« Il y a une obsolescence climatique de la ville » [INTERVIEW]


[Cet article accompagne la sortie du troisième épisode du podcast de l’Institut Pierre-Simon Laplace « Le climat, une question de…villes ! »]

Dans son dernier livre « Redirection urbaine », l’urbaniste Sylvain Grisot appelle à changer radicalement de cap pour adapter nos villes face au changement climatique.

Les villes doivent s’adapter au changement climatique. Quelles ont été les erreurs commises par le passé ?

SG : Le problème le plus évident est l’îlot de chaleur urbain, qui contribue à une hausse des températures de 2 à 10 degrés en ville lors des fortes chaleurs.

Ce phénomène résulte de la conception de nos villes : le béton et les autres matériaux de construction emmagasinent la chaleur, les immeubles bloquent la circulation de l’air, on manque de points d’eau et d’espaces verts pour rafraîchir l’atmosphère, la climatisation et les gaz des pots d’échappement des voitures rejettent de la chaleur… Nous l’avons tous vécu l’été dernier, le plus chaud jamais enregistré sur Terre d’après les données de l’observatoire européen Copernicus.

Et l’îlot de chaleur urbain est loin d’être le seul problème. Il y a une obsolescence climatique de la ville face aux inondations à cause notamment du ruissellement des pluies sur les surfaces imperméabilisées, mais face au recul du trait de côte, à la montée des eaux, et dans certaines régions, aux feux de forêt.
Le secteur du bâtiment et les mobilités du quotidien dictées par la forme de la ville sont responsables de près de 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Il y a des efforts massifs à réaliser pour décarboner la ville et sa fabrique, et l’adapter au climat qui vient comme à la nouvelle géographie des risques qui est en train de se dessiner.

Dans l’un de vos chapitres, vous proposez également de développer une canopée urbaine…

SG : C’est un enjeu majeur pour lutter contre l’îlot de chaleur urbain et le risque inondation. On sait ce qu’il faut faire, on sait qu’il faut privilégier des essences locales, mais aussi identifier celles capables de résister face à la hausse des températures.

Le problème : même des villes pionnières comme Paris ou Lyon, qui réduisent l’espace de la voiture pour planter des arbres sont loin d’en faire assez. Aujourd’hui, il faut doubler la canopée, ce qui nécessite de dégager des fonds conséquents, de l’espace et surtout une organisation, comme on le ferait pour l’arrivée d’une nouvelle ligne de métro, par exemple.

Quand je vois les moyens mobilisés pour construire des autoroutes dont on ne sait pas bien à quoi elles vont servir… je me dis que c’est ce même mode d’intervention auquel il faudrait recourir pour favoriser l’essor d’une canopée urbaine.

En même temps, la crise de l’immobilier se poursuit, avec toujours plus de personnes qui ont du mal à se loger… Comment y répondre sans urbaniser davantage ?

SG :  Il n’est pas question d’ignorer le besoin de logements, ni celui de création d’emploi d’ailleurs. L’idée n’est pas de dire qu’il ne faut plus toucher à rien : ça ne marche pas. La crise écologique est aussi sociale, et on ne peut pas prétendre essayer de résoudre l’une au détriment de l’autre. Mais produire des logements pour répondre à la demande ne peut se limiter à la seule construction neuve.

Dans les territoires attractifs, il faut d’abord lutter contre la vacance, comme la transformation d’une partie du parc en locations de courte durée. Nous avons d’abord besoin de logements pour celles et ceux qui vivent là, plus que de résidences touristiques. Mais il faut aussi produire plus de logements par ce que j’appelle l’”urbanisme circulaire” : il s’agit d’exploiter chaque recoin du bâti existant, des espaces déjà urbanisés, comme les logements vacants, les lotissements densifiables, les toits des immeubles existants ou les friches.

Certaines villes s’engagent déjà dans la lutte contre la vacance des logements et le recyclage des friches, mais comment passer à l’échelle ?

SG : Les signaux sont encourageants. Il y a quelques années, recréer un lieu de vie sur une friche industrielle était considéré comme un acte militant. Aujourd’hui, c’est devenu très sérieux, au point que le gouvernement a dédié des centaines de millions d’euros pour le recyclage des friches. Dans le public comme dans le privé, de nombreux opérateurs de la ville se sont dotés de moyens pour repérer les terrains, traiter la pollution… C’est toujours un exercice complexe, mais qui a dit que ce siècle serait simple ?

Comment donner envie d’adapter les villes face aux dérèglements climatiques ?

SG : En en parlant. De nombreuses transitions semblent problématiques et imposent certains renoncements, comme le fait de modérer sas consommation de viande, de prendre moins l’avion… Et en même temps, il s’agit de fenêtres d’opportunités pour découvrir de nouvelles manières de s’alimenter, de voyager.

C’est pareil pour la ville. Certes, il faut modérer notre usage de la voiture, mais des rues plus végétalisées, plus praticables à vélo, c’est aussi agréable. Dans les tiers-lieux, le fait de faire cohabiter différentes activités permet un frottement créatif, des rencontres inattendues.

La vraie difficulté, c’est de changer nos manières de faire. Et en même temps, la crise immobilière doit accélérer l’adaptation de nos pratiques de fabrication de la ville.

Au final, l’objectif est de repenser les territoires autour de la question de la résilience plutôt que de la croissance. De faire la ville pour ceux qui l’habitent déjà, plutôt que pour ceux qui pourraient vouloir y vivre demain.

 

Pour en savoir plus

Gabrielle Trottmann pour ICOM-IPSL


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