La mousson sud-est asiatique sévissait également en période glaciaire

Les loess de Chine présentent les plus grandes séquences (1) climatiques continentales au monde, dans lesquelles notamment toute l'histoire du Quaternaire, les derniers 2,4 Ma, a été consignée. Ces séquences sont interprétées comme un enregistrement fiable des variations passées du régime de mousson sud-est asiatique via l'alternance de loess et paléosols représentant respectivement les moussons hivernales et estivales.
Différents indicateurs, principalement géophysiques, géochimiques ou sédimentologiques sont généralement utilisés pour interpréter ces séquences. Toutefois les mollusques terrestres, très souvent conservés en grand nombre dans les dépôts loessiques, sont également un indicateur fiable des conditions environnementales passées car ce sont les mêmes espèces que l'on rencontre actuellement en Chine et elles sont donc bien connues.

Depuis 1994, la séquence de référence de Luochuan est ainsi étudiée par le biais des coquilles de mollusques terrestres, dans le cadre d'une coopération entre des chercheurs français et chinois. Dans un premier temps, l'équipe pluridisciplinaire a mis en évidence des variations de la composition de la faune de mollusques en relation avec les oscillations climatiques des derniers 130 000 ans observées par ailleurs dans des enregistrements continentaux et marins. En utilisant les exigences écologiques des espèces identifiées, les chercheurs ont alors défini deux grands groupes de mollusques, l'un caractérisant des conditions froides et arides, représentatives des conditions de la mousson hivernale, et l'autre des conditions plus humides et chaudes, typiques de la mousson estivale.

Suite à ces travaux pionniers, la même équipe a échantillonné en partie les cinq derniers cycles climatiques, soit environ les derniers 470 000 ans. D'énormes quantités de sédiment ont ainsi été charriées pour préparer les parois du ravin en bordure du hameau de Potou et plus de 5 tonnes ont été ensuite prélevées puis tamisées sur place. Les chercheurs ont ensuite analysé le contenu en mollusques terrestres de ces sédiments.

Les résultats montrent que pour presque toutes les espèces, les effectifs de mollusques sont les plus élevés dans les dépôts les plus anciens traduisant des conditions environnementales plus clémentes. Le groupe écologique "froid et aride" caractérisant le régime de la mousson d'hiver sud-est asiatique n'est observé que durant les périodes glaciaires, quand la poussière se dépose.
En revanche, si le groupe "chaud et humide" indicateur de la mousson d'été sud-est asiatique est principalement rencontré au cours de périodes interstadiaires ou interglaciaires, favorables à la formation des sols, il présente aussi une très grande abondance durant trois événements particuliers enregistrés au cours des périodes glaciaires dénommées L5, L4 et L2, et situées à environ - 470 000, - 360 000 et - 170 000 ans respectivement, et plus particulièrement durant L4 et L5. Des variations similaires et aux mêmes périodes ont également été identifiées dans une autre séquence de loess à Xifeng, assez éloignée de Luochuan, ainsi que plus au nord dans le lac Baïkal ou encore à la marge méridionale du plateau central du loess chinois dans des concrétions stalagmitiques, démontrant que ce phénomène n'est pas local mais au moins régional.
Cette observation nouvelle d'indicateurs de mousson d'été durant des intervalles glaciaires implique un renforcement du régime de la mousson sud-est asiatique d'été durant des périodes réputées froides. Ce que confirme le fait que les événements chauds et humides observés durant L2 et L5 sont contemporains d'une part de dépôts inorganiques en Méditerranée caractéristiques d'une forte mousson d'été en Afrique orientale (baptisés sapropèles S12 et S6) et d'autre part de phases de relativement faible salinité des eaux de surface de l'océan Indien et donc de fortes précipitations.

Ces changements dans le régime des précipitations pourraient être une réponse à une configuration astronomique particulière (basse obliquité, faible précession, solstice d'été en périhélie) conduisant à une augmentation du gradient d'insolation d'été entre les tropiques et les hautes latitudes et donc à un accroissement du transport atmosphérique de la vapeur d'eau des tropiques vers les plus hautes latitudes des continents africain et asiatique.
Toutefois, d'autres mécanismes climatiques durant ces périodes particulières, tels que la réorganisation des circulations atmosphériques et marines, la tectonique avec notamment la surrection (élévation) du plateau tibétain et l'extension variable des calottes glaciaires de l'hémisphère Nord, sont également envisagés. Ils ouvrent de nouvelles perspectives de recherche et de collaboration dans cette région.

Note :

1. Les séquences loessiques sont constituées d'une alternance de paléosols et de loess, dont la formation dépend notamment des conditions climatiques ayant régné dans le passé, les phases de réchauffement étant caractérisées par la formation de sols et celles de refroidissement par une sédimentation loessique.

Source :

Rousseau DD, Wu N, Pei YP & Li F, Three exceptionally strong East-Asian summer monsoon events during glacial conditions in the past 470 kyr., Climate of the Past 5, 157-169.

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