Séquestration du carbone : les technologies prennent le large


Les océans séquestrent plus du quart des émissions mondiales de CO2. Afin d’exploiter ce puits naturel, de nouvelles techniques voient le jour. Le but : augmenter artificiellement les capacités d’absorption des océans. Malgré les promesses, les scientifiques de l’IPSL appellent à la prudence.

Cinquante fois. Telle est la quantité de CO2 en plus contenue dans l’océan comparé à l’atmosphère.

Le gaz qui se trouve dans l’air se dissout avant d’être absorbé sous forme de carbone inorganique dans l’eau. « L’échange entre l’océan et l’atmosphère se fait d’abord par une “pompe physique” » précise Nicolas Metzl, chercheur en biogéochimie marine à l’IPSL. Cette pompe repose sur le gradient de concentration de CO2 à l’interface entre les deux. Le déséquilibre entre le carbone atmosphérique et océanique engendre un flux net du gaz vers l’eau de mer.

Dynamiser ce processus d’absorption océanique est donc une idée pour diminuer la quantité des gaz présents dans l’atmosphère. Il s’agit là d’une parmi les mCDR (marine carbon dioxide removal, en anglais), les méthodes marines pour retirer du CO2, qui exploitent le rôle naturel de l’océan dans le cycle du carbone.

 

Des techniques contraintes par les propriétés de l’océan

Dans ces mCDR figurent à la fois des méthodes qui stimulent la « pompe biologique », c’est-à-dire les processus de fixation du CO2 par les organismes marins, mais aussi d’autres, plus efficaces, qui misent sur la « pompe physique ». Pour optimiser cette dernière, la plupart des pratiques visent à diminuer le carbone à la surface pour qu’il soit ensuite pompé plus activement.

Transporté par la circulation océanique, le CO2 se propage vers les couches profondes de l’océan où il sera soumis à de nombreuses variations. D’habitude, les eaux riches en carbone sont situées dans les profondeurs, mais l’action combinée des vents et du refroidissement peut bousculer les propriétés chimiques dans la colonne d’eau (cf figure 1). Résultat : les concentrations en CO2 sont plus fortes à la surface, interrompant ainsi les échanges gazeux avec l’air jusqu’à atteindre une forme d’équilibre. « À un moment donné, l’océan ne va pas continuer à pomper, il va se mettre en équilibre avec l’atmosphère » explique Nicolas Metzl.

L’alcalinisation fait partie des méthodes « physico-chimiques ». Elle consiste à déverser de manière artificielle des roches silicatées dans l’océan. Comme un appât, ces pierres vont attirer le carbone dissous qui pourra, ensuite, rester dans l’eau de mer pendant des siècles. Laurent Bopp, co-auteur du 5e et du 6e rapport du GIEC (LMD-IPSL), ajoute qu’il y a cependant « des questions autour de l’efficacité de cette technique, de son coût et des effets sur les écosystèmes qui sont déjà présents dans l’eau de mer ».

Figure 1 : Profils de température et de carbone en été et hiver (observations à la station OISO15 à 40°S-77°E, Océan Indien Sud). Les figures présentent la température de l’eau (à gauche) ou la concentration en carbone inorganique dissous (DIC) (à droite) en fonction des profondeurs, par saison été ou hiver.

Figure 1 : Profils de température et de carbone en été et hiver (observations à la station OISO15 à 40°S-77°E, Océan Indien Sud). Les figures présentent la température de l’eau (à gauche) ou la concentration en carbone inorganique dissous (DIC) (à droite) en fonction des profondeurs, par saison été ou hiver.

 

Fertilisation des océans, le revers de la méthode

L’idée d’ajouter du fer pour augmenter le puits de carbone océanique émerge dans les années 90.

En 2007, une étude au niveau des îles Kerguelen rapportait une importante prolifération de phytoplanctons induite par le fer, élément essentiel à leur développement. L’ajout de fer favorise l’absorption de CO2 par ces organismes photosynthétiques, qui le transportent vers les profondeurs. Par conséquent, une production phytoplanctonique intense entraîne des niveaux de CO2 faibles, comme ça a été observé au niveau des îles Kerguelen (cf figure 2). Récemment, de nombreuses expériences de « fertilisation » ont connu un regain d’intérêt pour limiter l’accumulation du carbone anthropique.

En général, le puits induit par la fertilisation n’est actif que quelques semaines, d’où les doutes sur ces technologies pour tenter de réduire le CO2 atmosphérique dans le futur. Et, Laurent Bopp ajoute : « si on fertilise l’océan Austral, on augmenterait la productivité du phytoplancton, […] mais on pourrait se retrouver avec des zones très loin, par exemple les zones d’upwelling [remontées d’eau froides riches en nutriments – ndlr] au large du Chili et du Pérou, avec beaucoup moins de productivité dans ces endroits-là ». Ainsi, les écosystèmes marins à grande distance des zones fertilisées pourraient être affectés, comme la biomasse de poisson.

Figure 2 : Distribution du CO2 mesuré en surface dans l’Océan Indien Sud (campagne OISO-1, Janvier 1998). La figure présente la fugacité du CO2 (fCO2) dans l’océan et dans l’atmosphère en fonction de la latitude. Les îles Kerguelen se situent à - 48°.

Figure 2 : Distribution du CO2 mesuré en surface dans l’Océan Indien Sud (campagne OISO-1, Janvier 1998). La figure présente la fugacité du CO2 (fCO2) dans l’océan et dans l’atmosphère en fonction de la latitude. Les îles Kerguelen se situent à – 48°.

 

D’après le rapport du GIEC de 2022, le recours aux technologies d’élimination du dioxyde de carbone sera nécessaire pour compenser les émissions qui persistent, malgré les efforts pour les réduire, comme celles liées à l’aviation. Et pourtant, l’usage de ces techniques soulève des questions quant à leur impact sur les écosystèmes et leur coût, financier et en termes d’émissions carbone.

« Ce qui est important c’est de continuer d’observer l’océan […] et de faire des bilans de carbone le plus souvent et les plus précis possible pour améliorer les modèles climatiques futurs. » conclut Nicolas Metzl.

 

Pour en savoir plus

Lisez l’article sur la campagne océanographique OISO et les particularités du bloom phytoplanctonique dans les îles Kerguelen : Drôle d’OISO dans l’océan Indien

Écoutez l’épisode d’IPSL News sur la capture du CO2 atmosphérique, avec Laurent Bopp !

 

Cléo Derwel pour ICOM


ICOM-IPSL