Sur un siège de bibliographie
Pascale Braconnot, éditeur-réviseur du chapitre 8 du premier groupe de travail sur le cycle de l’eau.
Le GIEC est une belle aventure, et une fois finie, on se demande pourquoi on retourne pour la suivante. C’est beaucoup de travail, mais c’est aussi très moteur de savoir que cela aura une portée au-delà de notre science. La première réunion d’auteurs est surprenante : d’un coup, on a une mission. Ça semble impossible, c’est trop gros, mais ça marche et le rapport prend forme. J’étais très contente d’en faire partie, sur les précédents en tant qu’auteure principale, sur celui-ci, éditeur-réviseur. Le travail est assez énorme dès lors qu’on a envie de le faire sérieusement. La première fois j’ai été impressionnée, j’avais un siège de bibliographie et devait trouver une méthodologie pour retrouver facilement toutes les sources que j’utilisais. Editeur-réviseur, c’est une autre aventure, moins au cœur de l’agrégation scientifique. C’est un travail de vérification, il faut s’assurer que tous les commentaires sont bien pris en compte, accompagner et pousser la discussion de façon neutre. Mais le besoin de méthodologie est vrai là aussi. Quand tu as plus de 2 000 commentaires à ingurgiter, ça marque. Alors il faut se munir d’une règle qui ne change pas en cours de route, un peu comme pour corriger des copies, pour y répondre sans refaire trois fois le travail. C’est un investissement surtout pendant les rencontres entre auteurs, ça mange sur la vie privée, sur sa propre recherche. Après, je pense que ce n’est pas si différent de collègues en mission de terrain longues ou répétées.
Il y a parfois une espèce de grand moment de désespoir. Le processus est long. Mais il y a aussi beaucoup de moments clés en petit groupe, où les choses se mettent en place et chacun est là pour faire au mieux. Il y a aussi des temps avec les collègues, plus ou moins faciles. Le GIEC est une aventure humaine différente pour tout le monde, qui prend plus ou moins aux tripes. Avec le système d’évaluation et contre-évaluation, un rapport du GIEC n’est pas une synthèse comme les autres. Il ne laisse pas de place aux dérapages. Ça a l’air de rien, mais on comprend ce que veut dire un consensus. Le fameux langage calibré oblige à se demander si les résultats sont vraiment robustes. On peut passer des heures sur une phrase pour trouver le bon niveau de vocabulaire. Par exemple, un résultat récent qui nous emballe et semble fiable, mais sur lequel il y a trop peu d’études ne peut pas avoir au final un niveau de confiance trop élevé. Et la langue, l’anglais bien sûr, peut être une difficulté. Quand on n’est pas à l’aise, il ne faut pas hésiter à le dire. C’est une expérience multi-culturelle, multi-expertise, plus ou moins difficile suivant les chapitres, mais il faut que tout le monde se sente légitime de prendre la parole.
Et il y a l’interface sciences-politiques. On ne s’en rend pas bien compte en arrivant, ce sont vraiment des discussions scientifiques croisées avec des demandes des Etats. Ça amène à s’interroger sur la portée de nos recherches vis-à-vis de la société ou de la politique. Je crois qu’on en sort avec une vision différente de son travail. Une envie d’identifier la petite partie qui aura une portée plus grande que simplement un résultat novateur. Une vision des manques scientifiques aussi, qui change la façon d’entrevoir les grands axes de recherche. A la restitution du rapport, finalement, on se rend compte de son importance. Ça fait quelqu’un chose d’annoncer avec certitude que le climat change et que l’Homme en est responsable. Au-delà de notre propre expérience du chapitre il faut aussi avoir une connaissance et du répondant sur l’ensemble. On devient scientifique qui porte le rapport, et non plus Pascale qui disgresse sur sa partie spécifique. Toute cette base et les mois de travail derrière nous poussent à porter ces messages, on a envie que ce soit mis au miroir de toute décision. Je pense que le renouvellement des auteurs est important aussi, que de nouvelles personnes se mobilisent parce que c’est toute une démarche. Plus il y aura de monde qui l’aura fait, mieux ce sera. Et la science évolue aussi, avec de nouvelles idées, de nouvelles manières de dire les choses.
Portraits réalisés par Valérie Lilette et propos recueillis par Tiphaine Claveau.