Aires marines protégées : réconcilier activités humaines et santé des écosystèmes


La protection des écosystèmes marins exige des mesures à l’échelle mondiale pour endiguer la perte de biodiversité qu’ils subissent, notamment due au changement climatique et aux activités humaines. La création d’aires marines protégées est un levier important dont disposent les États, mais comment s’assurer de leur efficacité réelle ? Comment les scientifiques en délimitent les contours ? Faut-il y proscrire toute activité humaine ?

En mer, nombre d’organismes marins subissent les conséquences de l’expansion des activités humaines. Dissimulées sous la surface, à l’abri des regards, les perturbations engendrées menacent directement l’intégrité d’écosystèmes. Extraire certaines zones de l’emprise humaine, même partiellement, relève donc d’un enjeu majeur pour l’avenir des océans. Comment identifier une région d’intérêt et lui assurer une protection effective ? Sur quels critères opérer ce découpage ?

Pour les aider à en tracer les contours, les chercheurs utilisent l’écorégionalisation. Cette méthode vise à délimiter des régions dont les paramètres sont assez stables, ainsi que les zones de transitions qui les relient. Ces paramètres tiennent en compte l’océanographie, la biogéochimie et les caractéristiques des masses d’eau – comme leur taux de sels nutritifs et de production de chlorophylle, par exemple – mais aussi la biogéographie, la manière dont sont distribuées les espèces dans l’espace.

« Le but de cette approche est de délimiter de grandes zones géographiques dans l’océan pour pouvoir mieux les gérer et ainsi mieux les protéger », explique Philippe Koubbi, professeur à Sorbonne université, au laboratoire LOCEAN. Il étudie les écosystèmes pélagiques incluant le plancton et les poissons de pleine eau qui vivent dans la zone épipélagique, c’est à dire entre la surface et les premiers 200 mètres de profondeur, ou mésopélagiques jusqu’à 1000 mètres de profondeur.

« Le laboratoire LOCEAN, associé à différents laboratoires du MNHN, de Sorbonne Université et de l’IFREMER a travaillé avec les Terres Australes et Antarctiques Françaises pour définir les aires marines protégées à Crozet, Kerguelen et autour des îles Saint-Paul et Amsterdam », rapporte le professeur.

Ces laboratoires collaborent actuellement à l’échelle internationale, afin de compléter ces aires en haute mer et défendent, depuis 2011, le projet d’une aire marine protégée en Antarctique de l’Est.

Compartimenter les espaces et les usages

La création d’une écorégion peut être motivée par la diversité et l’abondance d’espèces, la productivité marine ou la présence de couloirs de migration de prédateurs. « Nous avons eu ce cas à Crozet par exemple, où une des zones créées est principalement liée au couloirs de déplacement des manchots royaux », illustre Philippe Koubbi.

Lors de la création d’une aire marine protégée, les chercheurs appliquent, entre autres, le principe de représentativité : « Il faut être certain de protéger au moins un certain pourcentage de chaque écosystème, tant pour leur diversité que pour l’importance des espèces qui y sont représentées », précise le professeur. Ainsi, les scientifiques déterminent la valeur écologique propre à chaque espace.

Dans un second temps, l’objectif est d’identifier les potentiels risques pesant sur l’écorégion, pour ensuite définir des mesures de conservation. « C’est à cette étape que se définissent les niveaux d’autorisation d’activité par les décideurs, les parties prenantes et les scientifiques, notamment par rapport à la pêche », explique Philippe Koubbi.

Plusieurs zones à différents degrés de protection cohabitent souvent au sein d’une même aire marine, entre protection stricte, zone de pêche contrôlée ou zone à usages multiples. Pour le chercheur, cette approche est indispensable pour l’ensemble des océans de la planète et aide à améliorer la gestion de ces espaces naturels: « Au lieu de simplement se concentrer sur l’espèce que l’on pêche, celle-ci est considérée dans son écosystème. Il est alors possible de voir dans quelle mesure la pêche peut avoir une incidence sur d’autres espèces de l’écosystème ».

Un risque de dérives ?

Malgré la protection efficace qu’offre la création d’écorégions aux écosystèmes marins, les efforts doivent s’amplifier pour endiguer l’effondrement de la biodiversité. « Au niveau mondial, les objectifs pour tendre vers une protection suffisante et raisonnable des océans ne sont pas tenus », estime Philippe Koubbi. Selon le professeur, les différents niveaux de protection amènent également au constat que certaines aires marines considérées comme protégées ne le sont pas suffisamment.

Dans certains cas, une forme de manipulation pourrait même en découler : « Il est théoriquement possible d’augmenter artificiellement le nombre ou la taille des aires marines protégées sans que la protection soit réellement effective, elles doivent être associées à des plans de gestion et de suivis scientifiques face aux changements globaux. C’est ce qui est à la base des projets dans lesquels nous sommes impliqués dans l’océan Austral. Il faut augmenter la vigilance sur ce point, même si c’est loin de concerner toutes les aires marines protégées », alerte-t-il.

 

Pour aller plus loin

 

Rédigé par Marion Barbé.

Philippe Koubbi


Laboratoire d'Océanographie et du Climat: Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN-IPSL)