Séminaire
Gestion locale de l'eau dans un contexte de changement climatique
Sara Fernandez et Amine Saidani
Nouvelle séance du séminaire « Changement Climatique : Sciences, Sociétés, Politique » co-organisé par le Centre Alexandre-Koyré (EHESS-CNRS) et l’ENS (CERES).
Description
Sara Fernandez (INRAE – UMR GEST)
La gestion territorialisée de l’eau à l’épreuve du changement climatique. Le cas de la gestion quantitative de l’eau en France.
La gestion dite quantitative de l’eau renvoie à des processus, progressifs mais non linéaires depuis le début des années 1990 en France, d’institutionnalisation nationale et européenne de la question des modalités d’accès à et de partage de l’eau en situation de rareté. Elle renvoie à des enjeux de pénuries structurelles ou plus conjoncturelles liées à des sécheresses dites météorologiques, hydrologiques ou édaphiques et elle s’appuie sur des savoirs sur les flux et les stocks d’eau, c’est-à-dire des catégories hydrologiques et hydrauliques construites, elles, sur plusieurs siècles.
Dans cette communication, nous proposons de revenir d’abord rapidement sur l’histoire de la construction de ces catégories pour rendre compte de son intrication avec des préoccupations d’ingénieurs aux prises avec l’aménagement des rivières ou l’approvisionnement en eau, des développements de la physique avec une visée qui se veut universelle et des processus de légitimation de manières de gérer l’eau à différentes échelles.
Dans un deuxième temps, nous analysons comment, au XXe siècle, les méthodes et approches d’objectivation des flux et des stocks d’eau ont été associées à la fabrique de prises par l’action publique sur le manque d’eau. Dans le contexte français, à partir des années 1970, nous analysons comment les luttes pour le partage de l’eau façonnent ces dispositifs en partant du sud-ouest (Adour-Garonne), et comment, à partir des années 2000, ces dispositifs sont refaçonnés à l’échelle nationale au nom de l’adaptation au changement climatique.
Dans une troisième et dernière partie, nous présentons deux cas, dans le sud-ouest (Adour-Garonne) et le nord-est (Rhin-Meuse) de la France, sur la manière dont la gestion de l’eau, à une échelle plus locale, est retravaillée par le changement climatique depuis la fin des années 2000.
En conclusion, nous discutons comment des indicateurs et des modèles de la gestion quantitative de l’eau permettent à l’action publique de mettre en cohérence des spatialités et des temporalités et génèrent aussi des impasses. Nous revenons enfin sur la capacité des changements hydro-climatiques en cours, qui fragilisent ou remettent en question les frontières entre gestion de crise et pénurie structurelle, la stationnarité qui fonde les savoirs hydrologiques, les seuils ou zonages, à renouveler les relations entre savoirs et action publique pour équiper des alternatives/bifurcations.
Amine Saidani (ICIREWARD – UMR G-EAU)
Partager des eaux difficiles : La gouvernance communautaire des eaux souterraines par la gestion de la recharge et de l’utilisation.
La recharge intentionnelle et l’utilisation des aquifères pour l’eau potable, l’eau domestique et l’irrigation est l’une des initiatives communautaires les plus élaborées dans la gouvernance des eaux souterraines. Ces communautés font face à des eaux difficiles, à la fois pendant de courtes périodes pour manier les crues soudaines et le ruissellement, et pendant des périodes plus prolongées de sécheresse qui incitent à la sobriété dans l’utilisation de l’eau.
Ces systèmes collectifs ont été perturbés au cours des dernières décennies par le développement massif de forages individuels ; ceux-ci sont apparus pour accompagner la mise en place d’une agriculture intensive basée sur les eaux souterraines et ont conduit à une exploitation non durable des eaux souterraines.
Dans les oasis de la vallée du M’zab, dans le Sahara algérien, nous montrons que le partage de ces eaux difficiles exige, premièrement, une connaissance pratique et partagée des interactions complexes entre les eaux de surface et les eaux souterraines qui sont la propriété collective de la communauté ; deuxièmement, une action collective robuste pour maintenir et exploiter l’infrastructure commune qui subit une adaptation continue aux conditions socio-naturelles particulières et évolutives ; et, troisièmement, des institutions adaptatives pour équilibrer soigneusement les ressources en eau disponibles et leur utilisation frugale.
Notre analyse montre que la gouvernance communautaire des eaux souterraines est ancrée dans les normes et les significations sociales et que celles-ci s’expriment par l’utilisation sobre de ressources rares et par une vigilance constante par rapport à une utilisation irresponsable de l’eau lorsqu’elle menace l’approvisionnement en eau domestique. Ces initiatives communautaires peuvent représenter des sources d’inspiration pour des formes écologiquement durables et socialement équitables de gouvernance des eaux souterraines, même dans des situations très difficiles.
Informations supplémentaires
Cette séance se tiendra à l’ENS – Ulm, 45 rue d’Ulm, Paris 5e, salle Dussane de 14h à 17h.