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Trajectoire de THEMISTO

THEMISTO (Toward Hydroacoustics and Ecology of Mid-trophic levels in Indian and SouThern Ocean)

Campagne océanique sur les écosystèmes pélagiques dans l'océan Indien sud et l'océan Austral

La nouvelle campagne THEMISTO a lieu début 2022 entre La Réunion et les îles Kerguelen, à bord du navire Marion Dufresne. Elle est coordonnée par Cédric Cotté pour le programme THEMISTO et par Claire Lo Monaco pour le programme OISO (LOCEAN-IPSL / CNRS – EcceTerra – IRD – MNHN – SU ).

Date début 02/02/2022
Date fin 06/03/2022

Le programme THEMISTO (Toward Hydroacoustics and Ecology of Mid-trophic levels in Indian and SouThern Ocean) a pour objectif d’identifier les communautés pélagiques sur un large gradient latitudinal et de mieux comprendre leur écologie et leur physiologie. Il s’agit aussi d’étudier le lien avec le contexte environnemental décrit par le programme OISO (Océan Indien Service d’Observation), et de quantifier l’influence des conditions océanographiques sur la structure de ces organismes.

Contexte

Le zooplancton et le micronecton (1) jouent un rôle primordial dans le fonctionnement des écosystèmes polaires où les chaines trophiques peuvent être très courtes. Ils constituent le principal lien entre la production primaire dans ces régions et les échelons trophiques supérieurs. Ces organismes entrent dans l’alimentation de nombreux prédateurs supérieurs comme les poissons de toutes tailles, les oiseaux et les mammifères marins. Jusqu’à nos jours, les études menées sur ces niveaux trophiques intermédiaires dans l’océan austral se sont concentrées dans la zone haut-Antarctique, en particulier dans le sud de l’Atlantique qui abrite les biomasses les plus importantes de krill antarctique (Euphausia superba), l’espèce clé de la zone polaire, également exploitées par la pêcherie. En revanche, le niveau de connaissance concernant la zone subantarctique, où le krill antarctique est absent et où se trouvent d’autres espèces d’euphausiacés, est beaucoup plus faible.

Le programme pluriannuel THEMISTO vise à identifier les communautés pélagiques et leur écologie dans la zone subantarctique de l’océan austral et la région subtropical de l’océan Indien. Un volet sur l’écophysiologie du krill a été ajouté cette année afin d’estimer les adaptations thermiques sur ce groupe clé des écosystèmes pélagiques sur un large gradient latitudinal.

Objectif

L’objectif de THEMISTO est d’étudier la distribution en 3-D du zooplancton et du micronekton et sa variablité en lien avec les phénomènes physiques et climatiques. Parmi ces organismes, les myctophidés (2) et le krill seront particulièrement examinés en raison de leur rôle clé dans les écosystèmes de la zone sud indienne où ils constituent une part importante du régime alimentaires de plusieurs espèces de prédateurs. THEMISTO propose d’utiliser l’acoustique active comme outil de mesure de la distribution et des densités d’organismes.

Ce projet se base sur les équipements acoustiques qui équipent le Marion Dufresne II. Le projet consiste à collecter des mesures en continu par l’échosondeur EK80 (à 5 fréquences, de plus de 2000 m de profondeur pour le 18 kHz jusqu’à 200 m pour le 200 kHz) lors des transits La Réunion-Crozet-Kerguelen-Amsterdam-La Réunion. Les enregistrements acoustiques s’accompagneront de prélèvements réalisés en station en utilisant un chalut mésopélagique. Ceci permettra de :

– distinguer les groupes et espèces de zooplancton et micronecton avec correspondance entre les enregistrements acoustiques et les prélèvements.

– caractériser la variabilité de leur distribution en 3-D sur un important gradient latitudinal (des régions subtropicales à polaires).

– étudier la sensibilité des espèces de krill au changement climatique global avec un cadre multidisciplinaire à la frontière entre la physiologie et la biogéographie.

