Maximum thermique et avenir climatique
Comment la vague de chaleur record du Maximum Thermique dessine les contours de notre avenir climatique ? Il y a 56 millions d’années, le passage du Paléocène à l’Eocène a été marqué par la plus rapide et importante perturbation climatique de l’ère géologique du Cénozoïque. Cette période caractérisée par un réchauffement exceptionnel, est qualifiée d’« hyperthermal » et connue sous le nom de Maximum Thermique, du Paléocène-Eocène, ou PETM.
Formidable source d’informations pour comprendre le changement climatique moderne, ce phénomène fait partie des domaines d’étude de la paléoclimatologie, spécialité de Pierre Sepulchre, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL).
Le climat à l’épreuve du temps
La paléoclimatologie étudie les climats passés et leurs variations pour comprendre les crises écologiques et climatiques, grâce à la géochimie, les analyses isotopiques et la modélisation informatique. Elle a permis jusqu’à présent de reconstituer les variations globales de température depuis 550 millions d’années jusqu’à aujourd’hui, période tempérée interglaciaire.
« En se tournant vers le passé, la paléoclimatologie permet à la fois de mieux comprendre les grands mécanismes qui régissent le climat de notre planète et de mieux envisager l’avenir, en mettant en perspectives le changement climatique d’origine anthropique avec les changements climatiques anciens et leurs conséquences sur le vivant », rappelle Pierre Sepulchre. C’est une science essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Sous le soleil de l’Arctique
Il y a environ 56 millions d’années, la planète Terre a connu un changement climatique d’une brutalité historique : le Maximum Thermique du passage Paléocène-Eocène. La température a alors augmenté d’environ 5 à 7°C, en seulement quelques milliers d’années. « Le PETM est l’un des exemples les plus rapides et dramatiques de changement climatique de l’histoire » affirme Pierre Sepulchre, chercheur de l’IPSL.
« Ses causes font toujours l’objet de débats, mais il y a un parallèle fait avec le changement climatique moderne, car même si les échelles de temps diffèrent, dans les deux cas, il s’agit d’un réchauffement global du système lié à un relargage massif de carbone dans l’atmosphère et l’océan. Ce qui est absolument clair, c’est que les effets du PETM ont été considérables et ont changé le cours de la vie sur Terre » ajoute-il.
Pour simuler ce climat ancien, les chercheurs ont besoin de connaître et reproduire la topographie terrestre passée. Or il y a 55 millions d’années, elle ne ressemblait en rien à celle que nous connaissons. L’Isthme de Panama ne connectait pas les parties Nord et Sud du continent américain. La Méditerranée était ouverte sur l’océan indien. Le passage de Drake, large bras de mer qui sépare l’Amérique du Sud et l’Antarctique, était fermé, ce qui empêchait l’isolation thermique de l’Antarctique.
« La modélisation des isotopes stables de l’oxygène dans les eaux de pluies nous a permis d’apporter de nouvelles contraintes sur la surrection du plateau tibétain, par exemple ». Les niveaux de CO2 dans l’atmosphère étaient également très différents de l’actuel il y a 56 millions d’années.
« On estime que lors du PETM, la concentration en CO2 atmosphérique, qui était déjà certainement au moins 2 fois supérieure à celle que nous connaissons aujourd’hui, a été brutalement multipliée par 2 ou 3 en 5 à 10000 ans. Ce sont autant d’éléments qui expliquent l’absence à cette période sur Terre de calotte glaciaire. La température et le régime hydrologique de l’Antarctique autorisaient alors la présence de forêts tempérées à Nothofagus, le hêtre austral dont on trouve de descendants de nos jours en Patagonie. A 60°S, la température moyenne de l’océan de surface était d’environ 30°C, des valeurs que l’on retrouve actuellement dans les tropiques, » précise le chercheur de l’IPSL.
Une étude publiée en 2012 dans la revue Nature, fait d’ailleurs état de fossiles de pollens de fougères et de palmiers, découverts lors d’un forage à un kilomètre de profondeur en Antarctique. Une véritable forêt tropicale, dans laquelle d’autres chercheurs ont révélé avoir découvert des fossiles d’ancêtres de crocodiles. Quelques années plus tard, en 2017, une nouvelle équipe internationale de spécialistes des pollens a mis en lumière l’existence durant le PETM d’une forêt de mangroves au Pôle Nord.
Pour quelques degrés de plus…
Avec une température moyenne qui a atteint entre 25 et 32°C, contre 15°C aujourd’hui, les conséquences sur les circulations océanique et atmosphérique ont été colossales. Les experts en paléoclimatologie ont pu observer un bouleversement du cycle du carbone, qui pourrait expliquer ce changement brutal de température. « On pense qu’il y a eu un énorme relargage de CO2 dans l’atmosphère, et ce en seulement quelques milliers d’années ». 150 000 ans ont ensuite été nécessaires à la Terre pour parvenir à absorber cet excès de carbone, et se refroidir.
La diminution de l’oxygène en eau profonde a entraîné l’extinction de nombreuses espèces marines. « Des fouilles paléontologiques dans le Wyoming ont permis de dévoiler un turn over monstrueux dans la faune, avec des phénomènes d’extinctions, de radiations et même de réduction de taille comme chez les ancêtres des équidés » révèle le chercheur, qui ajoute que « dans certains enregistrements 50% des foraminifères se sont éteints à cette période ». Ces organismes unicellulaires, très sensibles aux changements environnementaux, se révèlent être de très bons indicateurs des variations de température des océans.
L’exploration des climats anciens est un véritable banc d’essai pour les modèles de climat actuels. « Cela permet notamment de comparer les modèles des différents groupes entre eux, comme dans le cadre de l’exercice d’intercomparaison deepMIP, dans lequel mon collègue Jean-Baptiste Ladant et moi-même sommes impliqués. Nous pouvons notamment voir comment nos modèles réagissent à un doublement de CO2 en période chaude, et les comparer aux enregistrements climatiques » explique Pierre Sepulchre.
« En nous plongeant dans l’histoire climatique de notre planète, nous comprenons aussi mieux quand et comment sont apparus certains modes de circulation particuliers, comme les circulations de mousson ». Avec le botaniste de l’IRD Thomas Couvreur, le chercheur s’intéresse particulièrement à l’impact que ces changements climatiques ont eu sur les tropiques et sur la mise en place de la biodiversité dans ces régions.
Aujourd’hui l’émergence de nouvelles méthodes géochimiques, statistiques, ainsi que les avancées continues en modélisation du climat, aident à l’évaluation de plus en plus fine du climat futur. Pour autant, la communauté scientifique s’inquiète de la vitesse record à laquelle la planète se réchauffe : le relargage de CO2 par l’humanité se fait à une cadence 4 à 10 fois plus élevé que celle du PETM, l’un des événements hyperthermaux les plus brutaux enregistrés dans notre passé géologique.
Pour aller plus loin
L’évolution des continents depuis le Paléocène, vidéo de Straume et al. 2020.