La version 2024 de la base internationale SOCAT de CO2 océanique


La dernière version de la base internationale de données SOCAT (Surface Ocean CO2 Atlas, https://socat.info/) a été rendue publique le 19 juin 2024. Cette base, qui rassemble près de 47 millions d’observations du dioxyde de carbone dans les eaux de surface de l’océan mondial, est le fruit d’une collaboration internationale initiée en 2007 et à laquelle participe le Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL/OSU Ecce Terra, SU/CNRS/MNHN/IRD).

L’océan, par sa capacité à absorber chaque année environ 25 % des émissions anthropiques de CO2 et plus de 90% de la chaleur en excès, joue un rôle crucial pour réguler le changement climatique. Sur environ 730 PgC (Peta-gramme de Carbone) injectés par les activités humaines depuis 1750, on estime que l’océan en a absorbé 190 PgC (Friedlingstein et al., 2023), limitant l’impact des émissions de CO2 anthropique sur le changement climatique. Sans ce puits de carbone océanique, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait aujourd’hui d’environ 517.2 ppm contre 422.1 ppm observée en moyenne globale en Janvier 2024. Pour quantifier le puits de carbone océanique il est nécessaire de disposer d’observations de CO2 océanique précises et, si possible, dans tous les secteurs océaniques et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable dans le temps et l’espace, et suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou les zones côtières. Tel est l’objectif de la base de données SOCAT de CO2 océanique, initiée lors d’un workshop à Paris (Metzl et al., 2007) et régulièrement actualisée depuis 2011 (Bakker et al., 2016).

La version 2024 s’est enrichie d’environ 4 millions de nouvelles données qualifiées provenant de 336 campagnes océanographiques, navires d’opportunité, capteurs sur mouillages ou sur plateformes dérivantes (figure 1). À noter le faible nombre de données recueillies récemment dans l’Océan Indien ou les zones océaniques de l’hémisphère sud. Un effort doit être porté dans les années à venir pour mieux documenter ces zones et mieux contraindre les modèles de reconstruction des champs de CO2 utilisant la base SOCAT (figure 2).  Depuis la première version de 2011 qui rassemblait 6.3 millions de données (Pfeil et al., 2013), SOCAT contient à ce jour près de 47 millions d’observations de la fugacité de CO2 dans les eaux de surface de l’océan global et zones côtières, couvrant la période 1957-2023.

 

Figure 1. À gauche : Distribution des nouvelles observations intégrées dans la base SOCAT-v2024 (le code couleur représente la date). A droite: l’ensemble des données de fugacité du CO2 (fCO2, µatm) à la surface de l’océan dans la base SOCAT sur la période 1957-2023 (7793 campagnes). Les carrés symbolisent les capteurs de CO22 sur des mouillages. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère approchant 420 ppm actuellement, les zones en bleu-vert (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). À noter l’absence d’observations récentes dans certains secteurs, notamment l’océan Indien Nord et les océans sud, ce qui nécessite d’élaborer des modèles d’extrapolation pour évaluer les échanges air-mer de CO2 à grande échelle (figure 2) ou la distribution de pH pour étudier l’acidification des océans (figure 3).

 

Figure 2. Flux de CO2 océanique annuel moyen en 2013-2022 ; la carte est composée à partir de méthodes de reconstructions basées sur les données SOCAT. Les zones en bleu (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). D’après Friedlingstein et al., (2023).

 

Outre les données accessibles en ligne et accompagnées des commentaires d’évaluation (Quality Flag, Lauvset et al., 2019), la base propose également des produits grillés à différentes résolutions pour l’océan ouvert et le domaine côtier, pouvant être utilisés pour construire des climatologies, initialiser et valider les modèles biogéochimiques de l’océan et les modèles couplés climat/carbone (CMIP6) ou contraindre les modèles d’inversions atmosphériques. Un outil de visualisation interactif (LAS Data viewer) permet un accès aisé aux données, dont l’extraction peut se faire par région, période, navire ou plateforme (bouées ou mouillages). Les codes de lecture Matlab des fichiers de données et produits grillés, ainsi que le format ODV (Ocean Data View, https://odv.awi.de/) sont également accessibles en ligne.

