À moins de deux ans des J.O. 2024, où en est la qualité de l’air à Paris ?
À l’aube des Jeux olympiques, qui se dérouleront à Paris à l’été 2024, la question de l’impact de la pollution de l’air sur la santé et plus particulièrement sur celle des sportifs se pose. Quel est l’état des connaissances sur la qualité de l’air en milieu urbain et sur ses impacts ? Y a-t-il des liens entre évènements météorologiques, climat et qualité de l’air ? Quelles sont les pistes de solutions ? Réponse de Gilles Forêt (G.F.), enseignant-chercheur UPEC au LISA et Martial Haeffelin (M.H.), ingénieur de recherche CNRS à l’IPSL.
Comment a émergé la problématique de la qualité de l’air en milieu urbain et quels en sont les enjeux ?
G.F. Au cours de la révolution industrielle, au moment de l’avènement de industrie lourde dans les villes, les citadins et citadines commencent à se préoccuper de la qualité de l’air qu’ils respirent. Parallèlement, scientifiques et autorités commencent à s’intéresser plus intensément au sujet dans les années 1940/1950, en lien avec les cas de « smog » de Londres et surtout de Los-Angeles (États-Unis). En France, à partir des années 1990se mettent en place en France, dans le contexte de la loi LAURE, les associations agrées de la surveillance de la qualité de l’air (AASQA), par exemple AirParif en Île de France. Les années 2000, elles, voient l’apparition des premières plateformes de surveillance de la qualité de l’air (PREVAIR… ).
En Île-De-France, l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) débute à ce moment-là des mesures à long terme portant sur certains paramètres météorologiques, climatiques et la composition des particules, avec la création en 2002 de l’observatoire du SIRTA.
M.H. Ces dernières années, les scientifiques se penchent particulièrement sur la dynamique (circulation) atmosphérique, les liens entre météo, climat et pollution, ainsi que les impacts des polluants sur la santé. C’est dans ce contexte qu’ont été organisées à l’été 2022 plusieurs campagnes de mesures regroupées au sein de l’initiative PANAME.
Parmi leurs objectifs : mieux évaluer les émissions de polluants et de gaz à effet serre, et mieux comprendre les mécanismes physiques et chimiques à l’œuvre mais aussi mieux quantifier les effets sanitaires du climat et de la qualité de l’air dans les milieux urbains.
Les Jeux olympiques et paralympiques 2024 (JOP 2024) vont mettre la région IDF sous le feu des projecteurs. C’est donc une occasion unique pour repenser nos stratégies d’amélioration de la qualité de l’air dans un contexte de changement climatique (et donc d’événements extrêmes) et mutation des territoires.
Quels sont les liens entre la qualité de l’air et le climat en ville ?
G.F. Ces dernières années notre connaissance des polluants jusqu’à l’échelle moléculaire s’est largement améliorée, mais une connaissance plus fine du cycle de vie des polluants est encore nécessaire pour relier plus efficacement les sources aux impacts sanitaires et climatiques. C’est notamment le cas du cycle de la matière organique atmosphérique, qui reste un sujet de recherche important et qui a été un des moteurs des projets ACROSS et sTREEt visant à mieux comprendre les interactions entre végétation (urbaine et péri-urbaine) et qualité de l’air.
M.H. Des liens entre la qualité de l’air et les conditions météorologiques, comme les évènements extrêmes (sécheresse, absences de nuages, masses d’air stagnantes, canicules, etc.) ont été démontrés. La météo impacte principalement la dynamique des masses d’air, qui influe sur la dispersion, la ventilation et la dilution des polluants. En effet, lorsque les polluants sont émis, ils se mélangent et se transforment dans une couche d’air verticale, appelée couche de mélange, dont l’épaisseur peut fortement varier d’un jour à l’autre. Par exemple, en période de beau temps, et en particulier lors des canicules, les masses d’air se mélangent moins, ce qui a pour conséquence d’accumuler les polluants. Lorsqu’il pleut, les polluants sont par contre en partie lessivés, ce qui réduit alors la pollution.
