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Océans Indien et Pacifique : une histoire de David et Goliath qui permet d'améliorer la prédiction d'El Niño

10-03-2010

Malgré d'importantes avancées dans sa compréhension, la prévision du phénomène climatique ENSO reste encore un défi. Des chercheurs du JAMSTEC (Japon), du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), du Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN) et de l'Université de Tokyo viennent cependant de mettre en évidence le rôle du "dipôle de l'océan Indien", l'équivalent d'ENSO dans l'océan Indien, sur les conditions ENSO de l'année suivante et de proposer les mécanismes par lesquels il agit. Grâce à cette étude, il est désormais possible de prédire, 14 mois avant son apogée, l'apparition d'un événement El Niño ou La Niña.

L'oscillation "australe" ENSO (El Niño Southern Oscillation) (voir encart) est la plus spectaculaire pulsation du climat terrestre. Composée d'évènements irréguliers chauds (El Niño) et froids (La Niña), elle participe au déséquilibre du plus grand réservoir de chaleur du globe, le Pacifique.

Cette oscillation trouve sa source dans les interactions entre l'océan et l'atmosphère au niveau du Pacifique tropical. Les mécanismes qui contrôlent la croissance (par le couplage océan-atmosphère) et la terminaison d'un El Niño sont maintenant relativement bien compris et bien illustrés par des modèles théoriques. Ainsi, une fois passée l'étape de développement initial des anomalies associées à ce phénomène, son évolution est relativement prévisible. Toutefois, de nombreuses questions demeurent quant à ses précurseurs potentiels et aux mécanismes qu'ils induisent et qui conduisent à son déclenchement. Prévoir un El Niño reste donc un défi !

Longtemps perçu comme un océan relativement passif du point de vue climatique, l'océan Indien est en fait le siège d'un mode de variabilité propre, découvert en 1999 et appelé le "dipôle de l'océan Indien" (1) . Cette oscillation pourrait-elle être liée à ENSO ? C'est sur cette question que s'est penchée une équipe internationale de chercheurs du JAMSTEC (Japon), du LEGOS, du LOCEAN et de l'Université de Tokyo.

En comparant les données thermiques (séries temporelles de 1981 à 2008) du dipôle de l'océan Indien (différence de température entre l'ouest et l'est) et du contenu thermique de l'océan pacifique (2) , cette équipe vient de démontrer qu'un dipôle négatif (positif) de l'océan Indien est un précurseur d'un évènement El Niño (La Niña) et que, combiné au contenu thermique de l'océan pacifique, il permet de le prédire efficacement 14 mois avant son apogée, soit environ 6 mois avant la "barrière saisonnière de prédictabilité" (3) . Grâce aux observations et à des analyses détaillées de modèles, ces chercheurs ont aussi pu identifier le mécanisme par lequel ce dipôle influence les conditions ENSO de l'année suivante, à savoir l'apparition ou non d'un événement El Niño ou La Niña.


(a) Corrélation entre le dipôle (IOD) et El Niño : les dipôles négatifs tendent à précéder les El Niño de 13 à 15 mois, alors qu'El Niño n'est pas un précurseur significatif du dipôle. (b) Scores de prévisions simples d'El Niño (les carrés indiquent le début des prévisions) : le contenu thermique du Pacifique en automne (courbe bleue) a un faible pouvoir prédictif ; en revanche, combiné au "dipole mode index" (courbe rouge), il donne des prévisions de très bonne qualité, équivalentes à celles obtenues 6 mois plus tard avec le contenu thermique du Pacifique combiné aux vents zonaux dans le Pacifique Ouest.


Voici le mécanisme proposé par ces chercheurs pour le déclenchement d'un El Niño.


Rayonnement infrarouge moyen émis par le sommet des nuages [Outgoing Longwave Radiation (OLR) des satellites NOAA] en octobre (du jaune, au rouge, au bleu, le sommet des nuages est de plus en plus froid). Au niveau des Tropiques, ces données représentent la convection atmosphérique car à ces latitudes le sommet des nuages est d'autant plus froid qu'ils sont plus élevés du fait d'une convection plus forte. Elles montrent la présence d'une très forte convection atmosphérique dans l'est de l'océan Indien.