La nouvelle base servira, entre autre, à évaluer le bilan de carbone planétaire de 2023, dont le prochain rapport du Global Carbon Project (www.globalcarbonproject.org) devrait être publié avant la COP-28 (11-22 Novembre 2024). La base SOCAT apporte aussi des informations précieuses sur le système des carbonates océaniques ; en effet, une conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH), qui est maintenant bien observé dans toutes les zones océaniques, en particulier via la base SOCAT et dont les impacts sur les écosystèmes marins restent à évaluer (figure 3).

 

Figure 3. Exemple de climatologie du pH dans l’océan de surface et de son évolution au cours du temps. Résultats obtenus via un modèle neuronal contraint avec la base SOCAT (modèle CMEMS-FFNN-LSCE, Chau et al., 2024). La diminution de pH, de l’ordre de -0.017 par décennie sur 1985-2021, témoigne de l’acidification des océans due à l’augmentation de CO2 anthropique.

 

Le laboratoire LOCEAN de l’IPSL alimente régulièrement cette base (observatoires SNO/OISO, PIRATA, SSS-CO2), contribue au contrôle de qualité des données, et participe à la coordination des groupes SOCAT (océans Atlantique Tropical, Indien et Austral). Le projet SOCAT est coordonné par Dorothee Bakker (Université d’East Anglia, Royaume-Uni). Il a été soutenu par des programmes internationaux (SOLAS, IMBER, IOCCP) et nombreux instituts nationaux. Il faut aussi noter que le travail de mise à disposition des données et leur contrôle de qualité est principalement réalisé par les chercheurs volontaires et, à l’avenir, assurer la continuité de ces efforts, nécessitera des moyens durables (Bakker et al., 2023 ; IOCCP, 2024).

 

Contact

Nicolas Metzl, LOCEAN-IPSL •

 


 

Références

Bakker, D. C. E., Pfeil, B., Landa, C. S., Metzl, N., O’Brien, K. M., et al., 2016.: A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, https://doi.org/10.5194/essd-8-383-2016

Bakker, D., R. Sanders, A. Collins, M. DeGrandpre, T. Gkritzalis, S. Ibánhez, S. Jones, S. Lauvset, N. Metzl, K. O’Brien,  A. Olsen, U. Schuster, T. Steinhoff, M. Telszewski, B. Tilbrook,  D. Wallace, 2023. Case for SOCAT as an integral part of the value chain advising UNFCCC on ocean CO2 uptake http://www.ioccp.org/images/Gnews/2023_A_Case_for_SOCAT.pdf

Bakker, D. C. E., et al., 2024. SOCAT version 2024 released. Poster available online www.socat.info

Chau, T.-T.-T., Gehlen, M., Metzl, N., and Chevallier, F.: CMEMS-LSCE: a global, 0.25°, monthly reconstruction of the surface ocean carbonate system, Earth Syst. Sci. Data, 16, 121–160, https://doi.org/10.5194/essd-16-121-2024, 2024.

Friedlingstein, P., et al.: Global Carbon Budget 2023, Earth Syst. Sci. Data, 15, 5301–5369, https://doi.org/10.5194/essd-15-5301-2023, 2023.

IOCCP, 2024. Declaration on Operationalising the Surface Ocean Carbon Value Chain. http://www.ioccp.org/images/Gnews/Declaration_on_Operationalising_the_Surface_Ocean_Carbon_Value_Chain.pdf

Lauvset S., K. Currie, N. Metzl, S. Nakaoka, D. Bakker, K. Sullivan, A. Sutton, K. O’Brien and A. Olsen,  2019. SOCAT Quality Control Cookbook For SOCAT version 7. Int. Report. www.socat.info.

Metzl, N., Tilbrook, B., Bakker, D. C. E., Le Quéré, C., Doney, S., Feely, R., Hood, M., Dargaville, R., 2007. Global Changes in Ocean Carbon: Variability and Vulnerability. Eos, Transactions of the American Geophysical Union 88 (28): 286-287. https://doi:10.1029/2007EO280005

Pfeil, B., Olsen, A., Bakker, D. C. E., et al., 2013. A uniform, quality controlled Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 5, 125-143, https://doi:10.5194/essd-5-125-2013

Nicolas Metzl


LOCEAN-IPSL