Les microplastiques à l’assaut des huîtres perlières


Dans les atolls cristallins de Polynésie française, la culture de l’huître perlière prospère depuis des dizaines d’années, au point de constituer la deuxième ressource économique de la région. Cette activité est d’une importance capitale pour ce territoire et les habitants des îles éloignées. Pourtant, sous l’apparence idyllique de ces eaux turquoises, une pollution menace la pérennité des lagons perlicoles.

« La perliculture s’est développée de manière relativement intensive sans que des normes n’aient été mises en place concernant la gestion des déchets jusqu’en 2017, explique Tony Gardon, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Polynésie Française. Les structures d’élevages importées étaient majoritairement composées de plastique et coûteuses à rapatrier une fois usagées, si bien que ces déchets se sont accumulés dans ces territoires insulaires. »

Issus de la culture de l’huître ces supports ont été stockés, brûlés ou abandonnés au fond des lagons. Par conséquent, les matières synthétiques se sont dégradées sous l’action des rayons UV, de la houle et du vent, générant une pollution quasi invisible : les micro- et nanoplastiques.

Tony Gardon a tenté d’évaluer le risque que représente cette pollution pour l’intégrité biologique de l’huître perlière, après avoir réalisé un premier bilan de la contamination en microplastiques dans les lagons perlicoles dans ses travaux de thèse.

Un métabolisme profondément affecté

Avant de s’intéresser aux conditions de vie réelles de l’animal, plusieurs expériences ont été réalisées en laboratoire. Lors de cette phase préliminaire, Tony Gardon a analysé l’impact des microplastiques sur le bilan énergétique des animaux : « en présence de microplastiques, les huîtres assimilent moins bien les microalgues, qui représentent leur principale source de nourriture. Cela s’expliquerait, d’une part, par le fait que les microplastiques entrent en compétition avec les microalgues dans le milieu environnant de l’huître et, d’autre part, que les microplastiques impactent les mécanismes de digestion une fois ingérés, » détaille le chercheur.

Cet effet sur l’assimilation de nourriture se répercute sur la reproduction des animaux : « À concentrations élevées, elles font même face à un déficit énergétique affectant la reproduction : les animaux métabolisent leurs propres cellules reproductives pour produire l’énergie qui leur manque, » poursuit-il.

Ces premiers résultats ont ensuite été complétés par une autre expérimentation simulant davantage les conditions réelles. Des huîtres perlières ont été exposées à des micro- et nanoplastiques produits à partir de déchets perlicoles en plastique à des concentrations proches d’un scénario environnemental rencontré dans ces lagons. « Nous avons dû collecter les macrodéchets pour les broyer et les tamiser afin d’obtenir des gammes de tailles suffisamment larges (entre 0,4 microns et 200 microns), c’était un travail de fourmi, » confie le docteur.

Au terme de cette expérience, les huîtres ont une nouvelle fois montré les signes d’un affaiblissement de leur métabolisme énergétique : « À une certaine dose d’exposition, la baisse d’assimilation que subissent les individus peut-être compensée par une augmentation de leur rythme d’ingestion : les huîtres filtrent davantage pour augmenter leur apport en nourriture ».

Quel impact sur la qualité de la perle ?

Durant cette dernière expérience, Tony Gardon a également observé une diminution de l’épaisseur des tablettes d’aragonites, des structures minérales produites en couches successives par l’huître sur le nucléus greffé formant la perle de culture. « Nous avons obtenu une épaisseur significativement plus fine chez les huîtres exposées au microplastiques, » affirme-t-il. Au bout de trois mois d’exposition post-greffe, sur les dix-huit que représente un cycle de perliculture complet, les mollusques étaient déjà affectés dans la production de leur perle. « Il s’agit de la première fois qu’un impact sur la qualité de la perle a été mis en évidence dans ces conditions en simulant un cycle de production. Les microplastiques ont donc des répercussions sur la physiologie de l’animal, mais aussi sur ses traits fonctionnels directement liés aux enjeux économiques de la perliculture. » D’où la question : à long terme, cette exposition pourrait-elle conduire à une baisse de la qualité de la perle ?

« Pour l’instant, ces expériences n’ont pu être menées qu’en laboratoire, mais nous souhaitons développer un projet en conditions environnementales, » projette Tony Gardon. Étendre les expériences dans le temps et les réaliser directement dans le milieu semi-fermé des lagons permettrait de mieux comprendre les effets de cette pollution sur l’huître perlière et plus largement sur l’écosystème lagonaire. « Les expériences en conditions environnementales constituent un véritable challenge technique et méthodologique puisque d’autres facteurs de stress interviennent (température, nourriture, etc.). Par exemple, les micro- et nanoplastiques peuvent agir en synergie avec la hausse des températures et abaisser le seuil de tolérance des organismes au stress thermique. Ce type d’approche apportera une compréhension plus complète des impacts de la pollution microplastique ainsi que ses interactions avec d’autres pressions sur le fonctionnement des écosystèmes. »

 

Pour aller plus loin

 

Rédigé par Marion Barbé.

Tony Gardon


Unité Mixte de Recherche Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols (METIS-IPSL)