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Dépôt des aérosols minéraux au-dessus de l'océan Austral

07-12-2012

Des chercheurs du LISA et du LSCE, pour l'IPSL, ainsi que de la Cornell University (Ithaca, USA), ont pour la première fois mesuré en continu pendant deux ans le dépôt des poussières atmosphériques aux îles Kerguelen dans l’océan Austral Indien. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que la contribution atmosphérique à l’apport des micronutriments aux eaux de surface est, dans cette région, nettement plus importante que ce qui avait été estimé jusqu’à présent.

Pour croître, le phytoplancton a besoin de lumière, de dioxyde de carbone (CO2) et de divers nutriments. Cet organisme se développe donc dans les eaux de surface des océans. Grâce à la photosynthèse chlorophyllienne, il consomme le CO2 atmosphérique dissous dans ces eaux, jouant de ce fait un rôle majeur dans la capacité des océans à être des puits de carbone et donc à limiter l’augmentation de l’effet de serre. Il consomme également des macronutriments (azote, phosphore, silicium) et des micronutriments (fer, cobalt, cuivre...), ces nutriments pouvant être apportés à l’océan par l’atmosphère, les eaux des fleuves, la diffusion à partir des eaux océaniques profondes très riches en nutriments ou encore le transport direct de ces eaux vers la surface.


L'océan Austral est considéré comme l'un des plus importants puits de carbone terrestre, et ce pour plusieurs raisons dont la présence de phytoplancton. Néanmoins, si ses eaux de surface renferment de fortes quantités de macronutriments, les micronutriments, notamment le fer, y sont peu abondants, ce qui limite la production de phytoplancton (c’est-à-dire de chlorophylle) et donc le piégeage du dioxyde de carbone. C’est la raison pour laquelle cette zone océanique est dite "High nutrient low chlorophyll" (HNLC). L'apport de micronutriments dans les eaux de surface de l'océan Austral pourrait donc jouer un rôle clef dans le contrôle de la croissance du phytoplancton et en conséquence dans le cycle du carbone. Or, cette zone du sud est très peu documentée sur les flux des métaux traces atmosphériques.


Afin de connaître la quantité de matière continentale transférée à l'océan Austral par voie atmosphérique, des chercheurs du LISA , du LSCE et de la Cornell University ont mis en place une campagne de terrain (1) aux îles Kerguelen (49°18'S; 70°07'E), situées au milieu de l'océan Austral Indien à 3800 km de l'Afrique du Sud et à 2000 km des côtes antarctiques. Cette campagne visait principalement à déterminer dans cette région, pour la première fois en continu et de manière directe, le dépôt atmosphérique.


Site de collecte du dépôt atmosphérique installé aux îles Kerguelen. Les deux collecteurs sont placés au sommet de tubes PVC.


Pour ce faire, une station de mesure a été implantée aux Kerguelen. Cette station était équipée de deux systèmes de collecte de la matière qui se dépose, chacun placé au sommet d'un mat à 2 m du sol et composé d'un entonnoir de 12 cm de diamètre monté sur une bouteille de récupération du dépôt d’une capacité de 1 L. La station était également équipée d’un système de prélèvement par filtration des aérosols présents dans l’atmosphère qui fonctionnait grâce à l'énergie fournie par un petit aérogénérateur de 400 W. Récupérés deux fois par mois, les échantillons ainsi collectés étaient expédiés au LISA pour y être analysés. La principale difficulté étant d’éviter toute contamination afin de déterminer proprement la composition chimique des échantillons, notamment leurs concentrations en micronutriments, des protocoles très rigoureux impliquant l'utilisation de salles blanches ont été employés. Cette station a permis de mesurer, pendant les années 2009 et 2010, le flux de dépôt atmosphérique des aérosols minéraux et leur concentration dans les basses couches de l’atmosphère.


Les résultats ont montré que la concentration moyenne des aérosols minéraux, à 2 m du sol, est l’une des plus faibles mesurées au-dessus des océans, mais qu’elle est du même ordre de grandeur que celles mesurées dans une étude précédente au cours de campagnes océanographiques au voisinage des îles Kerguelen. Quant au flux de dépôt des aérosols minéraux estimé de manière directe par les auteurs à partir des échantillons de dépôt, il est en adéquation avec les modèles atmosphériques globaux actuels mais supérieur d’un ordre de grandeur à celui calculé de manière indirecte par l’étude précédente à partir des valeurs des concentrations d'aérosols atmosphériques collectés au niveau de la surface. Dans cette région en effet, la majeure partie du flux de dépôt provenant des pluies, une estimation de ce flux peut être tenté par un calcul indirect utilisant un coefficient d'abattement (2) . Il semble donc qu’un tel calcul soit ici inapproprié.


Récupération d'un échantillon de déôt atmosphérique

Mais pourquoi une telle différence ? Les quantités de pluie tombées mesurées par les auteurs étant les mêmes que celles mesurées dans l'étude précédente, il s’ensuit que soit le coefficient d'abattement moyen correspondant à leurs mesures directes est supérieur d'un ordre de grandeur à celui disponible dans la littérature et couramment admis, ce qui est physiquement impossible, soit il y a plus d'aérosols rabattus que ce qu’il devrait y avoir au vu de leur concentration près de la surface. Mais alors, d’où viendraient-ils ? L’atmosphère étant homogène dans la couche limite marine (sous les nuages) en raison de la turbulence (convection + vents forts), ce trop plein d’aérosols rabattus semble ne pouvoir provenir que d’au-dessus de cette couche limite...


Quelle qu’en soit la raison, une chose est certaine : la contribution atmosphérique à l’apport des micronutriments est, dans cette région, nettement plus importante qu’estimée jusqu’à présent.


Notes: 

  1. Cette campagne s’est déroulée dans le cadre du programme FLATOCOA (Flux atmosphérique d'origine continentale sur l'océan Austral) financée par l'IPEV.
  2. Le coefficient d’abattement permet de calculer les quantités d’aérosols rabattues sur le sol par la pluie. Ces quantités sont égales au produit de ce coefficient par les quantités de pluie tombées et les concentrations d’aérosols.


Source(s): 

Direct measurements of atmospheric iron, cobalt and aluminium-derived dust deposition at Kerguelen Islands, A. Heimburger, R. Losno, S. Triquet, F. Dulac, N. Mahowald, Global Biogeochemical Cycles, doi:10.1029/2012GB004301



Contact chercheur :

Alexie Heimburger , LISA, 01 45 17 16 02

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