La méditerranée : Hot-Spot du changement climatique
Sujet aux périodes de sécheresse et aux événements de pluie extrêmes, le bassin méditerranéen est une région particulièrement sensible au dérèglement du climat. Ces risques et impacts importants au regard du changement climatique en font ce qu’on appelle un point chaud. Mais ce qui fait la particularité de cette région est aussi l’organisation des sociétés qui l’habitent, et en particulier la gestion de la ressource en eau. Jan Polcher, chercheur au LMD-IPSL, retrace les questionnements entourant les évolutions du cycle de l’eau dans cette région et souligne l’importance de développer des modèles du climat à l’échelle régionale pour inclure les phénomènes locaux.
Plusieurs raisons font de la méditerranée une région d’intérêt pour les climatologues. Sur cette zone déjà aride, les effets du changement climatique risquent d’exacerber les conditions actuelles, avec des périodes de sécheresse mais aussi des événements extrêmes plus intenses. Des températures plus élevées devraient augmenter l’évaporation et accroître les sécheresses en entraînant des moyennes de pluie plus faibles. Ces impacts sur le bassin méditerranéen en font un point chaud du changement climatique sur lequel se rejoignent des questions climatiques mais aussi de fortes questions sociétales. « Beaucoup de pays dans le bassin méditerranéen utilisent toute l’eau à disposition pour les activités humaines, donc la moindre perturbation du climat peut avoir de grandes conséquences » exprime Jan Polcher, chercheur au LMD-IPSL en modélisation du climat.
Spécialisé ces dernières années sur cette région, il insiste sur les efforts d’observation et de modélisation qui ont été faits pour rendre compte des possibles évolutions du climat méditerranéen. L’utilisation de la ressource en eau pour les activités humaines, comme l’irrigation des cultures, est déjà très forte aujourd’hui. C’est pourquoi comprendre le plus précisément possible l’évolution du cycle de l’eau est au cœur des problématiques pour s’organiser dans le futur. Les décideurs, acteurs ou encore industriels ont besoin de connaître les risques et les impacts qui les concernent, sur leur territoire, pour mettre en place des plans d’adaptation.
Tous pour un
Dans cette optique, les chercheurs comme Jan Polcher ont pour mission d’obtenir des représentations précises au niveau local. Mais, notamment pour le cycle de l’eau, les activités humaines peuvent en perturber le fonctionnement. Par exemple, l’eau pompée pour irriguer les cultures sera évaporée et se dirige donc vers l’atmosphère plutôt que vers la mer. Dans le même temps, certains systèmes mis en place aujourd’hui pour retenir l’eau, comme les barrages, ne seront peut-être pas adaptés à un climat futur. « Autour du bassin de L’Èbre en Espagne, beaucoup repose sur le stock de neige qui relâche de l’eau en avril pour l’agriculture en remplissant les réservoirs. Mais si la neige commence à fondre en février cette stratégie n’est plus adaptée : à cette époque les réservoirs sont pleins et il n’y aura pas de place pour stocker cette arrivée » illustre Jan Polcher.
Les spécialistes du climat alertent sur les changements climatiques depuis plusieurs dizaines d’années et le message a été difficile à intégrer dans les mœurs. Désormais, la prise de conscience est là et les différents acteurs demandent des informations précises pour limiter le réchauffement ou s’adapter aux impacts. « Ces efforts correspondent aussi à un appel de la société » précise le chercheur. Les acteurs locaux auraient besoin de savoir concrètement à quelles conséquences s’attendre avec, par exemple, 2°C de réchauffement. Cela est difficile à affirmer car il existe aussi une variabilité naturelle du climat, mais les chercheurs peuvent donner des informations sur la probabilité des risques et des impacts. Et connaître ces probabilités est une information clé pour savoir s’il est nécessaire de s’y préparer et s’organiser en conséquence.
C’est dans cet esprit que l’IPSL peut apporter un soutien aux entreprises et acteurs locaux au travers d’études d’impacts. Jan polcher souligne que « c’est aussi notre objectif aujourd’hui de fournir des services climatiques à la société, à la fois pour que les entreprises prennent conscience de leur vulnérabilité et pour construire avec eux une réflexion sur les paramètres climatiques qui vont changer ». L’intérêt est de construire avec les acteurs locaux les services climatiques personnalisés dont ils ont besoin. Pour ENGIE par exemple, cela peut concerner les changements de disponibilité en eau et comment cela peut impacter la production d’électricité. Et tout cela est à mettre en concurrence avec d’autres aspects de la gestion de l’eau, comme l’agriculture. Pour se faire les chercheurs ont besoin d’une bonne compréhension des impacts du changement climatique au niveau local, ce qui implique une bonne résolution des modèles de climat.
Des modèles à petite échelle
Les chercheurs essayent d’obtenir des informations claires sur les flux échangés entre les différents compartiments du cycle de l’eau au niveau de la région. Cela prend en compte l’évaporation, les précipitations, le fonctionnement des surfaces continentales et du système souterrain puis finalement l’écoulement vers les océans. Le bassin méditerranéen présente des systèmes souterrains particuliers dits karstiques, composés de roches calcaires très poreuses laissant l’eau s’y écouler en profondeur rapidement. « Les systèmes karstiques sur les côtes de la méditerranée entraînent l’eau qui tombe sur les continents directement par les systèmes souterrains pour rejoindre la mer, cela sans passer par la surface » indique le chercheur. Cela peut compliquer la mesure du transport d’eau à la surface car il faut alors prendre en compte cette quantité d’eau passant par les chemins souterrains. Jan Polcher utilise la modélisation pour estimer le flux souterrain en fonction des quantités de précipitation et d’évaporation.
D’autres étapes comme l’évaporation de l’eau de mer sont assez difficiles à observer et les chercheurs n’en ont qu’une vision partielle. Un pluviomètre peut être utilisé pour mesurer les quantités d’eau mais cela de manière extrêmement localisée et n’offre pas d’image globale. A l’inverse, les satellites offrent une vision globale mais ne peuvent pas observer directement les quantités de précipitations. Cela nécessite des calculs complexes en fonction d’autres informations disponibles pour estimer les quantités de flux échangés. « Au LMD l’équipe LIDAR a développé une nouvelle méthodologie pour évaluer l’évaporation spatialement à travers les mouvements d’air et de température pour en déduire le flux échangé » précise Jan Polcher. En fonction des changements de ces composantes de l’atmosphère les chercheurs peuvent en déduire les quantités d’eau évaporées expliquant ces effets.
Le projet Européen Copernicus avait notamment pour mission de rassembler l’ensemble des observations. Cela pour suivre l’évolution et essayer de synthétiser ces informations pour les modèles et établir l’état des différents réservoirs d’eau et de carbone. La modélisation est un outil clé mais les chercheurs ont besoin d’en améliorer la résolution pour apporter le soutien nécessaire aux décideurs. « Le modèle de l’IPSL dispose d’une résolution de 11km sur l’Europe, mais c’est encore insuffisant. Nous avons réussi l’année dernière à obtenir une résolution de 3km et nous commençons à voir des choses intéressantes, et nous espérons réussir à obtenir une résolution de 3km sur une échelle plus large » explique le chercheur. Un bon exemple de ce besoin est le stock de neige, qui n’est pas visible sur des modèles avec des mailles trop larges car ils ne représentent pas le détail des reliefs montagneux. « Les mailles plus larges sont utiles mais apportent des réponses partielles aux enjeux de la société, il nous faut imbriquer des modèles à haute résolution des régions dans les modèles globaux pour apporter une réponse aux enjeux socio-économiques actuels » conclut Jan Polcher.