SOCAT, 65 ans d’observations du CO2 dans les eaux de surface des océans mondiaux


La dernière version de la base internationale de données SOCAT (Surface Ocean CO2 Atlas) a été rendue publique le 20 Juin 2023. Cette base, qui rassemble près de 43 millions d’observations du dioxyde de carbone dans les eaux de surface de l’océan mondial, est le fruit d’une collaboration internationale initiée en 2007 et à laquelle participe le Laboratoire d’océanographie et du climat: expérimentation et approches numériques (LOCEAN/IPSL/OSU Ecce Terra, SU/CNRS/MNHN/IRD).

L’océan, par sa capacité à absorber chaque année environ 25 % des émissions anthropiques de CO2 et plus de 90 % de la chaleur en excès, joue un rôle crucial pour réguler le changement climatique.

Sur environ 700 PgC (Peta-gramme de Carbone) injectés par les activités humaines depuis 1750, on estime que l’océan en a absorbé 185 PgC (Friedlingstein et al, 2022), limitant l’impact des émissions de CO2 anthropique sur le changement climatique. Sans ce puits de carbone océanique, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait aujourd’hui d’environ 512 ppm contre 419.3 ppm observée en moyenne globale en Janvier 2023. Le CO2 atmosphérique est maintenant 50% plus élevé que le niveau préindustriel.

Dans ce contexte, il est important d’évaluer avec précision chaque année le bilan de carbone planétaire, mieux comprendre son évolution, ses échanges entre les réservoirs, réduire les incertitudes sur les prédictions climatiques futures et guider les politiques d’actions et d’adaptations au niveau international. Pour cela nous disposons des inventaires sur les émissions anthropiques et l’utilisation de sols, des mesures atmosphériques (taux d’accroissement de CO2), et des observations océaniques (échanges de CO2 air-mer). Les rôles des deux compartiments – océanique et continental – étant aussi évalués à partir de modèles (Friedlingstein et al. 2022). Une autre conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH), qui est maintenant bien observé dans toutes les zones océaniques, en particulier via la base SOCAT et dont les impacts sur les écosystèmes marins restent à évaluer.

Figure 1: A gauche: Distribution des nouvelles observations de l’année 2022 intégrées dans la base SOCAT-v2023 (code couleur est le mois en 2022). A droite: l’ensemble des données de fugacité du CO2 (fCO2, µatm) à la surface de l’océan dans la base SOCAT sur la période 1957-2022 (7501 campagnes). Les carrés symbolisent les capteurs de CO2 sur des mouillages. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère approchant 420 ppm actuellement, les zones en bleu-vert (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). A noter l’absence d’observations récentes dans certains secteurs, notamment le Pacifique Sud et l’océan Indien, ce qui nécessite d’élaborer des modèles d’extrapolation pour évaluer les échanges air-mer de CO2 à grande échelle (Figure 2) puis estimer le puits de carbone océanique intégré à l’échelle global sur plusieurs décennies (Figure 3).

 

Pour quantifier le puits de carbone océanique chaque année il est nécessaire de disposer d’observations de CO2 océanique précises et, si possible, dans tous les secteurs océaniques et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable dans le temps et l’espace, et suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou les zones côtières. Tel est l’objectif de la base de données SOCAT de CO2 océanique, initiée lors d’un workshop à Paris (Metzl et al, 2007) et régulièrement actualisée depuis 2011 (Pfeil et al, 2013; Bakker et al, 2016). Faisant suite aux précédentes versions, la base SOCAT s’est enrichie cette année d’environ 4 millions de nouvelles données qualifiées provenant de 333 campagnes océanographiques, navires d’opportunité, capteurs sur mouillages ou sur plateformes dérivantes (Figure 1). A noter le faible nombre de données recueillies dans l’Océan Indien et Austral en 2022. Un effort doit être porté dans les années à venir pour mieux documenter et compléter ces zones (Sarma et al, 2023) et mieux contraindre les modèles de reconstruction des champs de CO2 utilisant la base SOCAT (Figure 2).

Figure 2 : Climatologie des flux annuels de CO2 à l’interface air-mer (en molC/m2/an) évaluée par un modèle neuronal contraint avec la base SOCAT (modèle CMEMS-FFNN-LSCE, Chau et al, 2022). Les zones en bleu (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source).

Figure 3 : Le puits de carbone océanique global évalué sur la période 1959-2021 à partir de modèles océaniques (modèles individuels en violet, moyenne ligne noire et incertitude en grisé) ou de méthodes de reconstructions basées sur la base SOCAT (en cyan). Les histogrammes informent sur le nombre d’observations de CO2 dans la base SOCAT utilisées chaque année pour contraindre les méthodes de reconstructions. Source: Global Carbon Project (Friedlingstein et al, 2022). Les modèles, comme les méthodes basées sur les observations, montrent que le puits de carbone océanique augmente. A noter que les modèles sous-estiment le puits de carbone sur les années récentes et que les observations suggèrent l’existence d’une variabilité interannuelle prononcée, non résolue par les modèles.

