Festival de Cannes : comment réduire l’empreinte écologique du cinéma ?


[Cet article accompagne la sortie du deuxième épisode du podcast de l’Institut Pierre-Simon Laplace« Le climat, une question de… »]

De plus en plus de producteurs, scénaristes et diffuseurs s’organisent pour polluer moins et imaginer des nouveaux récits écologiques. L’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) fait le tour de la question suite à la 77e édition du Festival de Cannes.

« Dans un moment où l’état du monde nous inquiète, voire par endroits nous glace le sang, où des lignes de fracture profonde divisent les peuples, la planète brûle (…) chaque année, à Cannes, on vient prendre une photo de notre humanité, faire le plein d’espoir », a lancé l’actrice française Camille Cottin, la maîtresse de la cérémonie, à l’ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes, le mardi 14 mai 2024.

S’il rassemble et fait rêver, le festival fait aussi l’objet de critiques sur son imposante empreinte écologique. En 2023, ce rendez-vous incontournable du 7e art a émis 48 300 tonnes d’équivalent CO2, soit un peu plus que la ville d’Arcachon en un an, selon le bilan carbone publié par ses organisateurs, qui ne font pas état de leurs sponsors, comme Air France, dans leur décompte.

La flotte de véhicules électriques, la réduction du volume de moquette, ou celle de la fréquence de changement du tapis rouge annoncées pour verdir le festival sont loin de suffire à améliorer sensiblement ce bilan. Dans le détail, 91 % des émissions de gaz à effet de serre sont liées à la venue des participants : les vols en avion, en jets privés et les yachts, entre autres.

Certains professionnels tentent quand même de profiter de Cannes pour encourager les bonnes pratiques. En marge de la compétition officielle, l’association Ecoprod décerne, depuis 2022, un prix pour les longs-métrages « produits de la manière la plus éco-responsable possible ». Pour l’édition 2024, trois films français ont été primés le 17 mai : Le roman de Jim des frères Larrieu, Maria de Jessica Palud et Niki de Céline Sallette.

 

Des subventions conditionnées à la réalisation d’un bilan carbone

 

Si l’empreinte carbone du Festival de Cannes n’est pas anodine, c’est à l’image de l’industrie dont il fait la promotion. Un film français émet en moyenne 750 tonnes de CO2, soit autant que 750 vols de Paris à New York, selon un rapport du think tank The Shift Project.

Parmi les principales sources d’émissions de gaz à effet de serre : le transport en avion ou en voiture du matériel et des équipes, les dépenses énergétiques de groupes électrogènes et des projecteurs, la construction des décors ou encore les repas servis sur les tournages. Remplacer la viande par une alimentation végétarienne, locale et de saison permettrait ainsi de diviser par dix le bilan carbone lié à l’alimentation sur les tournages, de 20 à 2 tonnes équivalent CO2 en moyenne, toujours selon l’analyse du Shift Project.

Certaines productions ravagent aussi les écosystèmes. L’exemple tristement célèbre est celui de la scène d’ouverture d’Apocalypse Now, pour laquelle une vraie forêt, aspergée avec des centaines de litres d’essence, a été brûlée. Autre (mauvais) exemple plus récent : le tournage de « Donne-moi des ailes », en 2018, qui a contraint 500 couples de flamants roses à abandonner leurs œufs en Camargue, comme l’a rapporté l’Agence France Presse.

Fermer les yeux sur le problème devient de plus en plus compliqué, au moins en ce qui concerne les émissions de CO2. Depuis le 1er janvier 2024, les producteurs doivent en effet réaliser un bilan carbone pour obtenir des financements de la part du CNC. Les créateurs de contenus et les producteurs de jeux vidéo seront aussi bientôt concernés, selon les informations du Monde. De quoi susciter des prises de conscience ?

« On a environ trois fois plus de demandes que l’année dernière, le bilan carbone est en train de rentrer dans le langage courant », commente Mathieu Delahousse, cofondateur de l’entreprise Flying Secoya, dont le calculateur d’empreinte carbone est reconnu par le CNC. En parallèle, le consultant déclare répondre de plus en plus souvent à des questions « sur les mesures à mettre en place pour réduire l’empreinte écologique des tournages », comme l’introduction de menus végétariens ou le recyclage des décors.

« C’est un premier pas encourageant… Même si ce n’est pas parce que l’on se pèse que l’on va nécessairement maigrir », jauge de son côté Juliette Vigoureux, l’une des cofondatrices de la Fresque du film, qui vise à sensibiliser les acteurs de l’industrie audiovisuelle. Avec le collectif Cut, qui regroupe des acteurs mobilisés en faveur de la transition écologique du cinéma, elle élabore des chartes pour aider les professionnels à réduire leur empreinte écologique, de la production à la diffusion.

 

Des blockbusters pour le climat

 

Faire des films plus écolo n’est pas qu’une affaire de bilan carbone et d’empreinte sur les écosystèmes, mais aussi de nouveaux récits.

La crise climatique est un arc narratif fécond. Du Jour d’après à Don’t look up, de nombreux films confrontent l’humanité aux conséquences cataclysmiques du réchauffement planétaire, de façon explicite ou métaphorique. Au point qu’il existe un nom pour désigner ce type de récits, dans la littérature comme dans les films : la « Cli-fi » (Climate-fiction).

Est-ce que ces histoires donnent envie aux spectateurs de se mettre en action pour lutter contre le réchauffement climatique ? Rien de moins sûr. Autrice d’un rapport sur le storytelling des enjeux actuels dans l’industrie du cinéma et de la télévision, soutenu et financé par l’Agence nationale de la transition écologique (Ademe), Valérie Zoydo met en garde contre les récits trop dystopiques, qui peuvent donner l’impression qu’il est trop tard pour agir et que tout est déjà fichu.

L’autrice souligne l’efficacité de « la pédagogie clandestine dans la culture populaire », notamment, dans les blockbusters et les séries. Selon elle, les récits qui « mettent en scène la force du collectif, comme la Casa de Papel » sont de puissants alliés face à la crise écologique – même si ce n’est pas du tout le sujet de la série diffusée par Netflix. L’enjeu est de taille : 65% des spectateurs reconnaissent « les bénéfices de la fiction pour sensibiliser, mais aussi pour se mobiliser en faveur de l’environnement », selon une étude de 2022 de l’Ademe et l’ONG Place to B.

Autres outils de sensibilisation : le Climate reality-check, ou encore le Planet Test, développés par l’agence de conseil américaine Good energy, pour le premier, et Futerra, pour le second.

Sur le modèle du test de Bechdel, qui met en évidence la sous-représentation de personnages féminins, l’objectif est d’évaluer si les personnages ont conscience de la crise climatique et si le monde naturel a une place dans la fiction.

 

Combien des films récompensés à Cannes cette année réussiront ces tests ?

 

Pour en savoir plus

Écoutez l’épisode consacré à la culture du podcast « Le climat, une question de…»  avec Pauline Lida, du collectif de danse artistique et activiste Minuit12, Valérie Martin, cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’ADEME et Simon Klein, écologue et médiateur scientifique à l’Office for Climate Education (OCE), dont l’IPSL est partenaire.

Et l’épisode bonus avec avec le réalisateur et scénariste Éric Toledano !

Écoutez le premier épisode : « Le climat, une question de…sport ».

Gabrielle Trottmann pour ICOM-IPSL


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