Lors d'un dipôle négatif de l'océan Indien, le sud-est de cet océan connaît un réchauffement qui atteint son maximum en automne. Or, à cette saison, la branche ascendante de la circulation atmosphérique Indo-Pacifique de Walker (voir encart) est maximale à l'est de l'océan Indien et le réchauffement associé au dipôle peut fortement la renforcer. Ainsi, au moment du pic du dipôle, les alizés sont intensifiés dans le Pacifique ouest et central, ce qui génère des ondes océaniques qui favorisent notamment l'accumulation d'eaux chaudes dans le Pacifique ouest. Mais, à la fin de l'automne, le pôle Est du dipôle disparaît rapidement induisant un effondrement rapide des alizés (i.e. un retour à la normale de ceux-ci) dans le Pacifique ouest et central. Les ondes océaniques précédentes et qui se seront entretemps réfléchies aux deux bords du bassin vont alors interférer de manière constructive avec (s'additionner à) celles générées par la relâche des alizés, conduisant au développement de courants océaniques vers l'est, en hiver et au printemps, et donc au déplacement vers l'est du réservoir d'eaux chaudes du Pacifique Ouest. À partir de février-mars, le couplage air-mer amplifie les anomalies de vent et de température de surface associées à ce déplacement pour aboutir finalement à un épisode El Niño. Ce mécanisme est similaire au modèle conceptuel advectif-réflectif d'ENSO proposé par d'autres chercheurs en 1997, mais il est proposé ici dans le contexte d'un forçage externe par le dipôle Indien, i.e. d'une intensification suivie d'un brusque relâchement des alizés.




Schéma du mécanisme montrant comment un dipôle négatif en automne favorise le développement d'un El Niño l'année suivante. Les anomalies de température de surface sont représentées par des couleurs, les anomalies de vent de surface par des flèches noires et la cellule de Walker par une ligne pointillée. Les changements de la thermocline équatoriale sont schématisés par une ligne noire épaisse, les conditions normales par une ligne verte et les courants de surface par des flèches blanches.



L'oscillation "australe" ENSO (El Niño Southern Oscillation)


En conditions "normales", la circulation atmosphérique au-dessus de l'océan Pacifique équatorial est une circulation en boucle appelée cellule de Walker. Soufflant d'est en ouest au-dessus de l'océan, les alizés induisent des remontées d'eaux froides de subsurface le long de l'équateur tout en repoussant les eaux chaudes de surface vers l'ouest, où l'air réchauffé s'élève (région dite de forte convection) ; en altitude, poussé au-dessus de l'océan par les vents d'ouest, cet air retourne vers l'est, jusqu'à la zone de subsidence associée aux eaux froides du Pacifique Est.

En conditions El Niño, les alizés sont plus faibles et les eaux chaudes de surface sont entraînées vers l'est : cette augmentation de la température de surface dans tout le secteur du centre et de l'est du Pacifique équatorial perturbe les courants marins, modifie les échanges de chaleur entre l'océan et l'atmosphère (et donc les distributions nuageuses et pluviométriques) et donne des températures inhabituelles aux continents proches (Amérique, Australie et Asie de Sud-Est) avec in fine pour conséquence une perturbation du climat de l'ensemble de la planète. Cet événement commence en général à se développer durant le printemps boréal ; il atteint un pic d'amplitude l'hiver suivant, avant de décroître progressivement.

Un événement El Niño peut être suivi d'un événement La Niña, qui consiste en un renforcement des conditions normales : les alizés (et les remontées d'eaux froides associées) sont plus forts et poussent les eaux froides plus à l'ouest.



Notes

  1. Le Dipôle Océan Indien (ou IOD pour Indian Ocean Dipole) est une variabilité climatique liée aux interactions océan-atmosphère et qui alterne événements positifs et négatifs : l'IOD est dit positif quand la température de l'océan Indien augmente à l'ouest et baisse à l'est, et négatif dans le cas contraire.
  2. Le contenu thermique de la couche de surface de l'océan Pacifique, ou Warm water volume (WWV), est le volume des eaux de l'océan Pacifique situées entre 5°N et 5°S et ayant une température supérieure à 20°C.
  3. La combinaison du contenu thermique du Pacifique et des vents zonaux dans le Pacifique Ouest, une manière "classique" de prédire El Niño, permet de le prédire jusqu'à environ 8 mois avant son apogée, une limite appelée "barrière saisonnière de prédictabilité".


Source

Izumo, T., J. Vialard, M. Lengaigne, C. de Boyer Montégut, S. K. Behera, J-J. Luo, S. Cravatte, S. Masson, and T. Yamagata, Influence of the Indian Ocean Dipole on following year's El Niño, Nature Geoscience, 3, 168-172, 2010.



Contact

Matthieu Lengaigne, LOCEAN/IPSL, Tél. : 01 44 27 70 76, e-mail : matthieu.lengaigne @ locean-ipsl.upmc.fr

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