Hypoxie en milieu côtier : revenir aux sources du problème


Chaque année, de nombreuses zones côtières sont perturbées en correspondance des estuaires et des deltas des fleuves, à cause du manque d’oxygène. Bien que naturel, ce phénomène est soumis à l’impact des activités humaines : l’équilibre est modifié et les épisodes d’hypoxie se multiplient.

Fuite des poissons, asphyxie des organismes en eaux profondes…périodiquement, les milieux côtiers font face à des scènes de désolation. En cause : l’appauvrissement du milieu en oxygène, appelé hypoxie. « En milieu côtier, les limites de teneur en oxygène correspondent à 20% de la concentration normale, explique Christophe Rabouille, directeur de recherche en océanographie au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE). C’est la limite à partir de laquelle on considère que les organismes commencent à subir un stress et à quitter les zones concernées ».

Plusieurs conditions doivent concorder pour que ce phénomène se produise. La première est que les eaux des fonds reçoivent un surplus de matière organique. Cette accumulation dépend souvent des apports de sels nutritifs par les rivières, favorisant le développement du plancton qui s’en nourrit et qui, par conséquent, produit une grande quantité de matière organique. « Les eaux de fond sont une sorte de marmite, où les micro-organismes consomment la matière organique, et donc de l’oxygène », résume Christophe Rabouille.

Pour absorber la surabondance de nutriments, les micro-organismes consomment de l’oxygène plus vite et en plus grande quantité. Or, ce ne serait pas vraiment un problème, si l’oxygène dissous continuait à pénétrer dans les masses d’eau : « dans les régions côtières, un flux d’oxygène se transfère continuellement depuis l’atmosphère vers les eaux de surfaces puis, par mélange, vers les eaux de fond », poursuit le chercheur.

En revanche, si le couvercle de la « marmite » se ferme, il ne reste dans la zone que l’oxygène de départ, qui finit par être consommé. Cela se produit lorsque la colonne d’eau se stratifie et donc cesse de se mélanger. Cette stratification peut être provoquée par le réchauffement estival des eaux en surface, qui les rend moins denses que les masses d’eaux profondes : « La zone de surface continue d’échanger avec l’atmosphère, mais elle ne se mélange plus avec les eaux profondes plus froides ». À cette stratification thermique s’ajoute celle provoquée par l’apport d’eau douce des fleuves. Ces eaux, étant moins denses que l’eau de mer, « flottent » et coupent ainsi tout contact entre eaux profondes et eaux de surface.

Une amplification d’origine humaine

Si les épisodes hypoxiques surviennent naturellement de temps en temps, les activités humaines influencent leur ampleur et leur fréquence.

« Les enregistrements du début du XXe siècle semblent indiquer que ce phénomène arrivait beaucoup moins souvent avant l’apparition des engrais de synthèse dans les années 70, rapporte Christophe Rabouille. Dans le cas du Mississippi, par exemple, on pense que depuis ces années, la surface de la zone hypoxique a triplé en moyenne ! » Ces engrais s’infiltrent dans les sols, les nappes phréatiques et pénètrent dans le réseau hydrologique, dont la course se termine dans les mers côtières en aval des estuaires et deltas. « Bien qu’il soit difficile de quantifier ces épisodes avant les premières campagnes de mesures des concentrations en oxygène, il est certain que les activités humaines amplifient les épisodes hypoxiques , insiste le chercheur, le phénomène est principalement observé à l’embouchure des cours d’eau eutrophisés, en Europe et sur la côte est des Etats-Unis, par exemple. Il y a un lien très fort entre l’utilisation de nutriments pour l’agriculture ou l’élevage, et l’hypoxie ».

En été, l’augmentation des vagues de chaleur dues au changement climatique, contribue également à créer les conditions pour une stratification des eaux encore plus forte, favorable à l’hypoxie. Aujourd’hui, l’impact de cette tendance sur les écosystèmes est en cours d’étude, mais les données montrent que les épisodes de grande ampleur affectent directement les écosystèmes et les ressources de pêche.

Réguler les engrais

Les problèmes d’hypoxie sont également reliés à une question dont l’étendue temporelle se compte en dizaines d’années : est-ce que réduire l’apport de sels nutritifs pourrait suffire ? « Ce n’est pas évident, car il existe des nutriments dit “hérités”, très présents dans l’environnement et dans les nappes phréatiques. Leur lessivage pourrait prendre des années à un siècle, dans l’hypothèse d’un arrêt des apports », répond Christophe Rabouille. Alors, que faire si cette pollution par les sels nutritifs ne peut être interrompue d’un seul coup ?

Pour le biogéochimiste, l’incertitude concourt à l’urgence d’agir : « Il faut commencer à réguler ces apports d’autant plus tôt qu’on ne sait pas exactement combien de temps la pollution mettra à disparaître, ni à quel point le phénomène, combiné au changement climatique, fragilise les écosystèmes ».

Pour aller plus loin

 

Rédigé par Marion Barbé.

Christophe Rabouille


Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE-IPSL)