Drôle d’OISO dans l’océan Indien


Observer l’océan sous ses moindres coutures est une étape fondamentale pour comprendre le fonctionnement des systèmes climatiques et en percevoir les variations. OISO (Océan Indien Service d’Observations) est un Service d’Observation National qui depuis plus de 20 ans récolte des données dans l’océan Indien sud et austral, notamment pour suivre l’évolution des mécanismes de pompe de carbone et d’acidification. Ces zones encore mal documentées jouent pourtant un rôle clé dans les échanges de carbone entre l’atmosphère et l’océan.

A bord du Marion Dufresne, navire français ravitailleur des terres australes et antarctiques françaises, les expéditions se succèdent pour prélever des échantillons de l’océan. Sous la coque du bateau une pompe aspire en permanence l’eau de surface et l’envoie dans le laboratoire OISO à bord. Là sont analysés en continu la salinité de l’eau de mer et les paramètres du CO2 océanique (fugacité, quantité de carbone inorganique dissous, alcalinité) donnant des informations sur les échanges entre l’air et la surface de la mer. Pour certaines mesures comme l’étude des éléments nutritifs, les prélèvements se font manuellement toutes les 4 à 8 heures. Mais le chemin est aussi ponctué de stations fixes que les chercheurs visitent chaque année pour récupérer des données en profondeur. Deux d’entre-elles descendent à plus de 4 000 mètres de profondeur, mais la majorité s’arrêtent à 1 200 mètres : la partie la plus variable de l’océan.

Depuis 1998, OISO organise ces campagnes de mesures des zones subtropicales jusqu’aux eaux polaires de l’océan Indien pour étudier la variabilité des échanges entre l’atmosphère et l’océan. Ils regardent en détail l’évolution de l’absorption du CO2 pour mieux connaître les mécanismes à l’origine de cette séquestration. L’objectif est aussi de mieux visualiser les impacts liés à l’accumulation des rejets de CO2 anthropiques dans l’océan, notamment l’acidification. Les surfaces continentales et l’océan présentent des distributions de CO2 extrêmement variables dans le temps et l’espace. Cela engendre des imprécisions sur les estimations des flux de carbone échangés entre l’atmosphère, l’océan et les continents. « Réduire ces incertitudes aux échelles globale et régionale représente un défi pour notre communauté, pour non seulement mieux comprendre le cycle du carbone et ses interactions mais aussi répondre aux attentes politiques » souligne Claire Lo Monaco, chercheuse au LOCEAN-IPSL et coordinatrice du SNO OISO.

Les données, une brique fondamentale

Les observations OISO sont intégrées dans les synthèses de données internationales et servent à l’évaluation du bilan de carbone planétaire ou encore à la validation de modèles climatiques, comme ceux utilisés par le GIEC. Les données OISO offrent aussi une meilleure connaissance des variations saisonnières, interannuelles et décennales des échanges de carbone entre l’atmosphère et l’océan à une échelle régionale. Les zones océaniques étudiées sont très contrastées, de la zone subtropicale aux eaux polaires, jusqu’aux systèmes particuliers des iles Crozet et Kerguelen. Car les différentes zones océaniques ne jouent pas le même rôle : l’océan absorbe un tiers des rejets de CO2 anthropique, mais il est estimé que la moitié de cette activité à lieu dans l’hémisphère sud, en dessous de 35°S. Plusieurs mécanismes sont à l’origine de ce pompage de carbone : un phénomène biologique et un physique. À l’origine du premier se trouve le phytoplancton. Il capte par photosynthèse le CO2 et l’absorbe, puis nourrit le reste de la chaîne alimentaire ou est reminéralisé dans la colonne d’eau (seulement 1% du CO2 se dépose sous forme de sédiments au fond de l’océan). Le deuxième phénomène est lié au mouvement des masses d’eau, notamment au plongement d’eaux denses qui entrainent du CO2 anthropique dans l’océan intérieur où il est séquestré pour plusieurs décennies, voire plusieurs centaines d’années.

Cependant, ce mécanisme de séquestration a un sévère retour de bâton : l’acidification des océans. En se dissolvant dans l’eau, le CO2 réagit et produit de l’acide carbonique qui se dissocie en libérant des ions hydrogène, réduisant le pH de l’eau. « Il semblerait qu’on observe les mêmes tendances de l’atlantique nord au pacifique sud pour l’acidification, ce qui représente en moyenne 0,02 unité pH par décennie » explique la chercheuse.

« Plusieurs campagnes OISO ont été associées à des projets de recherche avec d’autres laboratoires » indique Claire Lo Monaco. C’était notamment le cas cette année avec le projet SWINGS était de suivre le rôle de l’océan austral dans la régulation du climat.  « De nombreux partenariats existent pour des projets de recherche sur les communautés phytoplanctoniques, leur réponse au changement climatique, comme la modification des apports de nutriments ou encore pour contraindre des études d’impact de l’acidification des océans sur les organismes marins » ajoute la chercheuse. L’étude du bloom phytoplanctonique de Kerguelen dans le cadre des projets KEOPS, KEOPS 2 et SOCLIM pilotés par les laboratoires de Banyuls (LOMIC) et Marseille (MIO) en est un exemple.

L’effet des îles

Dans les îles Kerguelen et Crozet, dans l’océan austral, se passe un phénomène particulier. Bien que l’océan austral soit dans l’ensemble assez riche en macronutriments, on y trouve peu de phytoplancton car peu de concentrations en fer. Mais dans certaines zones localisées comme ces îles subantarctiques, les chercheurs observent une importante fertilisation en fer qui nourrit un grand bloom phytoplanctonique. « Ces phénomènes sont très intéressants pour le pompage du CO2 atmosphérique, ce que nous avons pu évaluer en comparant aux eaux non fertilisées » souligne Claire Lo Monaco.

« Dans ces systèmes très particuliers nous observons une augmentation plus rapide du CO2 et une diminution du pH deux à trois fois plus rapide que dans les eaux non fertilisées, et il nous reste maintenant à comprendre quels mécanismes peuvent expliquer cela » déclare la chercheuse. « La dynamique du développement phytoplanctonique est très intéressante et nous voudrions voir s’il y a eu un décalage dans l’évolution saisonnière de cet évènement » ajoute-elle. Les campagnes de mesure OISO partent généralement en début d’année, et si cette dynamique a évolué il se peut qu’ils arrivent un peu plus tôt ou un peu plus tard dans le cycle saisonnier, ce qui pourrait expliquer une amplification des tendances de CO2 et de pH.

Pour mieux concevoir les particularités du bloom à Kerguelen, le projet SOCLIM a permis d’installer un mouillage d’octobre 2016 à mars 2017. L’intérêt était alors d’enregistrer des données pendant toute la saison de production pour avoir un tableau plus précis de l’évolution du bloom et son impact sur le cycle du carbone dans l’océan. Cela met en valeur l’intérêt d’utiliser des outils de mesure complémentaires. Le SNO OISO a permis également le déploiement de plusieurs flotteurs Argo et BGC-Argo qui dérivent à 1 000 mètres de profondeur, complétant ainsi les observations satellitaires qui enregistrent des données de surface. Toutes les régions océaniques ont leur spécificité et coupler différents outils de mesure pour étudier l’ensemble de ces régions, au niveau international, offre une meilleure compréhension de ce qui se passe globalement dans l’océan.

 

Pour en savoir plus

Campagnes du SNO OISO sur le site de la Flotte océanique française

La campagne SWINGS (South West Indian Geotraces Section)

Claire Lo Monaco


LOCEAN-IPSL