Un fort puits de CO2 océanique observé dans l’océan Indien


L’effet du bloom phytoplanctonique au sud-est de Madagascar en 2020

Une analyse basée sur les observations océaniques conduites en janvier 2020 dans l’océan Indien dans le cadre du programme OISO montre que les concentrations de CO2 océanique ont fortement diminué sous l’effet d’un bloom phytoplanctonique très prononcé au sud-est de Madagascar et étendu sur une large région dans le domaine subtropical généralement considéré oligotrophe (peu productif).

Comparées aux années 1991-2019, ces nouvelles observations indiquent que cette région a été le siège d’un puits de CO2 océanique très marqué en 2020. Ces travaux menés par les équipes du LOCEAN-IPSL et du LSCE-IPSL sont publiés dans la revue Biogeosciences (Metzl et al., 2022).

En janvier 2020, au cours de la campagne océanographique OISO-30 conduite à bord du Marion-Dufresne (figure 1), les concentrations de CO2 océanique dans la zone subtropicale de l’Océan Indien Sud étaient particulièrement faibles comparées aux années précédentes (figure 2) ; l’océan agissait en qualité de puits de CO2 alors que cette région est généralement proche de l’équilibre voire une source de CO2 pour l’atmosphère en été austral. Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs ont associé les mesures de CO2 avec des observations de chlorophylle-a satellitales (figure 1) accompagnées de mesures de sels nutritifs et de fixation de N2 réalisées durant la campagne.

Figure 1. Carte de la concentration océanique de chlorophyll-a en janvier 2020 (Chl-a en mg.m-3) à la surface de l’océan dans la zone de l’Océan Indien Sud-Ouest. Les couleurs jaune-rouge identifient le « bloom » phytoplanctonique prononcé et étendu en janvier 2020 au large de Madagascar. Le trajet orange représente la trace de la campagne OISO-30 partie depuis la Réunion. Le cercle noir autour de 27°S indique la zone sélectionnée pour comparer les observations de CO2 obtenues depuis 1991 dans cette région (figure 2). Adapté de Metzl et al. (2022).

 

Figure 2. Série temporelle des observations de fCO2 océanique disponibles de 1991 à 2020 dans la zone 27°S-28°S/55°E (cercle noir sur la figure 1) pour les mois de janvier-février. La courbe rouge représente le CO2 atmosphérique. Sont représentées toutes les données (point noirs) et les moyennes (triangles gris) dans la zone sélectionnée. En 2020, durant la forte activité biologique au sud-est de Madagascar, les mesures de fCO2 réalisées durant la campagne OISO-30 sont bien inférieures au niveau atmosphérique : l’océan agit en qualité de puits de CO2. À noter que les fCO2 en 2020 sont également faibles comparées aux autres années, alors que le fCO2 océanique devrait progressivement augmenter dû à l’accroissement de CO2 anthropique dans l’océan comme cela est révélé par les données sur la période 1991-2019. Adapté de Metzl et al. (2022).

 

En été austral, de décembre 2019 à janvier 2020, la région était le siège d’un fort bloom phytoplanctonique d’une intensité jusqu’à présent jamais observée, probablement lié à la présence d’espèces diazotrophes (phytoplancton fixateurs de N2). Complété des résultats d’un modèle neuronal développé au LSCE pour reconstruire les champs de CO2 océanique (Chau et al., 2022), les chercheurs ont estimé que ce bloom phytoplanctonique a engendré en un mois un puits de CO2 océanique de l’ordre de 1 TgC.mois-1 (Teragramme de carbone).

Labo OISO. Vue d’artiste. © Christophe Verdier

 

Cet événement biologique particulièrement marqué en 2020 représente un cas d’école pour tester les modèles océaniques qui tentent de reproduire les cycles biogéochimiques marins et mieux comprendre les mécanismes qui pilotent le phytoplancton, en particulier les espèces diazotrophes encore mal représentées dans les modèles (Bopp et al., 2021). Or, certains modèles suggèrent que ce processus de diazotrophie pourrait être plus prononcé dans un océan plus chaud et stratifié conduisant à une augmentation de la production primaire marine et donc de la pompe biologique de CO2.

Dans le contexte du changement climatique et d’un océan qui se réchauffe depuis des décennies, les nouvelles observations de CO2 obtenues en 2020 dans l’Océan Indien peuvent être utiles pour tester et améliorer les simulations des échanges de CO2 entre l’océan et l’atmosphère dans le futur.

Pour en savoir plus

Références

Metzl, N., Lo Monaco, C., Leseurre, C., Ridame, C., Fin, J., Mignon, C., Gehlen, M., and Chau, T. T. T.: The impact of the South-East Madagascar Bloom on the oceanic CO2 sink, Biogeosciences, 19, 1451–1468, https://doi.org/10.5194/bg-19-1451-2022, 2022.

Bopp, L., Aumont, O., Kwiatkowski, L., Clerc, C., Dupont, L., Ethé, C., Séférian, R., and Tagliabue, A.: Diazotrophy as a key driver of the response of marine net primary productivity to climate change, Biogeosciences Discuss. [preprint], https://doi.org/10.5194/bg-2021-320, in review, 2021.

Chau, T. T. T., Gehlen, M., and Chevallier, F.: A seamless ensemble-based reconstruction of surface ocean pCO2 and air–sea CO2 fluxes over the global coastal and open oceans, Biogeosciences, 19, 1087–1109, https://doi.org/10.5194/bg-19-1087-2022, 2022.

Remerciements

Le programme OISO (Océan Indien Service d’Observations) est soutenu par l’INSU (Institut National des Sciences de l’Univers), l’OSU Ecce-Terra (Sorbonne Université) et les programmes SOERE/Great-Gases et ICOS-France. Une partie de ce travail entre dans le cadre du projet ITALIANO soutenu par le programme LEFE (Les Enveloppes Fluides et l’Environnement) de l’INSU. Nous remercions l’IPEV (Institut Polaire Paul-Emile Victor) et la Flotte Océanographique Française (FOF) pour leur soutien financier et logistique pour le programme OISO et la campagne OISO-30 (https://doi.org/10.17600/18000679). Chaleureux remerciements aux capitaines et équipages du R.R.V. Marion Dufresne et aux équipes de l’IFREMER, GENAVIR et IPEV.

Les illustrations sont extraites de « Un Peintre dans l’Océan Austral », Christophe Verdier. Reportage à bord du Marion-Dufresne, Marines Editions, mai 2005.

Contacts

Nicolas Metzl, LOCEAN-IPSL (Sorbonne Université-CNRS-IRD-MNHN) • 

Claire Lo Monaco, LOCEAN-IPSL (Sorbonne Université-CNRS-IRD-MNHN) • 

Céline Ridame, LOCEAN-IPSL (Sorbonne Université-CNRS-IRD-MNHN) • 

Lire la brève publiée sur le site de l’INSU.

Nicolas Metzl, Claire Lo Monaco et Céline Ridame


LOCEAN-IPSL