GIEC et sensibilité climatique : on fait le bilan (radiatif)


Jean-Louis Dufresne est chercheur au LMD-IPSL et auteur principal du chapitre du GIEC sur le bilan radiatif, les rétroactions et la sensibilité climatique. Le principal objectif de ce chapitre est de déterminer les différentes grandeurs qui influencent directement l’amplitude du réchauffement de la surface de la Terre en réponse à des perturbations, qu’elles soient naturelles ou dues aux activités humaines. Pour quantifier l’amplitude de ces perturbations, il faut déterminer leur forçage radiatif. Puis, regarder comment le système climatique réagit et modifie à son tour le bilan d’énergie : ce qu’on appelle les rétroactions climatiques.

La Terre échange de l’énergie avec le soleil et le reste de l’univers. Et le bilan de ces échanges ─ le bilan radiatif ─ est nul si on considère sa moyenne sur des longues périodes de temps (centaines à milliers d’années). Depuis quelques décennies, ces échanges sont de plus en plus fortement modifiés par les activités humaines. L’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre rend le refroidissement de la Terre plus difficile, et entraîne son réchauffement : c’est un forçage positif. Les principaux responsables de ce réchauffement observé depuis 60 ans ? L’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4). Les activités humaines augmentent aussi la quantité d’aérosols dans l’atmosphère. Ces petites particules en suspension dans l’air réfléchissent une partie du rayonnement solaire, ce qui entraîne une diminution de la quantité d’énergie solaire absorbée par la Terre et mène à son refroidissement : c’est un forçage négatif. Aujourd’hui, cette augmentation des aérosols est estimée réduire d’environ un tiers le réchauffement dû à l’augmentation des gaz à effet de serre.

L’amplitude de ces forçages est quantifiée via une grandeur appelée forçage radiatif. Elle représente de combien le bilan radiatif de la Terre serait changé dans la situation purement théorique où il y aurait une perturbation, comme un changement des gaz à effet de serre ou des aérosols, mais sans que le climat ne change. Entre l’ère préindustrielle (1750) et notre époque (2019), le forçage radiatif total est estimé à 2,7W/m-2. Cette valeur est principalement constituée de 3,8Wm-2, dus à l’accroissement des gaz à effet de serre et -1,1Wm-2 dus à l’accroissement de la quantité d’aérosols. La somme des autres forçages, par exemple le changement d’usage des sols ou les traînées d’avion étant proche de zéro.

Tout forçage entraîne un déséquilibre et donc une modification de la température de la Terre, du climat et in fine du bilan d’énergie de la Terre, jusqu’à ce que ce bilan soit nul et qu’un nouvel équilibre soit atteint. Les variations du bilan d’énergie liées aux modifications du climat lorsque la température change sont appelées rétroactions climatiques. Elles peuvent être dues à des processus physiques, biogéophysiques ou biogéochimiques et influencent directement l’amplitude du réchauffement. Ce rapport du GIEC confirme que l’accroissement de la vapeur d’eau avec la température est la rétroaction contribuant le plus au réchauffement. Le changement de la distribution des nuages est la rétroaction qui reste la plus incertaine, même si cette incertitude a été réduite dans l’AR6 par rapport à l’AR5.

Improved knowledge of climate processes, paleoclimate evidence and the response of the climate system to increasing radiative forcing gives a best estimate of equilibrium climate sensitivity of 3°C with a narrower range compared to AR5  – IPCC Summary for Policy Makers

La sensibilité climatique est définie comme le réchauffement à la surface de la terre en réponse à un doublement de la concentration de l’atmosphère en CO2 par rapport à l’ère préindustrielle, une fois le nouvel état d’équilibre atteint. Cette sensibilité a été estimée avec une incertitude qui a été réduite de presque moitié par rapport au précédent rapport du GIEC, l’AR5, grâce à une combinaison d’informations provenant des modèles, des observations et des paléoclimats, permise par une meilleure compréhension des processus climatiques. La sensibilité climatique est maintenant estimée être de 3°C environ, avec une fourchette allant de 2.5°C à 4°C. Cette meilleure détermination représente une avancée importante : elle permet d’estimer plus précisément la réponse du système climatique aux perturbations humaines sur des temps longs, et notamment pour les projections à la fin du XXIe siècle.

 

Qui est le GIEC ?

Créé en 1988 par l’ONU, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a pour mission d’étudier les risques climatiques qu’encourent les sociétés des pays en voie de développement et des pays développés dans un futur proche et moyen. L’organisme a été fondé par deux institutions de l’ONU : l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). En tentant de mettre en perspective les activités humaines et les modifications récentes du climat, le GIEC a également une force de proposition. Il collecte des travaux scientifiques menés dans le monde entier, et les experts réfléchissent à des stratégies pour permettre aux sociétés d’éviter ou de s’adapter aux conséquences du changement climatique.

Pour aller plus loin :

En savoir plus sur la conversion des gaz à effet de serre en équivalent CO2 avec Olivier Boucher et Katsumasa Tanaka : Limiter le coût des stratégies pour réussir à suivre les Accords de Paris

Comprendre l’impact climatique des nuages avec Claudia Stubenrauch, chercheure au LMD-IPSL.

Jean-Louis Dufresne


LMD-IPSL