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Une nouvelle technique pour mieux déchiffrer la mousson

30-04-2012

En partenariat avec leurs collègues nigériens de l'Institut des radio-isotopes (IRI, Université Abdou Moumouni), des chercheurs du laboratoire Hydrosciences Montpellier (HSM, CNRS / IRD / Université Montpellier 1 et 2) et du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE-IPSL, CNRS / CEA / UVSQ) ont mis au point et installé à Niamey au Niger une technique récente de mesure de la composition isotopique de la vapeur d'eau. Les données acquises durant une année ont déjà apporté aux chercheurs de nouveaux éléments de compréhension de la mousson.

Ide Souley, technicien à l'IRI, devant l'instrument laser dans son laboratoire à l'IRI.

La question de l’impact du changement climatique sur la disponibilité en eau de l’atmosphère des zones arides est véritablement cruciale du fait que ces pays manquent intrinsèquement d’eau et que leur système de production alimentaire est totalement dépendant des précipitations. Or, les changements en termes de précipitation que connaitront dans le futur les régions tropicales et subtropicales sont très incertains, moins des deux tiers des simulations numériques du climat s'accordant sur le signe de ce changement à la fin du XXIe siècle, notamment en Amazonie et au Sahel, une situation qui n’offre aucun moyen aux pays concernés de s’adapter.


Une chose est certaine, le climat évolue depuis une quarantaine d’années en Afrique de l’Ouest : la mousson y est souvent retardée, parfois abrégée, les pluies étant globalement moins intenses, avec pour conséquence une sécheresse qui sévit en continu dans toute la région. Pour comprendre les raisons de ces changements et améliorer les prévisions sur l’évolution future de la mousson dans le contexte du changement climatique, il faut savoir comment fonctionne la mousson (déclenchement, organisation, propagation…), une entreprise difficile sachant qu’elle est reliée à des processus atmosphériques complexes, tels que les systèmes convectifs( 1 ). Étudier la mousson africaine présente un autre intérêt : la vapeur d'eau est le premier gaz à effet de serre et comprendre les mécanismes qui régissent sa concentration dans l'atmosphère est donc déterminant. De nombreuses études ont déjà été menées sur la mousson dans la région du Sahel, dans le cadre du programme AMMA d’Analyse multidisciplinaire de la mousson africaine. Des chercheurs d’HSM et du LSCE, en partenariat avec leurs collègues nigériens de l' IRI, viennent d’ajouter une pierre à la moisson des résultats déjà obtenus en réalisant des mesures inédites de la composition isotopique( 2 ) de la vapeur d'eau atmosphérique à Niamey, un paramètre qui présente l’avantage d’avoir une signature différente suivant que la vapeur d'eau échantillonnée est issue de forts phénomènes d'évaporation, de très haute altitude ou de masses d’air d’origines diverses, du fait du comportement différent de chaque isotope.

Pour ce faire, une nouvelle technique de mesure par laser des isotopes stables de l'eau, encore peu maîtrisée par les équipes au niveau international, a été testée au LSCE puis mise en place sur le campus de l'IRI à Niamey en juillet 2010, au tout début de la mousson. Depuis lors des données in situ sont récoltées en continu.


Prise de vapeur d'eau sur le toit de l'IRI. Au loin, on aperçoit les pluviomètres qui collectent la pluie dont la composition isotopique est aussi mesurée.

Les données recueillies durant la première année de mesure (juillet 2010 – mai 2011) ont permis aux chercheurs de décortiquer les rouages du cycle de l'eau, de l'échelle de la ligne de grain (quelques heures)(1) à l'échelle saisonnière, non seulement au moment de la mousson mais aussi en dehors de cette saison, une période de l'année peu étudiée jusqu’à présent.

