Un processus fascinant


Jean-Baptiste Sallée est auteur principal du chapitre 9 du groupe 1 sur l’océan, la cryosphère et les changements du niveau de la mer.

Portrait de Jean-Baptiste Sallée par Valérie Lilette pour l'IPSL, 2023

Portrait de Jean-Baptiste Sallée par Valérie Lilette pour l’IPSL, 2023

 

Le GIEC a quelque chose d’unique. J’étais ravi de pouvoir participer à cet effort collectif, de pouvoir contribuer à la production de ces rapports. C’est une organisation scientifique qui est à mes yeux extrêmement importante, à la fois sur le bilan des connaissances sur le changement climatique et pour cette co-construction avec le monde politique. Je dois dire qu’au départ j’avais un peu d’appréhension sur la quantité de travail, que j’avais malgré tout sous-estimée. Je me posais beaucoup de questions sur mes capacités, ma légitimé : un petit syndrome de l’imposteur qui s’efface peu à peu au fur et à mesure de la production du rapport. Ce qui n’a jamais disparu, c’est une crainte de ne pas faire assez bien, justement à la hauteur de ce que je pense du GIEC. L’écriture du rapport prend du temps, tout se met en place petit à petit. Les réunions entre auteurs, surtout celles en présentiel, ont été particulièrement importantes pour la mise en place d’une cohésion d’équipe. Dans les moments tendus, se connaître est vraiment important pour apaiser les potentielles tensions et avancer efficacement dans le travail d’évaluation. C’est vraiment une expérience humaine. Les défis tout le long du processus d’écriture ont été nombreux. Par exemple des défis sur des aspects interpersonnels dans l’équipe, sur la façon de travailler, les différences de points de vue. Certains auteurs dans notre chapitre se sont un peu mis en retrait. Mais au-delà de ces défis, l’esprit d’équipe et notamment la coordination de notre équipe, nous ont permis de produire un chapitre dont nous sommes contents. Avec évidemment une quantité de travail qui est absolument faramineuse, avec des pics très intenses et des périodes plus calmes. La réception des commentaires des différentes relecture notamment est particulièrement intense : plusieurs milliers à se partager, pour ensuite revoir notre copie et retravailler à une évaluation toujours plus pertinente.

J’ai eu la chance de participer à la production du résumé technique et de celui pour décideurs. J’ai beaucoup appris de ces processus, bien que ce soit encore beaucoup de travail et de poids sur les épaules. C’est le résumé pour décideurs qui sera lu le plus largement, alors on veut faire du mieux qu’on peut. La dynamique est différente, l’équipe est aussi plus grande avec des personnes imposantes, soit par leur qualité scientifique soit par leur attitude. Les sessions d’approbation sont intenses et marquantes. Il faut être solide pour répondre en sachant justifier ce qu’on veut ou ne veut pas dire. Elles ne représentent pas vraiment le travail du quotidien de la production du rapport, mais en sont un aboutissement. J’essaye de toujours tenir une règle d’or de ne pas travailler les soirs et les weekends, mais je dois dire que j’ai dû faire quelques brèches à cette règle pendant ma participation au GIEC. Ça mange un peu sur la vie personnelle, même lorsqu’on ne travaille pas ça mouline dans la tête. Le GIEC prend de l’espace. Nous sommes aussi plus facilement sollicités par les médias. La transmission de connaissances est essentielle et il faut être présent à tous les échelons, mais avec deux enfants en bas-âge je ne peux pas répondre positivement à tous les coups.

J’ai énormément appris. En prenant part aux discussions, en prenant du recul sur mes activités et sur des choses en dehors de mon domaine de recherche. Les éléments clés, les trous de connaissances deviennent plus clairs, et les points importants à approfondir pour avancer sur notre compréhension des changements aussi. Tout cela influence nécessairement les sujets que je veux maintenant aborder dans ma recherche. La production de connaissances me plait et je vais continuer, mais avec des envies un peu différentes. Un nouveau regard. Au niveau politique et sociétal, lorsqu’on fait tout ce travail et qu’on voit les choses avancer si lentement, je dois dire que c’est un peu frustrant. Cette 6e session d’évaluation a eu un fort écho dans la société et la prise de conscience se fait à plein de niveaux différents. Plein d’aspects donnent de l’espoir, mais plein d‘autres sont moins roses. La direction collective que nous prenons mènera à une intensification des changements en cours déjà forts, et de fait, à d’importants défis sociétaux à relever : quand est-ce que cette prise de conscience va nous permettre de passer à la vitesse supérieure ?

 

Portraits réalisés par Valérie Lilette et propos recueillis par Tiphaine Claveau.

Tiphaine Claveau


IPSL