G.F. Notre qualité de l’air peut aussi être impactée par le transport de masses d’air polluées issues d’autres zones urbaines ou en lien avec des sources parfois naturelles comme les poussières désertiques. Météorologie et qualité de l’air sont des sujets interconnectés et doivent être considérés conjointement ; c’est aussi le cas des problématiques de changement climatique puisque les sources d’émissions des principaux gaz à effet de serre sont parfois les mêmes que celles des polluants impactant la santé (combustion du trafic routier, agriculture…).
Comment observe-t-on la qualité de l’air ?
G.F. Pour les polluants, on utilise des instruments de référence en réseau qui mesurent avec une grande précision les polluants réglementés (ozone, oxydes d’azote, PM2.5, etc.), c’est le rôle des AASQA dans chaque région. On s’intéresse aussi à d’autres polluants ou d’autres caractéristiques dont on suspecte qu’ils sont importants en termes d’impacts sanitaires, comme les particules ultrafines (dont le diamètre est inférieur à 100 nm). Ces données permettent de mieux caractériser les impacts mais aussi de mieux quantifier les sources de polluants.
M.H. Mon équipe met en œuvre des techniques pour mesurer la dynamique atmosphérique afin de comprendre comment varient les paramètres et les composés (température, vent, particules, gaz, etc.) dans la couche de mélange et selon les environnements. On a beaucoup progressé dans l’observation de la couche atmosphérique sur la verticale, c’est-à-dire la répartition spatiale des composés sur la hauteur de l’atmosphère, grâce à l’utilisation d’instruments de télédétection comme les lidars.
G.F. Par ailleurs, on développe des modèles numériques qui intègrent l’état de nos connaissances ; ils permettent ensuite de réaliser des prévisions et de construire et tester des scénarios d’aménagement du territoire et de réduction des émissions.
Que sait-on sur la qualité de l’air à Paris et de ses impacts sur la santé, notamment chez les sportifs ?
G.F. Les sources principales de polluants en île de France sont le trafic routier, le chauffage au bois (en hiver), mais aussi l’agriculture. La pollution dans l’environnement urbain en Europe de l’Ouest a largement diminué depuis plusieurs décennies et l’on peut considérer que l’on respire un meilleur air qu’à cette époque. Cela est dû à : l’utilisation de véhicules plus propres (même s’ils sont plus nombreux), des industries et une production d’énergie également plus propre avec la disparition de l’utilisation intensive du charbon, la mise en place de législations contraignantes basées sur des connaissances scientifiques matures et robustes. Cela montre que l’action collective peut avoir des effets significatifs sur la qualité de l’environnement.
En revanche, les estimations récentes de mortalité associées à une mauvaise qualité de l’air (e.g. 40000 morts par an en France, source : santé publique France) démontrent que les niveaux de pollution actuels restent problématiques. Notons aussi, que pour être exhaustif, il faut également prendre en compte la qualité de l’air intérieur (solvants issus des colles, peintures, produits ménagers, particules issues de la cuisine, des cheminées, etc.).
Concernant ces impacts sur la santé, on considère que l’exposition chronique (sur le long terme) est plus dangereuse que l’exposition aux pics de pollution. Le cas des sportifs est intéressant : si on estime que la pratique du sport est un facteur important de bonne santé, il s’avère que les risques d’exposition sont plus élevés en raison du plus grand volume d’air respiré, flux d’air qui passent le plus souvent par la bouche et ne bénéficient pas de la barrière filtrante que sont les voies nasales.
