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A absorber trop de CO2, l'océan se corrode


Par Marina Lévy, océanographe, directrice de recherche CNRS au LOCEAN-IPSL


L’émission de dioxyde de carbone liée aux activités humaines rend l’océan plus chaud et plus acide. Le danger ? Entre autres la submersion des côtes, la salinisation de l’eau douce et la désertification des mers.


Nul ne peut aujourd’hui ignorer que la lutte contre le réchauffement climatique est entre nos mains. Changer ses habitudes de transport, acheter des produits plus respectueux de l’environnement, faire des économies d’énergie sont autant de petits gestes quotidiens qui permettent de réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’origine humaine, un des grands responsables du changement climatique. Ce que l’on sait moins, c’est que ces gestes peuvent aussi sauver les océans et ainsi préserver notre garde-manger. En effet, les océans apportent près de 20 % des protéines animales consommées par la population mondiale et jouent un rôle crucial dans la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes.


Un frein au changement climatique

Les océans occupent près des deux tiers de la surface de notre planète. En absorbant la majorité de la chaleur en excès (plus de 90 % depuis les années 1970), ils limitent la vitesse à laquelle le climat se réchauffe. Ils jouent aussi un rôle d’aspirateur de CO2 redoutablement efficace, par la captation de plusieurs milliards de tonnes de carbone. Près du tiers des émissions de carbone liées aux activités humaines ont ainsi été stockées depuis le début de la période industrielle. Les scientifiques parlent de « pompe à carbone ». Ce mécanisme contribue à réduire significativement l’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère, et agit de ce fait comme un amortisseur du réchauffement climatique. Cependant, le changement climatique met les océans en danger. Grâce à des mesures de la température de l’eau de mer collectées depuis les années 1950, les océanographes ont constaté un réchauffement substantiel sur les deux premiers kilomètres de profondeur : les eaux de surface ont déjà gagné 1 °C, et une augmentation de 1 °C supplémentaire
est à prévoir dans les prochaines décennies.


L’inéluctable montée des eaux

La première conséquence de cette évolution est l’élévation du niveau de la mer : les océans accumulent en effet la quasi-totalité de l’eau issue de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires et se dilatent en se réchauffant. Cette montée progressive des eaux est déjà observée depuis une vingtaine d’années grâce à des satellites. Les prévisions les plus pessimistes font craindre une élévation de plus d’un mètre d’ici à la fin du siècle, avec des répercussions désastreuses pour de nombreuses zones littorales (submersion, salinisation des nappes phréatiques…). L’augmentation de la température des océans affecte aussi leurs échanges avec l’atmosphère, notamment en chaleur et en vapeur d’eau, et le cycle hydrologique global (voir page 18) s’en trouve intensifié. Ces variations perturbent les grands courants marins, car la température, les précipitations et les vents qui forcent ces courants sont modifiés. Enfin, le réchauffement des eaux engendre des migrations importantes de poissons, qui abandonnent les zones tropicales en quête de températures
plus clémentes pour leur métabolisme. Ainsi, chaque année, les espèces marines s’éloignent de l’équateur de 5 km en moyenne. Les populations et certaines de leurs activités sont au bout de cette chaîne d’impacts. Dans les régions tropicales, les océans risquent de devenir une vaste étendue d’eau désertique si l’on n’agit pas rapidement.


L’autre grande menace pour les océans réside dans leur acidification, liée à l’absorption de carbone, dont les effets sont plus sournois que ceux dus à l’augmentation de la température. Avec un pH proche de 8, les océans ne sont pas vraiment acides, mais ce pH a baissé de 0,1 depuis les années 1700, et les scientifiques redoutent une diminution supplémentaire de 0,3 d’ici à la fin du siècle. Si a priori ce chiffre semble faible, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une grandeur logarithmique, ce qui représente une acidité multipliée par deux, avec de fortes conséquences sur les espèces marines. L’acidification diminue la disponibilité du carbonate de calcium dans l’eau (l’un des principaux constituants du corail et des coquilles calcaires) et affecte ainsi les coraux, les oursins, les étoiles de mer, les moules, certains coquillages et crustacés. Combinée à l’augmentation de la température, l’acidification conduit au blanchiment des coraux et à leur mort. L’événement de blanchiment le plus spectaculaire a commencé au milieu de l’année 2014 dans la région de Hawaii et s’est propagé début 2016 à la Grande Barrière australienne et à la Nouvelle-Calédonie.


Des paysages sous-marins en mutation

En dégradant les écosystèmes coralliens, ces joyaux de biodiversité, l’acidification met en péril les nombreuses espèces qu’ils abritent. Mais l’on sait désormais que certains coraux se maintiennent et même se développent. En 2017, des « supercoraux » aptes à vivre dans une eau plus chaude et plus acide que la normale ont été mis en évidence par une équipe de chercheurs en Nouvelle-Calédonie. Ces espèces pourraient progressivement peupler les récifs de la planète, jusqu’à les dominer entièrement. Les paysages sous-marins du futur seront donc très différents de ceux que l’on a connus jusqu’à présent. Mais les écosystèmes auront-ils la capacité de s’adapter à ces changements ?


En raison de leur rôle clé pour de nombreuses sociétés et activités humaines, les océans sont au coeur des Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies pour 2030. L’accord de Paris sur le climat, entré en vigueur fin 2016, prévoit de contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C, en réduisant les émissions de dioxyde de carbone. Si cet accord n’était pas tenu, et si les émissions continuaient au rythme actuel, c’est un monde à + 4 °C que nous devrions affronter, avec des océans plus chauds et plus acides, mettant en péril de nombreuses espèces. La menace qui pèse sur leur avenir et sur les populations qui en dépendent n’est pas inéluctable, mais il est urgent d’agir.



Cet article est paru dans l' Atlas de l'eau et des océans , numéro hors série édité par Le Monde et La Vie, Novembre 2017

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