Milena Corcos, atmosphéricienne au LMD
Milena Corcos est en 3e année de thèse au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD-IPSL). Sa participation aux campagnes Stratéole a permis à cette scientifique dans l’âme, férue de physique, de découvrir l’instrumentation et le travail d’équipe et de lui ouvrir de nouvelles perspectives de carrière.
Milena Corcos, pourquoi un doctorat ?
J’aime la science. Déjà toute petite, je savais que je ferais de la science, un jour. Pas de scientifique dans ma famille, cela ne m’empêchait pas de dévorer les encyclopédies. Mon attrait pour les sciences du climat, en particulier, vient d’une exposition à la Cité des Sciences de Paris sur les processus climatiques à laquelle j’ai assisté très jeune, elle m’avait impressionnée.
Après avoir obtenu mon bac scientifique, en licence de géologie j’ai vite compris que ce que j’aimais vraiment c’était les cours de physique et les équations avant tout. J’ai donc suivi en parallèle une licence de physique pour élargir mes centres d’intérêt. L’attrait pour le climat est alors revenu, comme une évidence ! J’ai continué en master de mécanique des fluides appliquées pour le climat (océan atmosphère climat) à l’Université Pierre et Marie Curie où j’ai fait mon stage de M1 sur la dynamique atmosphérique aux tropiques puis mon stage de M2 sur les cirrus tropicaux, sous la direction d’Albert Hertzog (LMD-IPSL). Il s’agissait alors de microphysique et de la compréhension de l’impact de certaines ondes dynamiques (ondes de gravité) sur les cirrus aux tropiques. La poursuite vers une thèse était logique.
Je suis atmosphéricienne : j’utilise les données de la campagne Stratéole2 pour comprendre l’impact de processus dynamiques (plus précisément des ondes de gravité) sur le cycle de vie des cirrus. Je travaille sous la direction d’Albert Hertzog et de Riwal Plougonven, chercheurs au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD-IPSL), ma thèse est financée par Sorbonne Université et le CNES. Les ballons pressurisés lancés au cours de Stratéole sont des traceurs (quasi-) lagrangiens : ils suivent les masses d’air pendant quelques mois, en étant équipés d’instruments qui permettent notamment de mesurer les ondes de gravité présentes dans l’atmosphère. Ces ondes ont un impact important sur les caractéristiques des cirrus et sont responsables d’incertitudes sur les nuages. A partir des données ballons (température, pression, position…), je retrouve le signal provenant des ondes de gravité, je l’intègre à un modèle de microphysique (qui simule la production, la croissance et la sédimentation de la glace dans les cirrus lors de la montée de masses d’air des tropiques) puis, j’ajoute les mesures du signal des ondes de gravité et je constate leur impact sur la glace (les cirrus sont des nuages faits de cristaux de glace). Je modélise en fait des cirrus simplifiés en y ajoutant des mesures de vraies ondes de gravité (générées par le convection tropicale), recueillies par Stratéole.
En quoi consiste votre travail ?
Ce que j’aime dans cette thèse, c’est l’étude de la microphysique (nucléation de cristaux par exemple) tout en ayant un spectre de connaissances très variées pour comprendre les processus (la dynamique, des échelles moyennes et petites…). En parallèle, grâce aux campagnes scientifiques auxquelles j’ai participé, j’ai découvert le monde de l’instrumentation à travers les ballons et les différentes rencontres avec les ingénieurs et contacts avec les instruments qui fournissent les données sur lesquelles je travaille. Cela fait toute la différence, tous les thésards n’ont pas cette opportunité.
Touchant à la modélisation et à l’analyse de données, la majorité de mon travail se fait par ordinateur. Une des raisons pour lesquelles je fais cette thèse est aussi cette opportunité de travailler sur le terrain, en campagne.
Coder, seule ou accompagnée. L’essence de mon travail, que ce soit au bureau ou en campagne ! Milena avec des collègues du LMD : à gauche Albert Hertzog, à droite Julio Lopez |
Quel est le lien entre vos recherches et le climat ?
Les modèles climatiques de circulation générale ont des mailles trop grandes pour représenter les processus de toute petite échelle qui interviennent dans les nuages, les incertitudes des modèles climatiques pour les nuages sont très importantes. Les cirrus tropicaux ont un rôle majeur dans le climat car, in fine, ils assèchent les masses d’air qui montent dans la stratosphère et sont la porte d’entrée de la vapeur d’eau de la troposphère vers la stratosphère. Evaluer la quantité de vapeur d’eau dans la stratosphère et disséminée autour de la planète est donc très important pour mieux analyser certains processus climatiques.
