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Climat et médias : l’enjeu de la formation des journalistes


Par Philippe Bousquet, professeur à l'UVSQ et chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL), membre de l’Institut Universitaire de France et auteur contributif d’un chapitre des deux derniers rapports du GIEC.


L’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et l’École supérieure de journalisme de Lille ont développé un projet de master 2ᵉ année à distance sur les liens entre climat et médias ; les cours dispensés dans le cadre de ce SPOC (small private online course) ont démarré le 3 octobre 2017. Son objectif principal est de fournir aux journalistes et aux communicants les clefs pour comprendre l’information climatique et mieux l’intégrer dans leur traitement de l’information.


Ce projet est né d’une discussion entre un journaliste de l’ESJ-Lille et un climatologue de l'Institut Pierre-Simon Laplace, suite à la vague de climatoscepticisme qui a balayé la France en 2009-2010. Ils faisaient ensemble le constat du faible niveau de collaboration entre journalistes et experts pour expliquer au grand public et aux décideurs les changements climatiques et environnementaux en cours ; des changements qui vont devenir de plus en plus prégnants.


Polémiques contre-productives

Les journalistes ont pu se sentir ballottés, et un peu perdus, entre climatologues et climatosceptiques. Les premiers produisent en continu un flot de résultats et d’incertitudes dans le cadre d’une science jeune et pluridisciplinaire. Les seconds forment un ensemble disparate aux motivations variables et parfois cachées, incluant des groupes de pression conservateurs, des scientifiques non spécialistes de la question (on peut penser en France à des géophysiciens comme Vincent Courtillot ou à des physiciens comme François Gervais), ou encore des politiciens opportunistes (l’actuel président américain Trump en est un exemple parmi d’autres).


En réponse, les médias ont pu être parfois catastrophistes et triviaux, au risque de lasser un public ; ils ont aussi souvent provoqué des confrontations et des polémiques en mettant sur le même plan climatologues et climatosceptiques, notamment dans des débats télévisés stériles qui ont abouti chez les climatologues à se poser la question de l’intérêt de répondre à ce genre d’invitation par les médias. Polémiques et confrontations peuvent être vendeuses à court terme mais ont eu pour conséquence, au fil des années, d’installer l’impression qu’on ne sait pas bien, que c’est compliqué, que chacun défend ses propres intérêts. Au final, on n’a pas trop envie de s’intéresser de trop près à l’épée de Damoclès du changement climatique.


Illustration du climatoscepticisme. (c) Joël Saget AFP

Joël Saget/AFP


Le rôle central des journalistes

Il n’est pourtant désormais plus possible de nier rationnellement le rôle des activités humaines dans le changement climatique des dernières décennies. Les climatosceptiques eux-mêmes ont adapté leurs discours à cette réalité ; leur discours est ainsi passé de : « Il n’y a pas de changement climatique » puis « Le changement climatique n’est pas dû à l’homme » (voir à ce propos l’ouvrage L’Innocence du carbone : l’effet de serre remis en question de François Gervais, paru en septembre 2013) et aujourd’hui « Le changement climatique est peut-être dû à l’homme mais nous avons d’autres problèmes plus importants à régler au niveau sociétal ».


Nous ne sommes pas condamnés au sujet du changement climatique à choisir entre faire l’autruche et crier au loup. Dans ce contexte, les journalistes et les communicants peuvent, et doivent, jouer un rôle majeur et éclairant ; être un relais sociétal entre les scientifiques d’une part et les décideurs et le grand public d’autres part. Deux conditions semblent aujourd’hui nécessaires a minima pour s’attaquer efficacement à cet enjeu.


Se former pour bien informer

La première condition est de considérer les informations climatiques et environnementales comme une composante à part entière des différentes rubriques de l’actualité. L’apparition de rubriques « environnement » ou « Terre » dans les grands médias a été une première étape de reconnaissance de ces questions. Il faut aujourd’hui passer au niveau supérieur, et intégrer, dès que cela est pertinent, une contribution climatique et environnementale au traitement de l’information sur les questions économiques, politiques, sociétales, ou internationales…


La séparation actuelle entre questions climatiques et autres questions conduit à de fréquentes contradictions. Un exemple parmi tant d’autres : la mise en avant permanente par les gouvernements et les médias du PIB comme indicateur de la croissance. Cela n’est pas cohérent avec les accords de Paris sur le climat – encore récemment mis en avant par le président Macron devant les Nations unies – puisque le PIB considère comme positif toute consommation d’énergie, même si elle constitue un gaspillage de ressources et entraîne une forte émission de gaz à effet de serre.


La seconde condition est de former des journalistes et des communicants, le plus souvent issus des sciences humaines et sociales, pour qu’ils s’approprient des connaissances de base sur les changements climatiques et environnementaux afin de pouvoir se repérer dans les différents niveaux d’impact et d’intégrer le changement climatique dans le traitement de l’information générale.


C’est le sens de cette nouvelle formation qui aborde avec cet objectif les différents enjeux et impacts du changement climatique concernant l’économie, l’énergie, le vivant, la politique, ou encore le droit. La formation est co-construite et animée par des journalistes professionnels (dont Sylvestre Huet, Yves Sciama, Yves Renard, Lise Barnéoud, Simon Roger, Denis Sergent, ou Thibault Lescuyer) et des scientifiques spécialistes des différentes questions traitées (dont Gilles Ramstein, Bruno Lansard, Jean‑Paul Vanderlinden, Laurent Neyret, Valérie Masson-Delmotte, Jean Jouzel ou Philippe Bousquet).


Elle est proposée à distance et en français pour tenir compte de la situation des professionnels mais aussi pour toucher plus efficacement la francophonie à travers le monde, dont certaines zones, comme l’Afrique subsaharienne et les états insulaires, seront plus durement impactés par les changements climatiques et environnementaux que l’Europe.



Sylvestre Huet (journaliste), Gilles Ramstein (ingénieur-chercheur CEA au LSCE-IPSL), Yves Renard (journaliste et directeur adjoint de l’ESJ-Lille) et Éric Hamonou(journaliste, chef de projet) ont apporté leurs contributions à cet article.



Article paru dans The Conversation le 27 septembre 2017

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