Nourrir un regard d’espoir


Laurent Bopp est auteur principal chapitre 3 du deuxième groupe de travail sur les écosystèmes océaniques et côtiers et leurs services.

Portrait de Laurent Bopp réalisé par Valérie Lilette pour l'IPSL.

Portait de Laurent Bopp par Valérie Lilette pour l’IPSL, 2023.

 

Un jour, étudiant, je rentre dans une librairie et tombe sur le rapport du GIEC. On est en 1995, j’y découvre plein de choses sur le climat, et y participer devient un objectif inconscient. Plus tard dans mon labo, entendre mes collègues en parler et partager leur expérience, à la fois dans les équipes mais aussi sur la manière dont le rapport est utilisé, ça m’a décidé à candidater. Quand j’ai été retenu pour le premier rapport, j’étais très heureux, une certaine fierté aussi. C’était une super expérience. Il y a un aspect un peu égoïste, participer à cette construction développe un réseau. Mais évidemment, il y a le fait de sentir que la science qu’on fait est utile. Puis pour l’enseignement, le rapport et ses figures sont des ressources absolument géniales. Je pense qu’avant d’être dedans on ne se rend pas compte de la profondeur du travail en équipe, du rapprochement entre co-auteurs. Le rapport est très scruté de l’extérieur, ce qui implique toutes les phases de relecture et de commentaires, et une fois publié nous sommes responsables du contenu. Il n’y a pas le droit à l’erreur, c’est une responsabilité lourde, et tout ça je l’ai découvert au fur et à mesure. La phase la plus intéressante est peut-être la construction du chapitre. Nous avons quelques mots-clés au premier meeting, et il faut discuter, réfléchir à la structure, puis lorsque l’on rentre dans le détail cela devient plus dur. Et la partie la plus fastidieuse : répondre aux commentaires. Nous en recevons des milliers, beaucoup peu intéressants. Mais quand le rapport prend forme avec les améliorations, petit à petit, c’est super excitant. Il y a des moments où nous sommes vraiment à temps plein, quand les deadlines s’approchent, c’est très irrégulier au cours du processus. Ceci dit, ça reste toujours un peu en background.

Sur le dernier rapport j’ai fait partie du groupe 2, et là, j’ai beaucoup appris des équipes d’auteurs. C’était plus dur, car on ne parlait pas le même langage entre nous. Nous n’étions plus entre climatologues qui utilisent les mêmes outils, mais entre disciplines diverses. Il fallait alors s’expliquer nos thématiques respectives, créer des interactions qui ont du mal à démarrer. C’est aussi plus intéressant, plus enrichissant, et nos coordinateurs ont organisés des rencontres spécifiques. À Faro, au Portugal, plutôt que de participer aux sorties GIEC, nous étions partis de notre côté sur un petit bateau dans les marais salants. Nous travaillions sur les écosystèmes côtiers et c’était la spécialité de certains auteurs ; c’était un moment très sympa, assez exceptionnel. Il y a d’autres moments qui marquent, plus typiques du travail au GIEC, des discussions d’auteurs, des moments en session plénière avec des arguments échangés un peu forts, des désaccords. Les liens que l’on tisse entre nous dans le chapitre sont très particulier et donnent sur des projets de recherche, des discussions, qui perdurent bien après le rapport.

Le GIEC augmente les sollicitations de l’extérieur, mais c’est en même temps une base solide pour porter les messages. On se sent responsables de l’ensemble, ça pousse à se renseigner, à aller voir les autres chapitres, résumés. Ça, c’est une force. Je pense que la façon dont on communique sur le GIEC peut être problématique. On parle de l’état des lieux, des projections [groupe 1], sans parler des solutions qui arrivent plus tard avec le deuxième volume, ce qui participe à de l’anxiété. Une rencontre m’a marqué, avec une journaliste radio, très troublée par les messages du groupe 1. Je l’ai rappelé quelques jours plus tard avec une liste de 5 raisons d’espérer. La prise de conscience généralisée ; la mobilisation des jeunes ; la courbe des émissions de CO2 qui ralentit ; les solutions sont connues et coûtent de moins en moins cher ; les promesses de neutralité carbone des pays comme la Chine et l’Inde pour 2060 et 2070, on en était encore loin il y a 5 ans. Ça me semble extrêmement important de moduler le discours avec ces messages d’espoirs.

 

Portraits réalisés par Valérie Lilette et propos recueillis par Tiphaine Claveau.

Tiphaine Claveau


IPSL