 

Depuis la première version de 2011 qui rassemblait 6.3 millions de données, SOCAT contient à ce jour près de 43 millions d’observations in-situ de la fugacité de CO2 dans les eaux de surface de l’océan global et zones côtières, couvrant la période 1957-2022 (Bakker et al. 2023). Outre les données originales accessibles en ligne et accompagnées des commentaires d’évaluation (Quality Flag, Lauvset et al., 2019), la base propose également des produits grillés à différentes résolutions pour l’océan ouvert et le domaine côtier, pouvant être utilisés pour construire des climatologies, initialiser et valider les modèles biogéochimiques de l’océan et les modèles couplés climat/carbone (CMIP6) ou contraindre les modèles d’inversions atmosphériques. Un outil de visualisation interactif (LAS Data viewer) permet un accès aisé aux données, dont l’extraction peut se faire par région, période, navire ou plateforme (bouées ou mouillages). Les codes de lecture Matlab des fichiers de données et produits grillés, ainsi que le format ODV (Ocean Data View) sont également accessibles en ligne.

Figure 4 : Exemple de climatologie du pH dans l’océan de surface et de son évolution au cours du temps. Résultats obtenus via un modèle neuronal contraint avec la base SOCAT (modèle CMEMS-FFNN-LSCE, Chau et al, 2023). La diminution de pH, de l’ordre de -0.017 par décennie sur 1985-2021, témoigne de l’acidification des océans due à l’augmentation de CO2 anthropique.

 

Cette base a été mise à profit dans près de 400 publications et nombreux rapports internationaux, dans le cadre d’études sur les échanges air-mer de CO2 aux échelles régionales ou globale, sur l’absorption de CO2 anthropique et l’acidification des océans, ou l’évaluation de modèles biogéochimiques de l’océan et modèles couplés climat/carbone. En particulier :

  • elle est référencée dans les rapports du GIEC
  • elle sert de support aux estimations annuelles du bilan de carbone planétaire (Figure 3, Friedlingstein et al, 2022, www.globalcarbonproject.org).
  • elle est exploitée pour mieux évaluer et comprendre les variations saisonnières à décennales du puits de carbone océanique dans l’océan ouvert et les zones côtières (e.g. Chau et al, 2022; DeVries, 2022 ; Gruber et al, 2023; Sarma et al, 2023 ; projet RECCAP-2, https://www.globalcarbonproject.org/reccap/)
  • elle permet d’évaluer l’évolution de l’acidification des océans (Figure 4; e.g., Jiang et al, 2019; Leseurre et al, 2022; Chau et al, 2023).
  • elle est utilisée pour valider les reconstructions des concentrations de CO2 océaniques dérivées de flotteurs autonomes Bio-ARGO (e.g. Bushinsky et al, 2019).
  • Associé à la base de données GLODAP (glodap.info) pour l’océan intérieur, SOCAT apporte un complément essentiel pour la connaissance du cycle du carbone océanique et les inventaires de CO2 anthropique dans l’océan (Tanhua et al, 2021; Gruber et al, 2023).
  • Elle sert de base de travail pour de nouveaux projets internationaux (Wanninkhof et al, 2019 ; projet SOCONET, aoml.noaa.gov/ocd/gcc/SOCONET/)
  • Les données SOCAT seront intégrées à la base GOA-ON (Global Ocean Acidification Observing Network, goa-on.org)
  • SOCAT fait partie de la plateforme Européenne DTO (Digital Twin of the Ocean) : https://www.eu4oceanobs.eu/towards-european-digital-ocean/; https://blue-cloud.org/data-infrastructures/socat

Le laboratoire LOCEAN de l’IPSL alimente régulièrement cette base (observatoires SO/OISO, PIRATA, SSS, Bouée Boussole/Dyfamed), contribue au contrôle de qualité des données, et participe à la coordination des groupes Global et régionaux (océans Atlantique Tropical, Indien et Austral). Le projet SOCAT est coordonné par Dorothee Bakker (Université d’East Anglia, Royaume-Uni). Il est soutenu par des programmes internationaux (SOLAS, IMBER, IOCCP, ICOS) et nombreux instituts nationaux, mais il faut aussi noter que le travail de mise à disposition des données et leur contrôle de qualité est principalement réalisé par les chercheurs volontaires et, à l’avenir, assurer la continuité de ces efforts, nécessitera des moyens durables.