 

krill@JYToullec

Dates et localisation

Le départ de l’ile de la Réunion vers les îles Kerguelen est prévu le 2 février 2022. Plusieurs étapes sont programmées dont les îles Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam. THEMISTO aura lieu jusqu’au 6 mars 2022 à bord du Marion Dufresne, navire ravitailleur des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

 

Trajectoire de THEMISTO

 

Partenaires

LOCEAN-IPSL

Station biologique de Roscoff

CNRS-INSU

CNES

MNHN

THEMISTO fait partie de la campagne Obsaustral 2022 et est associé aux programmes OISO et OHASIS-BIO.

Notes

1. Le necton représente l’ensemble des organismes vivants capables de se déplacer dans l’eau (par opposition au plancton qui dérive avec les courants). Il s’agit d’un groupe très diversifié englobant par exemple les poissons, les céphalopodes, les mammifères et oiseaux marins et quelques crustacés. Le micronekton regroupe les organismes capables de nage dont la taille varie de 1 à 10 cm environ.

2. Les myctophidés ou poissons-lanternes forment une famille de poissons appelés ainsi du fait de leur remarquable aptitude à la bioluminescence.

 

Carnet de campagne THEMISTO

Retrouvez ici la campagne au jour le jour depuis le Marion Dufresne (et également sur Facebook et Instagram avec #themisto2022)

Jeudi 17 février

Après une semaine d’isolement à la Réunion en raison du protocole sanitaire, nous sommes à bord du Marion Dufresne. Malheureusement, nous attendons encore notre matériel et nous sommes donc restés à quai, en attendant ce fameux porte-conteneur qui contient notre équipement. Les campagnes océanographiques sont souvent ponctuées d’imprévus et la période actuelle en connait un bon nombre !

Et voilà qu’un autre évènement de taille vient changer le planning une nouvelle fois. Après quelques jours au Port, nous avons dû quitter l’île de la Réunion… pour nous protéger ! Le cyclone tropical « Batsirai » est passé sur la Réunion ; On peut voir sa taille imposante sur la photo, prise depuis l’espace.

Passage du cyclone Batisaraï sur la Réunion

 

Voir la vidéo de Léa Bello sur le passage du cyclone

Mercredi 23 février

Un écosystème méconnu

Alors que nous naviguons à la surface de l’océan, sous nos pieds, dans cette colonne d’eau plus ou moins profonde, se trouvent des organismes de tailles variées allant du microscopique jusqu’aux plus grandes baleines au monde ! « Au centre » de cette chaîne alimentaire complexe se trouvent les organismes dits micronectoniques, dont la taille est comprise entre 1 et 20 cm. Ce micronecton est composé principalement de poissons, de crustacés, de mollusques et d’organismes gélatineux ; qui sont des mets de choix pour les populations de prédateurs supérieurs (oiseaux et mammifères) très abondantes dans l’océan Austral !

Entre 200 et 1000 m de profondeur, à l’interface entre les écosystèmes de surface et abyssaux, se trouvent notamment les stocks de poissons les plus importants et les moins exploités de notre planète. Toutefois, leur distribution, leur structuration par l’environnement et leur biodiversité restent très peu connues des océanographes. Afin de pallier à ce manque de connaissances, le programme THEMISTO cherche à comprendre et quantifier les processus par lesquels la variabilité environnementale structure les écosystèmes pélagiques de la zone indienne de l’océan Austral. Dans ces profondeurs a également lieu la migration quotidienne d’organismes la plus importante de la planète. Chaque nuit, les organismes migrent verticalement jusqu’à 1000 m vers la surface, pour s’alimenter toute la nuit et redescendre aux aurores dans les profondeurs. Étudier leur répartition est donc crucial car elle a des répercussions sur la stabilité et la composition des écosystèmes marins mais également sur le changement climatique par le transport de carbone dans les couches profondes des océans, quotidiennement !

Malgré leur importance, les données concernant la distribution spatiale, l’abondance, et la composition du micronecton sont éparses. Pour étudier ces organismes, deux approches complémentaires sont effectuées par le programme THEMISTO : l’échantillonnage biologique et l’observation par acoustique. Nous vous présentons ici le protocole d’échantillonnage biologique, et l’acoustique fera l’objet d’un prochain post !

