Incertitudes en eaux profondes – Casimir de Lavergne


Les profondeurs des océans sont encore largement méconnues. Pourtant, dans un contexte où chaque élément du système climatique se trouve perturbé et où la dynamique des océans y tient un rôle majeur, l’enjeu est de taille.

Comment sont étudiés les courants marins profonds ? Pourquoi est-il si compliqué d’accéder aux données que renferment les abysses océaniques ?

Il transporte l’énergie et les nutriments, stocke du carbone et participe à la régulation de la température à la surface de la Terre : l’océan est incontestablement une pièce majeure de la machinerie climatique. Pourtant, toute une partie des mécanismes le régissant restent encore bien mystérieuse et notamment ceux prenant place en profondeur.

“L’océan profond est d’abord étudié par les observations, en rassemblant des données historiques, qui donnent énormément d’informations sur la circulation des courants. Ensuite, avant même d’utiliser les modèles, il y a une grande part théorique”, présente Casimir de Lavergne, chercheur au laboratoire LOCEAN. Ses travaux se concentrent sur la majeure partie de l’océan mais aussi la plus méconnue, qui se situe au-delà d’un kilomètre sous la surface. Plus précisément, il étudie les différents types de courants qui y sont à l’œuvre, qu’il s’agisse des courants de marée, des tourbillons formés par turbulences ou de la circulation thermohaline, qui relie tous les océans du monde.

L’étude de ces phénomènes difficilement accessibles ne va pas sans obstacles techniques : “Il est complexe de mesurer les courants directement, explique-t-il. C’est parfois possible, nous installons des courantomètres aux endroits où la topographie force toute une masse d’eau à passer par un même point. Mais il est souvent plus simple d’effectuer des reconstructions de la circulation à partir des mesures de température et de salinité de l’eau de mer. Ces mesures, plus simples et plus nombreuses que celles des courants, fournissent une information indirecte sur les transports océaniques globaux et l’intensité de la circulation thermohaline”.

Des données sans passé

 

Une diversité d’outils s’est développée au fil des décennies pour effectuer ces mesures des propriétés de l’eau de mer. À l’heure actuelle, environ 3000 flotteurs Argo sillonnent les mers en se laissant porter par les courants. “Ces robots permettent d’échantillonner tout l’océan et donnent des informations essentielles sur la chaleur de l’océan mondial et sur bien d’autres phénomènes, mais seulement sur les deux premiers kilomètres, donc ils ne couvrent qu’une petite partie de l’océan profond”, pointe Casimir de Lavergne. En effet, pour les recherches sur l’océan profond, la source principale d’informations reste les campagnes effectuées par bateau : “Elles nous permettent d’aller jusqu’au plancher océanique”, poursuit-il. Ces bateaux de recherche suivent une trajectoire précise sur l’océan et les reproduisent tous les 10 ans environ pour y effectuer les mêmes mesures. Tous les 50 km, le bateau s’arrête et descend une sonde mesurant la salinité, la chaleur et le taux d’oxygène. Malheureusement, les scientifiques du domaine se heurtent à un frein difficilement contournable.

En effet, ces précieuses informations ne sont récoltées que depuis les années 50 : “Nous ne pouvons pas remonter loin dans le temps, souligne le chercheur, il est donc très difficile de connaître l’évolution temporelle de l’intensité de la circulation thermohaline. Il existe des reconstitutions qui permettent de revenir jusqu’en 1900, mais elles ne sont réalisées qu’à partir d’une faible quantité de données indirectes. Dans ces cas-là, les incertitudes sont énormes”.
Si le manque de données sur le long terme impacte les recherches sur la dynamique des océans, Casimir de Lavergne constate les progrès récents dans ce domaine, tant du côté des techniques de mesure que du traitement des données :

Aujourd’hui, les moyens d’observations sont plus légers, les points de mesure répartis de manière plus optimale, les données couplées à des modèles numériques capables de reconstituer la circulation océanique, le tout de manière plus fiable et moins coûteuse.

Bien que les données du passé soient définitivement perdues, chaque nouvelle mesure parvient à lever, peu à peu et de mieux en mieux, le voile entourant ces masses d’eau silencieuses.

Rédigé par Marion Barbé.

Casimir de Lavergne


Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentation et Approches Numériques (LOCEAN-IPSL).