Changement climatique : l’histoire d’un consensus
Le changement climatique est un phénomène provoqué par les émissions de gaz à effets de serre des activités humaines. Ce simple énoncé est aujourd’hui une réalité scientifique indéniable et fait l’objet d’un consensus extrêmement solide. Mais comment la communauté scientifique en est-elle arrivée à cette conclusion ? Quelle est l’histoire de ce tableau si fiable ?
En 1896, le physicien suédois Svante August Arrhenius publia des travaux qui révèleront, tout au long 20ème siècle, leur nature prophétique quant aux évolutions actuelles du climat. Alors qu’il avait déjà évalué les variations de concentrations en CO2 de l’atmosphère entre les périodes glaciaire et interglaciaire, obtenant des valeurs proches de celles dont on dispose aujourd’hui, une autre question lui vint : « Il s’est demandé ce qu’il se produirait si la concentration en CO2 de l’atmosphère augmentait du fait des activités humaines », raconte Gilles Ramstein, paléoclimatologue au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL). « Il a trouvé, par un calcul assez rudimentaire, que le doublement de la quantité de CO2 conduirait à une augmentation des températures de l’ordre de 4 ou 4,5°C.» Si à l’époque, il avait imaginé que cette augmentation s’étalerait sur plusieurs milliers d’années, près de 125 ans plus tard nous savons qu’elle peut intervenir bien plus vite.
Les premiers signes de cette évolution inquiétante ont été observés dès 1959 par Charles Keeling, dans la première station de mesure de concentration atmosphérique du CO2 à Hawaï. Au cours des décennies suivantes, d’autres équipes ont effectué des mesures partout dans le monde, confirmant une tendance globale : « D’année en année, les données révélaient une augmentation de la quantité de CO2, ainsi que du méthane (CH4) et du protoxyde d’azote (N2O) », relate le paléoclimatologue. Mais comment savoir si cette évolution était “normale” ? C’est l’étude des climats passés qui répondra à cette question.
Comparer passé et présent
Les sciences du climat connurent un tournant dans les années 60, lorsque le développement des ordinateurs a offert aux scientifiques des possibilités de calculs inédites : les équations de la mécanique des fluides pouvaient désormais être simulées dans des modèles en trois dimensions représentant la totalité de l’atmosphère. La recherche sur les modèles climatiques prit alors son essor, mais restait limitée par la puissance de ces machines à calculer ainsi que par l’absence de simulation de l’océan, un des deux principaux fluides transportant la chaleur à la surface de la Terre, à l’instar de l’atmosphère. Les années 90 furent marquées par le couplage de ces deux entités et, en parallèle, la possibilité de produire des simulations de longues durées, nécessaires pour modéliser la lenteur de la dynamique océanique bien supérieure à celle de l’atmosphère.
« Des chercheurs ont pu s’intéresser à l’effet des chaînes de montagnes sur le climat, ainsi qu’aux contextes climatiques qui ont conduit au développement des calottes de glace, mais ils se sont surtout intéressés aux impacts climatiques des variations des paramètres orbitaux, régissant la périodicité des cycles glaciaires et interglaciaires », détaille Gilles Ramstein. Étudier les causes de l’alternance de ces phases climatiques fût déterminant pour les paléoclimatologues, car elle leur donnait la possibilité de reconstituer les climats passés et de les comparer aux données actuelles.
Une découverte aux retentissements politiques
En 1987, trois publications démontrèrent qu’il était possible de retrouver la composition atmosphérique des climats passés. Cela grâce aux bulles d’air piégées sous les calottes de glace en Antarctique il y a des milliers d’années, venant étoffer la compréhension des variations climatiques terrestres. « Les prélèvements ont permis de démontrer que la concentration en CO2, avant l’apparition des activités humaines, était toujours restée dans une petite fenêtre comprise entre 180 ppm et 280 ppm, qui variait suivant les phases glaciaires et interglaciaires », précise le chercheur.
Rédigé en 1978, le rapport Charney et les travaux des équipes de Hansen notamment, alertent la sphère politique et motivent la création du groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1988, qui fournira son premier état des lieux des connaissances scientifiques sur le climat en 1990. Pour autant, le réchauffement climatique n’est, à l’époque, pas entièrement avéré. Les rapports successifs le considèrent d’abord comme un risque, avant d’affirmer sa certitude et de préciser sa quantification temporelle et spatiale d’année en année.
Par Marion Barbé pour IPSL