Les prélèvements sont réalisés au moyen d’un chalut mésopélagique. Il s’agit d’un filet possédant une maille qui diminue graduellement de 4 cm au niveau de l’ouverture à 5 mm à l’extrémité qui permet de collecter des organismes planctoniques de grande taille (macrozooplancton) mais également des organismes micronectoniques. Dans le cadre du programme THEMISTO, l’objectif est d’utiliser les profils acoustiques fournis par l’échosondeur EK80 pour déceler les zones de forte densité afin de définir la profondeur à laquelle on effectue le prélèvement.

Remontée du premier chalut réalisé à la station O1 (27°59’S 54°20’E)
@ Camille Merland, LOCEAN-IPSL

 

A chaque remontée de chalut, les échantillons sont collectés, filtrés puis pesés. Les organismes sont ensuite triés par grand groupe taxonomique. Une fois le tri réalisé, on effectue une pesée de chacun des groupes. Certains paramètres sont également mesurés, notamment chez les poissons pour lesquels on mesure la longueur totale ainsi que la longueur standard. Enfin, les organismes sont observés à la loupe binoculaire et déterminés au moyen de guides taxonomiques et de clés d’aide à l’identification. On identifie la plupart des individus jusqu’à l’espèce ou jusqu’au genre lorsque les critères ou l’état de conservation pour les déterminer ne sont pas suffisants. Parmi les groupes taxonomiques les plus abondants, on retrouve des crustacés tels que les euphausiacés ou les amphipodes mais également certains groupes d’espèces gélatineuses comme les salpes et les siphonophores.

A gauche : exemple de tri par groupe taxonomique. A droite : poste de travail pour l’identification des espèces
@ Camille Merland, LOCEAN-IPSL

 

Il existe des manques importants dans les données concernant les espèces de l’océan Indien sud et la zone indienne de l’océan Austral. Ce travail d’identification permet donc d’apporter des connaissances supplémentaires sur les compositions faunistiques de ces zones mais également de mieux comprendre comment celles-ci évoluent avec la latitude.

A ce stade de la campagne, nous avons pu observer directement ces changements du fait que les stations échantillonnées le long du trajet de Marion Dufresne couvrent plusieurs zones océaniques (de la zone subtropicale à la zone antarctique). Globalement, on observe une augmentation de l’abondance et une diminution de la richesse spécifique avec la latitude.

En zone subtropicale, nous avons observé une forte diversité de crustacés (euphausiacés, amphipodes et décapodes) avec près d’une trentaine d’espèces identifiées. Parmi celles-ci, on retrouve Euphausia gibba ou encore certaines espèces du genre Thysanopoda qui sont des espèces d’euphausiacés subtropicales. Les siphonophores et les ptéropodes sont également des groupes où l’on retrouve une richesse spécifique importante. A l’inverse, en zone subantarctique/antarctique, on retrouve une diversité plus faible et même de la monospécificité pour plusieurs groupes taxonomiques (siphonophores, ptéropodes, salpes). Chez les euphausiacés, on observe des espèces subantarctiques telles que Euphausia triacantha, Euphausia vallentini ou Euphausia longirostris. On retrouve également l’espèce Themisto gaudichaudii, amphipode caractéristique de l’océan Austral.

a. Thysanopoda aequalis (euphausiacé). b. Clio pyramidata (ptéropode). c. Colonie de bracts d’Agalma okenii (siphonophore). d. Nectophore d’Agalma okenii (siphonophore).

A gauche : Euphausia longirostris (euphausiacé). A droite : Themisto gaudichaudii (amphipode)

 

Mercredi 2 mars

Observation par acoustique active

Comme indiqué précédemment, deux méthodes complémentaires sont utilisées pour étudier le micronecton : le prélèvement d’individus (poissons, gélatineux, crustacés) et leur étude par l’acoustique active, une méthode d’observation non-intrusive.

De fait, pour suivre la distribution verticale et horizontale du micronecton, depuis notre départ de la Réunion, de jour comme de nuit, qu’il vente (c’est souvent le cas) ou qu’il pleuve, nous scrutons attentivement nos données acoustiques enregistrées par l’échosondeur multifréquence EK80 du Marion Dufresne. Ce dernier émet, toutes les 3 secondes, 5 ondes sonores dans la colonne d’eau et enregistre les signaux réfléchis par les organismes qu’il rencontre dans son faisceau : il nous permet d’observer les densités d’organismes entre la surface et plus de 1000 m de profondeur, appelée couche mésopélagique. Notre objectif est d’étudier la distribution en 3-D et la variabilité du zooplancton et du micronecton, en lien avec les phénomènes physiques et climatiques.