Ils ont ainsi pu par exemple différencier et quantifier les processus d'évaporation et de subsidence qui se produisent dans les systèmes orageux, notamment à l'arrière de ces systèmes. En queue d’orage, l’évaporation d'une partie des gouttes de pluie refroidit l'air environnant qui, sous l’effet de courants descendants, s'étale en surface vers l'avant du système orageux formant ce que l’on appelle des poches froides ; ces poches provoquent alors des fronts de rafales qui, en soulevant l'air à l'avant des orages, participent à la propagation des lignes de grain. La quantification de ces phénomènes représente une avancée importante car elle permet de mieux comprendre l'influence de ces poches froides sur l'organisation, la propagation et le déclenchement de la convection et de mieux les représenter dans les modèles météorologiques et de climat.

Ils ont aussi mis en évidence une forte variabilité de la composition isotopique de la vapeur d’eau durant la saison sèche, avec un paroxysme en milieu de saison pendant les mois de janvier et février. Ils ont montré qu’elle résulte d'interactions complexes entre la circulation atmosphérique de grande échelle( 3 ) et de fortes téléconnexions tropiques/extratropiques( 4 ), qui provoquent des intrusions régulières d'air provenant d'Afrique du Nord, avec un pic d’intensité en janvier - février. Or, de telles intrusions d’air peuvent avoir une influence sur le démarrage de la mousson. Ainsi, tout changement de la circulation atmosphérique à l'échelle globale, en raison notamment du changement climatique, pourrait avoir des répercussions sur la mousson.

L'organisation et la variabilité de l'atmosphère tropicale étant fortement reliées aux processus convectifs et nuageux dont la représentation dans les modèles de climat constitue la principale source d'incertitude des simulations climatiques pour la simulation des précipitations en régions tropicales et subtropicales, les données acquises ici seront très utiles aux modélisateurs du climat. Une comparaison très préliminaire de ces observations isotopiques avec les données simulées par le modèle atmosphérique LMDZ-iso de l'IPSL, un des modèles participant aux exercices du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), montre que ce modèle reproduit une partie des observations mais semble sous-estimer l'intensité de la convection en saison de mousson.

Ces mesures en continu de la composition isotopique de la vapeur d'eau atmosphérique à Niamey sont soutenues par le projet YOUPI du programme LEFE du CNRS-INSU et par l’IRD.



Notes

  1. Un système convectif est un ensemble d'orages qui se répartissent avec le temps en ligne (ligne de grains) ou en zones, de plusieurs dizaines à quelques centaines de kilomètres de longueur ou de diamètre respectivement.
  2. Les éléments oxygène et hydrogène possèdent plusieurs isotopes stables qui diffèrent par leur nombre de neutrons et donc leur masse. Il en résulte des structures différentes des molécules d'eau, lesquelles sont plus ou moins lourdes, et symétriques ou non. La composition isotopique est la quantité relative de ces différentes molécules dans la vapeur d'eau.
  3. La circulation atmosphérique dans les tropiques est caractérisée par un transport de chaleur et d’humidité des tropiques vers les latitudes moyennes, appelées circulation des cellules de Hadley. Aux latitudes moyennes, la branche descendante de cette cellule  peut se déplacer et se situer à plus ou moins haute latitude.
  4. Il s’agit d’un transport de la région d'Afrique du Nord jusqu’au Sahel favorisée par des vents Nord-Sud.


Source

Tremoy G., Vimeux F., Mayaki S., Souley I., Cattani O., Risi C., Favreau G., Oï M., A 1-year long δ18O record of water vapor in Niamey (Niger) reveals insightful atmospheric processes at different timescales, Geophysical Research Letters, doi:10.1029/2012GL051298.


Contacts

Françoise Vimeux , HSM et LSCE-IPSL, Tél. : 01 69 08 57 71

Guillaume Tremoy , LSCE-IPSL, Tél. : 01 69 08 94 63

Salla Mayaki , Institut des radio-isotopes (Niamey), Tél. : 00 227 20 31 58 50

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