Alouestes – Étape 8 : Prendre de la graine au Salvador


Le 3 mai 2023, Tiphaine et son compagnon de voyage Glen, débarquent à Anchorage en Alaska, 7500 kilomètres à l’ouest – ou Alouestes de la France.

Depuis, ils roulent à vélo entre les Montagnes Rocheuses et l’océan Pacifique, cap sud vers le Panama, aux portes de l’Amérique du sud. D’étape en étape, le binôme s’arrête à des endroits spectaculaires, bien préservé ou, au contraire, menacés par l’impact anthropique. Des sols gelés dans la vallée du Yukon (Canada) aux plateaux désertiques de la Basse-Californie (Mexique), en passant par les glaciers et les forêts de la Colombie-Britannique (Canada), celle de Tiphaine et Glen n’est pas qu’une aventure humaine, mais aussi un périple scientifique.

Dans cette huitième étape au Salvador, dans la baie de Jiquilisco, Tiphaine rencontre l’association Mangle, qui préserve et restaure les écosystèmes de mangroves. Depuis une dizaine d’années, l’association teste une méthode de reforestation « écologique » inédite…

Reforester sans planter de nouvelles graines ? Cela semble impossible.

L’association Mangle prouve le contraire et restaure les écosystèmes de mangroves dans la région de Bajo Lempa, dans la baie de Jiquilisco. Depuis 2011, les membres de l’association utilisent une méthode de restauration écologique des mangroves (REM). Plutôt que de planter de nouvelles forêts, ils réhabilitent le territoire afin d’accueillir celles d’antan. Un procédé qui demande une profonde connaissance de ces écosystèmes et qui réussit là où d’autres méthodes ont montré leurs limites.

 

« Depuis 1950, le Salvador a perdu 60% de ses mangroves »

Les forêts de mangroves sont des écosystèmes uniques poussant dans les marécages des littoraux tropicaux. Ces forêts protègent les territoires face aux événements extrêmes, participent à l’absorption de carbone de l’atmosphère et offrent un refuge pour la biodiversité.

La baie de Jiquilisco a été déclarée en 2005 une zone humide d’importance internationale Ramsar, puis en 2007 une réserve de biosphère UNESCO. Et pourtant, les activités humaines telles que l’agriculture intensive, le développement industriel, la pêche (notamment aux explosifs), ou encore la déforestation, menacent ces espaces. « Depuis 1950, le Salvador a perdu 60% de ses mangroves » explique José Maria Argueta, président de l’association Mangle.

 

Panneau “Do not Litter”, soit “ne pas jeter ses déchets”, dans les mangroves. © T.Claveau.

Panneau “Do not Litter”, soit “ne pas jeter ses déchets”, dans les mangroves. © T.Claveau.

 

2.Spatules rosées, tantales d’Amérique, aigrette garzette et pélicans blancs dans les mangroves à Bajo Lempa. © T.Claveau.

Spatules rosées, tantales d’Amérique, aigrette garzette et pélicans blancs dans les mangroves à Bajo Lempa. © T.Claveau.

 

Jeune pousse parmi les racines de palétuvier noir (black mangrove) qui, adapté aux zones inondées, poussent hors de terre.

Jeune pousse parmi les racines de palétuvier noir (black mangrove) qui, adapté aux zones inondées, poussent hors de terre. © T.Claveau.

 

« En 2011, 60 hectares avaient été perdus sur ce secteur » annonce José Maria, à côté du Puente de Oro, le plus grand pont du Salvador, qui surplombe la rivière Bajo Lempa et offre une vue imprenable sur les mangroves recouvrant les rives… Il s’agit d’une zone particulièrement vulnérable aux événements extrêmes. Les sécheresses et les inondations sont récurrentes et liées à divers facteurs, tels que la saison des cyclones, mais aussi les infrastructures, la mauvaise gestion des déchets, l’état des berges ou encore la mauvaise gestion du barrage en amont de la rivière.