Ecrans d’informations en temps réel @CédricCotté

Cette photo montre les écrans projetant en temps réel les informations de (i) navigation (haut droit), (ii) trajectoire (bas droite) et (iii) du sondeur de bord (haut gauche). Sur ce dernier, la densité acoustique mesurée (dB) est exprimée en fonction de la profondeur : plus la couleur est chaude plus la densité acoustique est importante. Lloyd IZARD, doctorant au LOCEAN-IPSL, pointe vers une couche d’organisme d’intérêt à échantillonner, vers 500 m de profondeur.

 

 

Micro-sonar sur rosette CTD @CédricCotté

Durant cette campagne, une expérience inédite est également menée. A chaque station océanographique (programme Océan Indien Service d’Observation) nous déployons un micro-sonar que nous accrochons sur la rosette de CTD (Conductivity Temperature Depth). Cette sonde mesure, entre autres, la salinité et la température en fonction de la profondeur. Elle est déployée jusqu’à 1200 m de profondeur. Les données acquises par le microsonar lors de sa descente dans la colonne d’eau sont ensuite comparées aux données acquises par l’échosondeur multifréquence de bord.

 

Micro-sonar sur filet @CédricCotté

Le microsonar est également déployé lors des prélèvements au filet afin de comparer les prises et leur signature acoustique.

 

 

 

 

 

 

Micro-sonar sur éléphant de mer @C.Guinet

Le micro-sonar est, comme son nom l’indique, un sonar miniature déployé depuis 2017 sur les éléphants de mer de la colonie de Kerguelen, une des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Ce capteur utilise l’acoustique active pour offrir une image (appelée échogramme) des cibles rencontrées par les phoques lors de leur voyage en mer pour se nourrir. Il permet ainsi d’étudier la taille, l’abondance et la distribution verticale et horizontale d’organismes zooplanctoniques, microtectoniques et autres particules.

 

Étant donné leur inaccessibilité, les écosystèmes mésopélagiques font partie des écosystèmes les moins connus de la planète. De plus, l’immense biodiversité d’organismes, dont la dynamique spatiale et temporelle varie, rend encore plus complexe notre compréhension de son fonctionnement. Si l’acoustique active est une méthode d’observation pertinente, la réponse en fréquence des organismes varie en fonction des ondes émises : étudier la relation entre les organismes échantillonnés et les densités enregistrées -et à quelle profondeur- permet de mieux interpréter les données. De la même manière, l’étude conjointe des données acquises par l’EK80 (échosondeur multifréquence du Marion Dufresne) et le microsonar nous aidera à avoir une meilleure interprétation des cibles mesurées par les deux instruments.

 

Jeudi 3 mars

Krill-Ecophy

La partie dite « krill-écophy » du programme Themisto possède plusieurs objectifs. Le premier s’intègre en soutien direct du programme en permettant, grâce aux différents traits de chaluts déployés, de tenter d’établir un lien entre les données acoustiques visibles sur les écrans et les contenus des filets. Le second objectif est plus spécifique de la partie krill et vise à compléter une banque de données en cours de réalisation sur les euphausiacés. Cette banque a pour finalité de mettre à disposition de la communauté scientifique les transcriptomes du plus grand nombre d’espèces possibles appartenant à ce taxon. Enfin, lorsque le nombre d’échantillons en bon état d’une même espèce est disponible, des chocs thermiques sont appliqués sur les animaux, soit en incrémentation par exemple une augmentation d’0,1°C/min pour estimer une résistance en termes de CT50 (CT = Critical Temperature, c’est à dire la température à laquelle la moitié de la population testée ne répond plus à un stimulus), soit en choc constant de plusieurs degrés au-dessus de la température d’origine afin de connaitre et mesurer les réponses des organismes au niveau moléculaire dans le cadre d’un réchauffement. Malgré les aléas rencontrés au cours de cette campagne, les objectifs ont été globalement atteints.

 

 

 

Suivre Themisto sur youtube avec Léa Bello depuis le Marion Dufresne.