Contacts

Nicolas Metzl, LOCEAN-IPSL • 01 44 27 33 94 –

Dorothee Bakker, UEA/Norwich/UK •

 

Références

Bakker, D. C. E., Pfeil, B., Landa, C. S., Metzl, N., O’Brien, K. M., et al., 2016.: A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, doi:10.5194/essd-8-383-2016.

Bakker, D. C. E., et al, 2023. An alarming decline in the ocean CO2 observing capacity. Poster available online www.socat.info

Bushinsky, S. M., Landschützer, P., Rödenbeck, C., Gray, A. R., Baker, D., et al., 2019. Reassessing Southern Ocean air-sea CO2 flux estimates with the addition of biogeochemical float observations. Global Biogeochemical Cycles, 33. doi: 10.1029/2019GB006176.

Chau, T. T. T., Gehlen, M., and Chevallier, F., 2022: A seamless ensemble-based reconstruction of surface ocean pCO2 and air–sea CO2 fluxes over the global coastal and open oceans, Biogeosciences, 19, 1087–1109, https://doi.org/10.5194/bg-19-1087-2022.

Chau, T.-T.-T., Gehlen, M., Metzl, N., and Chevallier, F.: CMEMS-LSCE: A global 0.25-degree, monthly reconstruction of the surface ocean carbonate system, Earth Syst. Sci. Data Discuss. [preprint], https://doi.org/10.5194/essd-2023-146, in review, 2023.

DeVries, T., 2022. Atmospheric CO2 and sea surface temperature variability cannot explain recent decadal variability of the ocean CO2 sink. Geophysical Research Letters, 49, e2021GL096018. doi: 10.1029/2021GL096018

Gruber, N., Bakker, D.C.E., DeVries, T. et al. Trends and variability in the ocean carbon sink. Nat Rev Earth Environ (2023). https://doi.org/10.1038/s43017-022-00381-x

Lange N., Tanhua T., Pfeil B., Bange H.W., Lauvset S.K., Grégoire M., Bakker D.C.E., Jones S.D., Fiedler B., O’Brien K.M. and Körtzinger A. (2023) A status assessment of selected data synthesis products for ocean biogeochemistry. Front. Mar. Sci. 10:1078908. doi: 10.3389/fmars.2023.1078908

Friedlingstein, P., et al, 2022: Global Carbon Budget 2022, Earth Syst. Sci. Data, 14, 4811–4900, https://doi.org/10.5194/essd-14-4811-2022.

Jiang, L.-Q., Carter, B. R., Feely, R. A., Lauvset, S. K. and Olsen, A., 2019. Surface ocean pH and buffer capacity: past, present and future. Sci Rep 9, 18624; doi:10.1038/s41598-019-55039-4

Lauvset S., K. Currie, N. Metzl, S. Nakaoka, D. Bakker, K. Sullivan, A. Sutton, K. O’Brien and A. Olsen,  2019. SOCAT Quality Control Cookbook For SOCAT version 7. Int. Report. www.socat.info.

Leseurre, C., Lo Monaco, C., Reverdin, G., Metzl, N., Fin, J., Mignon, C., and Benito, L.: Summer trends and drivers of sea surface fCO2 and pH changes observed in the southern Indian Ocean over the last two decades (1998–2019), Biogeosciences, 19, 2599–2625, https://doi.org/10.5194/bg-19-2599-2022, 2022.

Metzl, N., Tilbrook, B., Bakker, D. C. E., Le Quéré, C., Doney, S., Feely, R., Hood, M., Dargaville, R., 2007. Global Changes in Ocean Carbon: Variability and Vulnerability. Eos, Transactions of the American Geophysical Union 88 (28): 286-287. doi: 10.1029/2007EO280005

Pfeil, B., Olsen, A., Bakker, D. C. E., et al, 2013. A uniform, quality controlled Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 5, 125-143, doi:10.5194/essd-5-125-2013.

Sarma, V. V. S. S., Sridevi, B., Metzl, N., Patra, P. K., Lachkar, Z., Chakraborty, K., et al. (2023). Air-sea fluxes of CO2 in the Indian Ocean between 1985 and 2018: A synthesis based on observation-based surface CO2, hindcast and atmospheric inversion models. Global Biogeochemical Cycles, 37, e2023GB007694. https://doi.org/10.1029/2023GB007694

Tanhua, T., Lauvset, S.K., Lange, N. et al. , 2021. A vision for FAIR ocean data products. Commun Earth Environ 2, 136, https://doi.org/10.1038/s43247-021-00209-4

Wanninkhof, R., P. Pickers, A. Omar, A. J. Sutton, A. Murata, et al., 2019. A surface ocean CO2 reference network, SOCONET and associated marine boundary layer CO2 measurements. Frontiers in Marine Science, 6, 400, DOI:10.3389/fmars.2019.00400

 

 

Nicolas Metzl


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