Les quelques études existantes montrent que les athlètes développent souvent des pathologies respiratoires comme l’asthme qui pourraient être liées à la pollution. L’exposition des sportifs, bien qu’encore très peu qualifiée, concerne les lieux extérieurs mais aussi les lieux clos comme les gymnases, qui peuvent confiner les polluants de diverses natures et origines (COV, colles, peinture et/ou des polluants provenant de l’extérieur comme les oxydes d’azote, l’ozone, certaines particules, etc.). C’est d’ailleurs l’objet du projet Pollusport qui vise à mieux caractériser la qualité de l’air dans les enceintes sportives, l’exposition et les conséquences sur les performances des athlètes en intérieur et en extérieur.
À l’aube des J.O 2024, quels sont les moyens pour améliorer la qualité de l’air ?
G.F. Depuis trente ans, la stratégie principale consiste à contrôler les sources d’émission. Aujourd’hui, on voit apparaître d’autres stratégies comme celles qui consistent à changer les comportements individuels pour favoriser des pratiques de vie moins polluantes, réduire notre exposition ou développer des systèmes de dépollution de l’atmosphère (systèmes de filtration, etc.).
M.H. La qualité de l’air pendant les J.O 2024 va dépendre en partie des évènements extrêmes qui se produiront éventuellement durant l’évènement. L’impact de la qualité de l’air sur les sportifs pourrait aussi se combiner avec l’impact de fortes chaleurs sur leurs performances.
Quels sont les enjeux futurs pour la qualité de l’air et l’adaptation des environnements urbains ?
M.H. L’enjeux de la qualité de l’air en milieu urbain va bien au-delà des JO et concerne l’adaptation à long terme des villes dans un contexte de changement climatique. Les stratégies sont essentiellement liées à l’usage des transports en ville : limitation des transports individuels polluants, développement des transports en communs et des véhicules légers non-motorisés (vélo, etc.). Une autre piste est la végétalisation des villes pour rendre les sols plus perméables et favoriser l’évaporation (un facteur de rafraichissement important et permet de capter du CO2).
L’adaptation des villes doit donc être réfléchie en fonction de nombreux paramètres (qualité de l’air, climat, météo, accessibilité, mode de vie, etc.). La part des sciences sociales prend de plus en plus de place car les solutions envisagées ont souvent un fort impact sociétal. Il faut donc travailler sur l’acceptabilité de ces solutions par les populations et les adapter aux modes de vie des citoyens.
Bien que la qualité de l’air et nos connaissances sur cette problématique s’améliorent, il reste encore de nombreuses questions notamment concernant les impacts sanitaires et climatiques de la pollution. Les JOP 2024 fournissent l’occasion de documenter ces impacts et développer des solutions pour les limiter. Finalement, les recherches sur la qualité de l’air, la météorologie et le climat urbain s’inscrivent dans un mouvement plus large de réflexion sur l’adaptation des environnements urbains face aux changement globaux.
Pour en savoir plus
Loi LAURE : la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie qui indique qu’il revient à l’Etat d’assurer, avec le concours des collectivités locales et des entreprises, la surveillance de la qualité de l’air.
Le lidar est un outil de sondage atmosphérique fonctionnant avec des ondes optiques émises par laser. C’est un outil de télédétection radar pour déterminer à distance les propriétés d’objets naturels ou artificiels à partir des rayonnements qu’ils émettent ou réfléchissent.
Le rôle des instruments de télédétection
Certains permettent de connaitre la distribution et le transport des aérosols sur la verticale. D’autres permettent de mesurer précisément la vitesse et la direction du vent et leurs variations sur la verticale. On s’appuie aussi sur des radiomètres avec une bonne résolution spectrale pour avoir des profils de température de l’atmosphère, ce qui donne des informations précises sur la stabilité et la capacité de celle-ci à se mélanger. Les données sont ensuite croisées pour comprendre la dynamique de tous les paramètres étudiés. Par exemple, en reprenant les données sur la distribution verticale des aérosols et en les couplant avec les données de vent, on distinguera les aérosols de source locale de ceux qui proviennent de masses d’air transportées sur de longues distances.
Contacts
Source : CNRS-INSU.