En Arctique et en Antarctique, le réchauffement climatique en pole position
De la Norvège à la mer de Béring qui sépare l’Alaska de la Sibérie, s’étend l’Arctique. Dans cette région entre terre, mer, et banquise, les températures peuvent atteindre les -50°C en hiver. Le réchauffement climatique y est particulièrement intense : on estime que la température moyenne dans cette région du globe a augmenté de plus de 3 degrés en 50 ans.
L’avenir incertain du pergélisol en Arctique
Si l’on parle beaucoup de la fonte de la banquise et du réchauffement des océans, le pergélisol est lui peu pris en compte dans les scénarios de projection des effets du réchauffement planétaire. Pourtant, son dégel aurait des conséquences catastrophiques. Une meilleure connaissance et compréhension des modifications du cycle hydrologique dans cette région est un enjeu fondamental pour prédire les impacts du changement climatique à l’échelle planétaire.
Le pergélisol (ou permafrost en anglais), est une partie du sol gelée en permanence, qui s’étend sur plus de 23 000 000 de km² et peut atteindre jusqu’à 1000 mètres d’épaisseur dans les régions les plus froides. Il est recouvert d’une couche supérieure de sol épaisse de 50 cm à 2m appelée couche active, qui dégèle chaque été et gèle de nouveau l’hiver. Malheureusement, ce sous-sol gelé est menacé d’un dégel accéléré.
Le pergélisol se réchauffe depuis les années 1980 à environ 0,3°C par décade, transformant petit à petit des écosystèmes terrestres en des écosystèmes aquatiques. « Les projections sont encore soumises à de grosses incertitudes », explique Antoine Séjourné, géologue (GEOPS-IPSL), « car les modèles n’incluent pas encore précisément le dégel du pergélisol et ses conséquences sur le cycle de l’eau. C’est ce que nous essayons de faire. Notre principale crainte est qu’une partie du pergélisol dégèle et augmente l’épaisseur de la couche active. »
Avec le réchauffement climatique, les transferts d’eau risquent de s’approfondir, « des éléments chimiques jusqu’à présent prisonniers de la glace seraient dissous dans l’eau souterraine et disséminés dans les lacs et les rivières » explique le chercheur. « Cela modifierait la minéralogie de nos eaux, formerait de nouveaux lacs, effondrerait les sols et mettrait en danger des infrastructures… » Ces conséquences catastrophiques se dessinent au fur et à mesure que les chercheurs affinent leurs analysent et leurs modèles d’études.
« On sait aussi que ce pergélisol renferme environ 1 500 milliards de tonnes de carbone, soit deux fois plus que dans l’atmosphère. Si une partie (environ 5-10% selon les études) de ce stock de carbone est relâché dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre, cela ne ferait augmenter encore plus les températures, de l’ordre de 0,1-0,3°C en 2100… C’est un cercle vicieux. » Selon les scénarios les plus optimistes, d’ici à 2100, 30% du pergélisol pourrait disparaître.
Les secrets de la calotte glaciaire en Antarctique
Depuis plusieurs dizaines d’années, l’Antarctique est un véritable continent-témoin pour étudier le changement climatique, ses origines et ses conséquences futures. Si chaque année, les profondeurs glaciaires livrent de nouveaux secrets, ce qui se cache sous la calotte de glace reste encore peu connu. Le projet européen AWARE-ESMs soumis par la climatologue et modélisatrice Masa Kageyama (LSCE-IPSL), a pour ambition de lever le voile sur le rôle de ce continent dans les changements climatiques passés et futurs. Un de ses objectifs est d’intégrer l’activité sous glaciaire dans la représentation du cycle mondial de l’eau, pour mieux prévoir les conséquences futures du changement climatique.
La quasi-totalité de la surface de l’Antarctique est recouverte d’une couche de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur, ce qui rend très compliqué l’observation de son sous-sol, qui nécessite des forages. La dernière grande découverte en date est un gigantesque canyon s’enfonçant à 3500 mètres sous la surface mis en lumière par une équipe de chercheurs américains. « Le fait que l’on manque cruellement de représentation détaillée de l’activité sous-glaciaire fait qu’elle est peu prise en compte dans les scénarios des conséquences du changement climatique, » déplore Masa Kageyama.
Or c’est aussi dans ce sous-sol que se joue l’avenir du climat, la calotte glaciaire étant connectée à la fois à l’océan et à l’atmosphère. Grâce aux éléments théoriques existants, à leurs expériences et en s’appuyant sur l’héritage paléoclimatologique, Masa Kageyama et son équipe vont pouvoir incorporer de nouveaux processus dans les modèles existants pour créer un modèle de pointe qui va coupler calotte, atmosphère et océan.
« En incluant ces hautes latitudes dans nos modèles, les prédictions sur le climat seront d’autant plus fines et pertinentes. Cela nous permettra d’apporter des précisions à beaucoup de questions, comme par exemple : pourquoi la calotte fond, à quelle vitesse, quelle sera sa contribution à l’évolution du niveau de la mer… »
Physiciens, atmosphériciens, océanographes, glaciologues, ingénieurs, statisticiens, climatologues… AWARE-ESMs rassemble une quarantaine d’experts, « dont la moitié sont des femmes, » tient à préciser la chercheuse, qui espère pouvoir faire avancer la connaissance grâce à cette interdisciplinarité.