Le programme OISO évalue l’acidification dans l’Océan Indien Austral
Une analyse, basée sur les observations océaniques conduites depuis 1998 dans le cadre du programme OISO dans l’océan Indien Sud et son secteur austral montre que, sur la période 1998-2019, les concentrations de CO2 océanique ont progressivement augmenté, dû à l’absorption de CO2 d’origine anthropique dans l’océan. Cela conduit à une diminution de pH, l’acidification de l’océan, principalement marquée dans les zones productives autour des Iles Crozet et Kerguelen, ce qui peut impacter les espèces marines et la chaine trophique dans ces régions. Ces travaux, menés par le laboratoire LOCEAN, sont publiés dans la revue Biogeosciences.
Par sa capacité à absorber plus de 90 % de l’excès d’énergie calorifique de l’atmosphère dû au réchauffement climatique et environ 25 à 30 % du CO2 émis par les activités humaines, l’océan joue un rôle crucial dans la régulation du climat. À lui seul, l’océan Austral représente environ 40 % du CO2 d’origine anthropique absorbé dans l’océan global (Gruber et al, 2019). Une conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH) qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour la vie marine, notamment les espèces calcifiantes et la chaine trophique. Aussi le pH est maintenant reconnu, au même titre que la température ou le niveau de la mer, comme une des 7 variables témoin du changement global (Global Climate Indicator, WMO/GCOS, 2018). Dans ce contexte, il est important de suivre d’année en année le puits de carbone océanique et de disposer d’observations de CO2 océanique précises, si possible dans tous les secteurs et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable, dans le temps et l’espace suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou zones côtières.
Depuis 1998, le programme OISO dont les campagnes en mer sont régulièrement conduites dans l’Océan Indien Sud à bord du Marion-Dufresne, réalise des mesures des propriétés liées au cycle du CO2 océanique en surface et sur la colonne d’eau. En se basant sur les observations de surface de fCO2, d’alcalinité et de carbone inorganique dissous, les chercheurs ont évalué les tendances de ces propriétés sur la période 1998-2019. Faisant suite aux premiers travaux limités à la période 1991-2007 (Metzl, 2009), les nouveaux résultats montrent que l’augmentation de CO2 s’est poursuivie dans tous les secteurs au sud de 45°S. De plus, les chercheurs ont estimé le pH sur chaque campagne et ont évalué que sa diminution est variable suivant les régions : au sud du front polaire vers 50°S, la diminution de pH est de l’ordre de -0.0020/an, tandis que, dans les zones productives près des Iles Kerguelen, elle peut atteindre -0.0043/an, ce qui correspondrait à une diminution de 0.086 sur 20 ans (voir figure). Rappelons qu’à l’échelle de l’océan global, le pH a diminué d’environ 0.1 unité depuis l’ère industrielle, une diminution plus prononcée dans les eaux froides arctiques et antarctiques (Jiang et al, 2019).
Pour expliquer ces tendances, en complément des mesures de surface, les chercheurs ont également évalué le contenu en CO2 anthropique depuis 1998. Cela a permis d’identifier que l’augmentation de CO2 et la diminution de pH des eaux de surface sont principalement expliquées par l’accumulation de CO2 anthropique sur 20 ans, accompagnés de l’effet du réchauffement de l’océan austral (Figure, Auger et al, 2021). Les résultats suggèrent aussi une apparente stabilité du pH en été austral sur les années récentes, un signal qu’il reste à expliquer et qui devra être confirmé avec les observations à venir et comparé à d’autres zones de l’océan austral.
Ces nouveaux résultats montrent l’importance du suivi de série temporelle des propriétés biogéochimiques dans l’océan comme proposé dans le cadre OISO. Les données recueillies depuis 1998, et disponibles dans les bases internationales dédiées comme SOCAT (www.socat.info), GLODAP (www.glodap.info) ou GOA-ON (www.goa-on.org), sont aussi importantes pour valider les modèles de climat qui tentent de reproduire le cycle du carbone et son évolution dans le futur (scénario GIEC, modèles CMIP6 y compris le modèle de l’IPSL, Boucher et al, 2020).
Remerciements
Le programme OISO est soutenu par l’INSU (Institut National des Sciences de l’Univers), l’IPEV (Institut Polaire Paul-Emile Victor) et l’OSU Ecce-Terra (Sorbonne Université). Nous remercions la Flotte océanographique française (FOF) pour le soutien financier et logistique des campagnes OISO (https://doi.org/10.18142/228). Chaleureux remerciements aux capitaines et équipages du R.R.V. Marion Dufresne et aux équipes de l’IFREMER, GENAVIR et IPEV.
Référence
Leseurre, C., Lo Monaco, C., Reverdin, G., Metzl, N., Fin, J., Mignon, C., and Benito, L.: Summer trends and drivers of sea surface fCO2 and pH changes observed in the Southern Indian Ocean over the last two decades (1998–2019), Biogeosciences, https://doi.org/10.5194/bg-19-2599-2022, 2022.
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