Accueil > Actualités > Actualités scientifiques > Le néodyme et le rôle des marges continentales dans les apports d'éléments chimiques à l'océan

Le rôle des marges continentales dans les apports d'éléments chimiques à l'océan : ce que nous apprend le néodyme

22-12-2009

Une modélisation originale du cycle océanique du néodyme a permis de mettre en évidence l'importance des marges continentales comme pourvoyeurs de cet élément, et probablement d'autres éléments chimiques, à l'océan. Cette étude est le fruit d'une collaboration pluridisciplinaire entre géochimistes (LEGOS/OMP) et modélisateurs (LSCE/IPSL et LPO/IUEM) et a été menée dans le cadre de la thèse de Thomas Arsouze, récemment couronnée du prix de l'Académie des Sciences et des Belles Lettres de Toulouse (2009). Ces résultats sont essentiels pour la compréhension, en lien avec le climat, des cycles des éléments chimiques dans le système Terre. Ils sont publiés dans la revue Biogeosciences.


La marge continentale se compose du plateau continental et du talus continental. La profondeur moyenne du pied du talus est d'environ 3000 m.

On désigne sous le terme de "marge continentale" la région sous-marine qui s'étend de la côte au pied du talus continental (entre 0 et environ 3000 m de fond) et fait l'interface entre le continent et les abysses. Bien qu'une quantité importante de matériel issu de l'érosion des continents se dépose sur ces marges grâce aux décharges des fleuves et au ruissellement, le rôle qu'elles jouent dans le cycle des éléments géochimiques marins est encore largement méconnu, les concentrations en éléments dissous dans l'océan au voisinage des marges ne variant que peu ou pas.


C'était sans compter sur le néodyme (Nd), un élément peu connu, mais qui, grâce à ses isotopes, s'avère très intéressant comme traceur géochimique ! En effet, lors de travaux antérieurs basés sur des études ponctuelles de terrain, l'équipe de géochimie marine du LEGOS (GEOMAR) a mis en évidence que les signatures isotopiques du néodyme, exprimées à l'aide d'un paramètre appelé εNd, variaient énormément entre les océans Atlantique, Indien et Pacifique, un fait qui implique des apports continentaux significatifs de cet élément. Cette étude suggérait donc que les marges continentales pouvaient jouer un rôle important comme pourvoyeur de néodyme à l'océan dans certaines régions du globe. Pourtant ces apports ne s'accompagnent pas d'une augmentation significative et simultanée des concentrations océaniques de néodyme. D'où vient cette apparente contradiction ? C'est ce qu'il fallait essayer de comprendre.

Afin de réconcilier le budget océanique des concentrations de néodyme avec celui de sa composition isotopique et d'identifier l'importance des différentes sources, une équipe constituée de géochimistes du LEGOS et de modélisateurs du LSCE et du LPO a modélisé le cycle océanique global de cet élément, en se basant sur un modèle couplant la circulation générale océanique (NEMO), la biogéochimie marine (PISCES) et la dynamique des particules océaniques.

Ce travail a permis de montrer que la distribution effective du néodyme dans les différents bassins océaniques ne peut être simulée par le modèle utilisé que si l'on considère qu'environ 3 % du sédiment déposé sur les marges se dissout au sein de l'océan. Cela signifie que les marges pourvoiraient via ce mécanisme... à 95 % de l'apport total de néodyme à l'océan !


Valeurs du paramètre Epsilon obtenues par simulation à l'aide du modèle NEMO/PISCES (couleur de fond) et mesurées dans le milieu marin (cercles colorés), moyennées sur la colonne d'eau, d'une part en l'absence d'apport des marges continentales (à gauche) et d'autre part en présence d'un fort apport (à dorite). La comparaison des couleurs, dont les échelles sont les mêmes pour modèle et données, montre qu'un bon accord modèle/données n'est obtenu qu'en introduisant dans le modèle un fort apport de néodyme de la part des marges océaniques.


Mais alors que se passe-t-il exactement près de ces marges ? L'hypothèse avancée par les chercheurs est qu'une "altération chimique sous-marine" accompagnée d'une dissolution d'une petite fraction du sédiment apporté par l'érosion des continents, et "marqué" par une composition isotopique du néodyme différente de celle de l'eau de mer, se produirait peu de temps après son dépôt sur la marge, conduisant à une modification du rapport isotopique du néodyme dans l'océan. Puis une quantité de néodyme équivalente à une fraction importante de celle ainsi libérée dans l'océan serait assez vite soustraite de la colonne d'eau par des réactions physicochimiques conduisant à sa sédimentation, sans toutefois gommer l'"empreinte isotopique" du néodyme apporté à l'eau.


Ces résultats confirment l'importance des marges continentales, au niveau global, pour l'apport de ce traceur à l'océan, invitant en cela à reprendre les calculs de bilans apport/départ de cet élément dans lesquels jusqu'à présent seuls les apports dissous des rivières et ceux liés aux poussières atmosphériques avaient été pris en compte.

En outre, si l'hypothèse précédente est démontrée, il est fort probable que d'autres éléments chimiques sont libérés avec le néodyme, en particulier certains éléments essentiels pour les systèmes biologiques marins comme le fer, ce qui amènerait à reconsidérer totalement non seulement le budget océanique du néodyme mais aussi celui de ces éléments.


Source: T. Arsouze, J.-C. Dutay, F. Lacan, and C. Jeandel, Reconstructing the Nd oceanic cycle using a coupled dynamical-biogeochemical model, Biogeosciences , 6, 2829-2846, 2009


Contact : Thomas Arsouze (arsouze @ ldeo.columbia.edu) LEGOS/OMP

Retour à la liste actualités scientifiques