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10 000 ans de fonte des glaciers andins expliqués

20-09-2011

Grâce à une méthode de datation récente, une équipe de chercheurs (1) vient d’expliquer 10 000 ans de fonte glaciaire dans les Andes. Ils ont montré que, du fait d’une hausse des températures atmosphériques de 3°C, le glacier bolivien Telata s’est retiré de 3 km durant ce laps de temps appelé Holocène. D’après les résultats d’une modélisation des climats du passé, c’est le réchauffement de l’océan Pacifique tropical, lui-même dû à une augmentation de l’insolation (2) sous les tropiques, qui serait responsable de ce recul. Cette étude indique également un fort recul des glaciers tropicaux depuis le début de l’ère industrielle et souligne combien ces masses de glace, perchées à 5000 m d’altitude là où le réchauffement sera vraisemblablement le plus élevé, sont vulnérables. Ces résultats ont été publiés le 9 juin dernier dans la revue Nature.

De nombreuses observations prouvent que les glaciers fondent partout dans le monde. Le cas particulier des glaciers tropicaux, principalement situés dans les hauteurs andines et souvent perchés à plus de 5000 m d’altitude, n’est cependant pas encore bien connu. Du fait de leur localisation sous les Tropiques et de leur élévation, on sait qu’ils sont très sensibles au réchauffement climatique et ils reculent en effet considérablement depuis plusieurs décennies. Mais pour identifier les causes précises de cette régression, il est important de retracer l’histoire de ces masses de glace sur une période de temps beaucoup plus longue.


La fonte s’accélère depuis 200 ans

Dans ce contexte, une équipe de chercheurs (1) a, pour la première fois, reconstitué l’histoire d’un glacier sur les 10 000 dernières années, une période géologique appelée l’Holocène. Leur étude, menée sur le glacier Telata situé à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale bolivienne La Paz, montre qu’en 10 000 ans la surface du glacier a diminué de plus de 90% et que son front a reculé de 3 km. Cette régression, d’abord très lente, s’est fortement accélérée depuis le début du 19e siècle, les deux tiers de ce recul ayant eu lieu entre 1820 et aujourd'hui.


Les moraines, témoins de l’histoire du glacier

Sur ce site de haute altitude, les scientifiques se sont intéressés aux moraines, des roches déposées par le glacier qui constituent de précieux témoins des positions antérieures du front glaciaire. Leur nombre important et la qualité de leur conservation, qui offrent un enregistrement quasi continu des stades successifs du glacier, font du Telata un site exceptionnel et unique sous les Tropiques. Pour retracer les phases de recul et d’avancée du front, l’équipe de recherche a établi l’âge des dépôts rocheux et leur chronologie grâce à une méthode de datation récente qui repose sur la mesure de la concentration de berylium-10 dans les roches constituant les moraines. Lorsque la roche n’est plus recouverte par le glacier, le rayonnement cosmique (3) qui frappe sa surface entraîne en effet une réaction nucléaire qui déclenche la formation de berylium 10 dans certains minéraux (ici le quartz). La mesure de sa concentration par spectrométrie de masse par accélérateur (4) a donc permis de déterminer la durée d’exposition de la roche depuis le retrait de la glace.


L’océan se réchauffe, les glaciers fondent

Pour déterminer les causes de la fonte des glaces du Telata, les chercheurs ont relié les positions historiques du glacier aux températures et précipitations qui prévalaient à chaque époque. Ils ont montré que le recul est avant tout lié à un réchauffement atmosphérique d’environ 3°C sur l’ensemble de la période Holocène. Ce réchauffement serait dû à une élévation, tout au long de ces dix millénaires, de la température de surface de l’océan Pacifique tropical, du fait de l’augmentation progressive de la quantité de rayonnement solaire reçue à la surface terrestre – communément appelé « insolation ». En revanche, les simulations numériques réalisées à l’aide du modèle de climat de l’IPSL montrent que les précipitations neigeuses n’ont pas varié de façon suffisamment importante depuis 10 000 ans pour influencer l’évolution du glacier.

C’est donc bien la température du Pacifique tropical qui a contrôlé les glaces du Telata au cours des temps géologiques. Si les glaciologues savaient déjà que la fonte actuelle des glaciers andins est reliée à cet océan, ils n’avaient pas jusque là obtenu d’information sur l’existence de cette relation dans le passé.


Cette étude, retraçant l’histoire des glaciers tropicaux, souligne combien ceux-ci seront vulnérables au cours des prochaines décennies. Les projections climatiques dans les Andes prévoient en effet une élévation de température de l’ordre de 4 à 5°C à l’horizon 2100 – la plus élevée au monde. Un réchauffement plus important que celui observé pour toute la période Holocène, qui a conduit à un fort recul du Telata.


Histoire du glacier Telata au cours des 10 000 dernières années reconstituée à partir des moraines, dépôts rocheux laissés par le glacier au cours de sa fonte. La fonte du glacier a été particulièrement importante au cours des 200 dernières années.



Source

Vincent Jomelli, Myriam Khodri, Vincent Favier, Daniel Brunstein, Marie-Pierre Ledru, Patrick Wagnon, Pierre-Henri Blard, Jean-Emmanuel Sicart, Régis Braucher, Delphine Grancher, Didier Louis Bourlès, Pascale Braconnot, Mathias Vuille. Irregular tropical glacier retreat over the Holocene epoch driven by progressive warming, . Nature, 2011; 474 (7350): 196 DOI: 10.1038/nature10150



Notes

  1. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec des chercheurs du CNRS et de l’UJF et un chercheur américain de l’Université d’Albanie.
  2. Quantité de rayonnement solaire reçu.
  3. Le rayonnement cosmique est le flux de particules qui se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière dans tout l'Univers.
  4. L’instrument national utilisé lors de cette étude est le spectromètre de masse ASTER situé au Cerege à Aix en Provence.


Contact

Myriam Khodri , LOCEAN-IPSL, tél. : 01.44.27.84.67

Vincent Jomelli , LGP, tél. : 04.67.83.95.41

Daniel Brunstein , LGP, tél. : 01.45.07.57.22


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