. L’idée est à poursuivre en regardant si les modèles climatiques, et notamment celui de l’IPSL, obtiennent les mêmes tendances en forçant une augmentation de la température de surface. La chercheuse mentionne d’ailleurs une certaine attente du rapport AR6 à venir cet été 2021 du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat (GIEC) sur les besoins des modèles climatiques. « En tant que scientifiques nous pouvons nous intéresser à beaucoup de choses différentes pour mieux comprendre le système climatique, mais il existe des enjeux spécifiques sur lesquels il faut se concentrer pour améliorer les modèles. Un chapitre du rapport du GIEC se focalisera sur le cycle de l’eau et je pense qu’il pointera du doigt des verrous essentiels sur le cycle de l’eau qui seront importants à adresser dans les prochaines années, surtout vis-à-vis des impacts sociétaux, comme la physique des extrêmes de pluie » conclut Hélène Brogniez.

 

Pour plus d’infos :

Erik Hojgard-Olsen, Hélène Brogniez, Hélène Chepfer. Observed Evolution of the Tropical Atmospheric Water Cycle with Sea Surface Temperature. Journal of Climate, American Meteorological
Society, 2020, 33 (9), pp.3449-3470. ff10.1175/JCLI-D-19-0468.1ff. ffinsu-02491146f

Hélène Brogniez


LATMOS-IPSL