Les extrêmes du statisticien
Les statistiques sont au cœur des études du climat. Partant de données apparemment chaotiques, il devient possible de mettre en évidence des changements profonds dans le système climatique et de comprendre les causes de ces évolutions. Comment les événements extrêmes, improbables par définition, sont-ils considérés par les statisticiens ?
Si un événement extrême peut être défini par son intensité, sa durée ou les dégâts qu’il cause, pour le statisticien, ce n’est qu’un point, une donnée parmi toutes les autres, dont la définition est purement liée à sa probabilité : « La définition d’un événement extrême en statistique est très précise : un extrême, c’est un événement très rare », explique Mathieu Vrac, directeur de recherche au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL). « Généralement, on considère qu’une valeur est extrême lorsqu’elle a moins d’1% de probabilité d’apparition, et encore, au-dessus d’un pour mille, ce n’est pas si rare que ça », poursuit-il.
Ainsi, le climat est étudié comme un objet statistique soumis à des variations, de la même manière que le serait un dé à six faces. Historiquement, la démarche des chercheurs en sciences du climat est d’observer et d’analyser l’évolution d’une variable sur le long terme dans une zone géographique définie, comme la température moyenne dans l’hémisphère nord par exemple. Les analyses statistiques permettent de voir s’il y a une tendance globale perceptible et de déterminer si elle est significative, c’est-à-dire si elle peut être due à autre chose qu’au hasard. « Ensuite vient la question de l’attribution : ‘à quoi est dû ce changement climatique ?’, et la question sous-jacente est évidemment de se demander s’il s’explique par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre », précise Mathieu Vrac. Cette approche a l’avantage de pouvoir attribuer les apparitions apparemment hasardeuses et chaotiques des événements à des tendances identifiables sur le temps long.
Les limites de l’attribution
Cependant, à mesure que le changement climatique devient perceptible ces dernières années, une nouvelle question émerge : « Cet événement est-il dû au changement climatique ? » La question peut sembler similaire aux précédentes, mais compte en réalité une différence de taille : ce n’est plus une tendance qui est questionnée, mais une occurrence, unique. Pour Mathieu Vrac, la question n’a pas de sens scientifiquement : « un événement ne peut pas être uniquement dû au changement climatique. Le climat, de mon point de vue, est un objet statistique. Dans ce cadre, un événement rare a toujours une probabilité d’apparaitre. » Pour les chercheurs, la question est plutôt de savoir si la probabilité qui lui est associée serait la même s’il y avait moins d’émissions de gaz à effet de serre. Leur démarche consiste à comparer le monde factuel, celui dans lequel nous sommes, à celui qui a été, ou qui aurait pu être. Pour se représenter des mondes où il n’y aurait pas gaz à effets de serre liés aux activités humaines, les scientifiques ont à leur disposition des modèles de climat et des simulations.
Par ailleurs, l’attribution de ces événements au changement climatique n’est pas une fin en soi, rappelle Mathieu Vrac : « Les événements extrêmes ne sont que le sommet de l’iceberg. Derrière, il y a toute la circulation atmosphérique qui peut être modifiée et en être la cause. » Ils ne sont ainsi, la plupart du temps, que les manifestations d’évolutions moins visibles, mais tout aussi importantes. En revanche, avoir des connaissances sur ces événements et savoir que leur probabilité est vouée à augmenter incite à considérer le problème différemment : « Il y a une façon plus sociétale de définir la notion d’extrême : c’est la question des impacts. Si vous demandez à un agriculteur ou à un chercheur dans un bureau, l’expérience de ce qu’est un extrême sera très différente. » Cette vision, tout aussi pertinente que celle du statisticien, permet de questionner la capacité d’adaptation de nos sociétés, à défaut de pouvoir empêcher l’apparition d’événements extrêmes.
Par Marion Barbé pour l’IPSL
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