[Journée mondiale de l’eau] « Une ressource qui devient rare en France »
Frappée par une vague de sècheresse hivernale inédite, la France fait face à un déficit d’eau majeur.
Agnès Ducharne, directrice de recherches CNRS au laboratoire Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols (METIS-IPSL), travaille depuis 20 ans sur les liens entre le climat, le cycle de l’eau et les ressources hydrologiques en France.
En cette journée, la chercheuse alerte sur le manque d’eau lié aux sécheresses et prône pour une gestion durable de cette ressource, à l’heure du changement climatique.
Aujourd’hui c’est la Journée mondiale de l’eau : comment se porte cette ressource en France ?
Les ressources d’eau en France sont, d’un point de vue quantitatif, basses. Beaucoup plus basses par rapport à la moyenne en cette période de l’année. Depuis le début de l’hiver dernier, nous cumulons des déficits de précipitations pratiquement tous les mois.
À cela, s’ajoute une évaporation qui augmente tous les ans à cause du réchauffement climatique et aussi le prélèvement, de plus en plus fréquent, de l’eau de ressources : des rivières et des nappes phréatiques en particulier.
Cet hiver, la France a manqué de pluie pendant 32 jours. Quelles conséquences sur le court et le moyen terme ?
Le problème d’un long déficit de pluie en hiver, c’est que les sols et les nappes phréatiques peinent à se recharger. Et si on n’a pas une bonne recharge des nappes phréatiques l’hiver, on aura une mauvaise alimentation des rivières en été. On partait déjà avec des niveaux relativement bas de l’humidité des sols et des nappes dans une bonne partie du territoire français, avec plus d’un mois sans pluie, la situation s’aggrave.
Les précipitations remplissent plusieurs fonctions : l’eau peut s’infiltrer dans les sols, éventuellement dans les nappes, ce qui va alimenter, en grande majorité, la transpiration des plantes et derrière, la production végétale et agricole. Une autre partie de l’eau va ruisseler et rejoindre les rivières.
Au printemps, quand la durée du jour et l’apport d’énergie par le soleil augmentent, la végétation repart et il y aura plus d’évaporation. Si l’évaporation augmente, la part de précipitations, susceptible de percoler plus bas que le sol et de recharger les nappes phréatiques, devient faible.
Le gouvernement devrait dévoiler un grand plan de sobriété de l’eau d’ici la fin du mois. Sommes-nous en mesure de gérer cette ressource, qui risque de devenir rare en France ?
Qui devient rare en France. Et qui, si les projections climatiques et hydrologiques de l’IPSL sont vraies – ce que je crois – va devenir de plus en plus rare surtout en été. Or, le problème est qu’on consomme davantage d’eau en été.
La réutilisation des eaux usées paraît une bonne idée. C’est une solution largement employée dans des zones plus arides, mais je ne pense pas, cependant, qu’elle puisse avoir un impact à grande échelle. Elle ne peut se faire qu’à proximité des stations d’épuration. L’eau est assez difficile à transporter, il y a beaucoup de perte en ligne.
Les investissements prévus dans le stockage de l’eau et la construction de retenues artificielles, pose un certain nombre de questions, à la fois en termes d’efficacité et en termes d’impact sur les usagers de l’eau. Un exemple : si on prend de l’eau en amont d’un bassin versant et qu’on la consomme pour arroser des champs autour de ces retenues, l’eau n’est plus disponible sous forme liquide pour alimenter les usages en aval, en particulier les villes, les industries et les centrales électriques. Ce ne sont pas des usages anodins.
Et surtout, ces investissements n’auront un impact que sur le moyen terme. Cet été, si les précipitations restent faibles et la sècheresse se prolonge, il faudra forcément passer par des politiques incitatives pour réduire notre consommation d’eau dans tous les secteurs. En particulier ceux qui consomment le plus : l’agriculture la production de l’électricité et l’eau potable.
Y a-t-il un impact du changement climatique sur la qualité de l’eau en France ?
À cause du réchauffement climatique, la qualité de l’eau douce se dégrade. Les rivières et les nappes phréatiques sont déjà polluées par un certain nombre de substances, notamment les nitrates, les pesticides et les perturbateurs endocriniens, principalement apportés par les activités agricoles et industrielles.
Les agences de l’eau prennent de mesures pour essayer de résoudre ces problématiques et des directives cadres européennes existent pour tenter d’améliorer la qualité d’eau. Mais quand on fait face à des sècheresses, les polluants se concentrent et les problèmes de pollution augmentent.
Pour un certain nombre d’usages, en particulier pour l’eau potable, la qualité de l’eau à la source reste un enjeu important.
Instituée par l’ONU en 1922, la Journée mondiale de l’eau est consacrée à la gestion durable de cette ressource et à la sensibilisation autour des problématiques qui la touchent. Un accès à l’eau salubre, et aux services d’assainissement de base, mais aussi l’adaptation aux conséquences du changement climatique et la lutte contre la pollution sont les principaux défis à relever.