 

Vue des mangroves du pont de Oro sur la rivière Bajo Lempa

Vue des mangroves du pont de Oro sur la rivière Bajo Lempa © T.Claveau.

 

Graines de palétuvier rouge (red mangrove) qui compose une grande partie du secteur de El Zamoran.

Graines de palétuvier rouge (red mangrove) qui compose une grande partie du secteur de El Zamoran. © T.Claveau.

 

Vue des canaux créés ces dernières années dans la zone de El Zamoran.

Vue des canaux créés ces dernières années dans la zone de El Zamoran. © T.Claveau.

 

Une sélection naturelle des graines

L’association salvadorienne travaille actuellement sur une parcelle proche de la communauté de El Zamoran. Pour y accéder, il faut traverser les marécages de mangroves à pied. Une fois de l’autre côté, le paysage change soudainement : de grandes plaines d’herbes hautes et sèches, jaunies par le soleil, où les feux de forêt répresentent une menace importante.

Le président de l’association explique que la culture de nouvelles graines n’a pas fonctionné dans cette zone, l’une des plus difficiles à restaurer. Il est possible que les espèces d’arbres choisies n’aient pas été les plus adaptées à l’environnement : « c’est l’avantage de cette nouvelle méthode, nous préparons le terrain pour que des graines puissent naturellement s’implanter », précise José Maria. Cela consiste donc à préparer des canaux à travers les hautes herbes en arrachant les racines. À la saison humide, lorsque les eaux inondent la zone, elles remonteront ces canaux en transportant les graines des mangroves avoisinantes. Les graines qui s’implantent durablement et de manière naturelle sont les plus adaptées à cet environnement.

Pour préparer le terrain à ce moment, les ouvriers travaillent d’arrache-pied : il fait chaud, il faut apporter de l’eau et de la nourriture pour la journée à travers les marécages, l’herbe est coupée à la machette, avec seulement deux débroussailleuses motorisées. Mais malgré tout les ouvriers avancent vite : beaucoup de zones ont encore besoin d’être restaurées.

 

José Maria Argueta et son équipe traversant les mangroves pour rejoindre les ouvriers.

José Maria Argueta et son équipe traversant les mangroves pour rejoindre les ouvriers. © T.Claveau.

 

Les ouvriers en train de débroussailler pour ouvrir un canal.

Les ouvriers en train de débroussailler pour ouvrir un canal. © T.Claveau.

 

Les débroussailleuses doivent être aiguisées tous les jours, les machettes toutes les heures.

Les débroussailleuses doivent être aiguisées tous les jours, les machettes toutes les heures. © T.Claveau.

 

Vue des canaux des années précédentes où les mangroves comment à s’installer.

Vue des canaux des années précédentes où les mangroves commencent à s’installer. © T.Claveau.

 

Mangle a appliqué cette méthode à la suite d’un workshop organisé en 2011 avec d’autres associations d’Amérique Centrale par the Mangrove Action Project (MAP), une association américaine basée à Seattle. Depuis, l’espace occupé par les mangroves progresse.

Afin de déterminer l’endroit où les canaux auront le plus d’impact, une étude de terrain au préalable est nécessaire. Dans cette zone à haut potentiel, 15 hectares de mangroves ont été restaurés, grâce à 2,2 kilomètres de canaux. Tous ces travaux ont un coût : en moyenne, l’association dépense 20 000$ par an pour restaurer 20 hectares de mangroves. Pour 2024, le budget alloué à ces projets à baissé de moitié, par faute de financements. L’association Mangle s’est déployée et compte aujourd’hui quatre grands axes supplémentaires : le développement de la jeunesse, le leadership féminin, la participation citoyenne et la production agro-écologique.

Ce nouveau projet, en attente de financements, porte avec lui un espoir pour la sécurité alimentaire de cette région et la vie de ces communautés, qui dépendent fortement de la pêche.

 

Pour en savoir plus

Tiphaine Claveau pour ICOM-IPSL


ICOM-IPSL