Quel était votre rôle lors de la campagne ?
Pendant la première campagne Stratéole de 2019 (dite campagne technique), alors en première année de thèse, je découvrais et j’observais.
Lors de la seconde campagne, Stratéole2, forte de ma connaissance du projet, j’étais secrétaire de campagne : je devais m’assurer du respect de chaque étape prévue par chaque équipe en tenant le « daily planning », ce qui me permettait d’échanger avec tout le monde. J’assistais aussi Albert pour coordonner les équipes, effectuer des déplacements à sa place…
J’ai assisté aux lâchers des ballons faits par les techniciens CNES. Voir la nacelle prête et le lâcher de nuit est très émouvant ! Un lâcher de ballon réussi est le résultat d’une routine précise de toute une équipe la journée précédente pour s’assurer que tout fonctionne. Les nacelles (finies et stockées au « frigo » pour rester intactes jusqu’au jour J) sont sorties, toute l’équipe est en effervescence et fait les derniers tests de communication avec elles. Puis, les ballons, préalablement dépliés sur des grandes tables, sont gonflés et amenés sur la piste. Les techniciens raccordent les différents éléments et lâchent les nacelles accrochées ensemble, opération très délicate et fatigante pour le technicien en fin de chaine. Enfin, applaudissement général en regardant le ballon disparaître peu à peu dans l’obscurité !
En fait, ce travail n’a pas un grand rapport avec mon sujet de thèse mais m’a permis d’apprendre tellement. J’ai compris la complexité d’une campagne, je connais maintenant le travail effectué en amont de l’acquisition de mes données et je les vois différemment, c’est passionnant. Je sens que je fais partie d’une équipe qui est d’ailleurs très à l’écoute quand je leur montre ce que deviennent les données acquises.
Montage de l’instrument SAWfPHY (Surface Acoustic Wave frost Point HYgrometer) avec Julio Lopez (LMD). Observer, apprendre et apprécier le résultat |
Une anecdote de campagne
Me retrouver les pieds dans l’eau avec des bébés raies et roussettes ! Stratéole était basée sur l’aéroport de l’île de Mahé, aux Seychelles, une petite plage se trouvait juste à côté. Bien qu’il soit interdit de s’y baigner, avec plus de 40° j’ai osé y mettre les pieds. Très agréable souvenir !
Comment voyez-vous votre avenir après la thèse ?
Je compte poursuivre dans la recherche en post-doctorat sur des campagnes similaires. J’ai vraiment apprécié la complémentarité entre le théorique (équation) et la pratique (instruments, travail d’équipe) dans Stratéole. M’investir à moyen terme dans un travail qui me permette de retrouver cette complémentarité serait idéal.
Votre métier en trois mots
Modélisation : essayer de représenter la réalité trop complexe, afin de comprendre les fonctionnements de processus, ici physiques.
Observation : c’est le pendant de la modélisation afin de comprendre la physique : observer différents processus et adapter les modèles en conséquence. J’ai découvert pendant ma thèse la richesse des observations ballons.
Travail d’équipe : les campagnes m’ont vraiment ouverte à cela, devant mon ordinateur j’ai parfois l’impression d’être seule sur mon projet de recherche. Stratéole m’a permis de comprendre que je ne suis qu’une brique d’un grand projet et que chaque brique est liée, c’est très motivant.
Si votre travail était un objet, ce serait quoi ?
Mon ordinateur, forcément ! Sans lui, je ne travaillerais pas. Il reçoit les données, les traite, les calcule, les transfère. C’est simple, il ne me quitte pas…
En conclusion
Mon parcours est le résultat de belles rencontres et je mesure la chance que j’ai eue de les avoir faites. Que ce soit avec mon professeur de licence qui a changé mon rapport aux mathématiques, avec Albert Hertzog qui a ressenti mon enthousiasme et mon envie d’apprendre et qui m’a fait confiance dès le stage de M1 jusqu’à la thèse ou, avec tous ces ingénieurs qui m’ont tellement enseigné sur les ballons et sur la technique. Au final, toutes ces rencontres m’ouvrent à d’autres perspectives et à savoir ce que je veux faire.
Copyright photos : Milena Corcos et Claire Cénac, LMD-IPSL
Pour aller plus loin
– Retrouvez le portrait de Milena sur Instagram et Facebook (#milenacorcos)
– en savoir plus sur Stratéole : ici et là