Campagne Amaryllis-Amagas : Charlotte Skonieczny, paléoclimatologue


Charlotte Skonieczny est paléo-climatologue au Laboratoire GEOPS-IPSL, et pilote le volet de la campagne Amaryllis dédié à l’étude des poussières sahariennes.
Quel est leur impact sur le climat ? Comment agissent-elles comme fertilisant ? C’est à ces questions que les chercheurs vont tenter de répondre. Cette interview a été réalisée par Patrick Chompré.

Patrick Chompré : Quand on parle de poussières sahariennes, de quoi parle-t-on exactement ?

Charlotte Skonieczny (C.S) : Ce sont de fines particules minérales originaires du Sahara et qui peuvent être transportées par les vents sur de très longues distance. Dans notre cas elles et traversent l’océan Atlantique et se déposent à la surface du bassin amazonien. Leur quantité varie selon les saisons, les années et les périodes climatiques. Par exemple, lorsque le Sahara était plus vert, végétalisé, comme il y a environ 8000 ans, moins de poussières étaient alors disponibles. Aujourd’hui et depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, des observatoires situés à la fois sur la côte Ouest-africaine comme au Sénégal et de l’autre côté de l’Atlantique comme à La Barbade, Miami ou encore en Guyane, collectent régulièrement ces apports éoliens, permettant d’en étudier leur variabilité.

 

En quoi ces éléments venus d’Afrique peuvent-ils être importants pour l’Amazonie ?

C.S : Ces poussières sont composées de minéraux et dans ces minéraux il y a des éléments chimiques qui servent de nutriments comme le fer ou le phosphore. La végétation va s’en servir pour croître et se développer. On compare souvent la forêt amazonienne au poumon de notre planète puisqu’elle joue un rôle crucial dans le cycle du carbone. Plus elle reçoit de nutriments, plus elle est capable de se régénérer. Aujourd’hui nous cherchons à savoir comment cette relation poussières-sahariennes/forêt amazonienne a évolué au cours des temps géologiques, en dehors de toutes activités anthropiques, et comment elle évolue aujourd’hui. Notre but est d’améliorer ainsi les projections climatiques, notamment dans le contexte de réchauffement que nous vivons.

 

A-t-on une idée de la tendance actuelle ?

C.S : Les modélisations actuelles semblent montrer qu’avec le réchauffement climatique, le Sahara pourrait être plus humide avec le système de mousson qui risque de s’intensifier. Il pourrait donc y avoir un impact sur les quantités de poussières disponibles. Mais le système climatique n’est pas simple, il y a d’autres paramètres et interactions à inclure. La compréhension de tous ces échanges et variabilités au cours du temps est donc complexe et nous espérons que cette mission pourra apporter des éléments de réponses.

 

Vous êtes paléo-climatologue, vous allez donc vouloir aussi remonter dans le passé et même loin dans le passé !

C.S : Oui, c’est notre objectif et nous espérons récupérer une archive qui nous permettrait de remonter jusqu’à 1 million d’années ! En effet, la différence entre la période actuelle et le passé, c’est que les changements climatiques n’étaient pas affectés par les activités de l’homme. Depuis le début du Quaternaire, il y a environ 2,5 millions d’années, les paramètres orbitaux de la planète (la forme de son orbite autour du soleil, l’inclinaison de son axe de rotation, l’effet toupie qui l’anime) ont oscillé au cours du temps. Ces grandes variations ont ainsi modulé l’énergie solaire reçue à la surface de la Terre modifiant ainsi le climat. Cela a notamment joué sur les quantités de précipitations reçues au niveau du Sahara et finalement sur les émissions de poussières. On trouve donc dans le passé des périodes plus chaudes et plus froides que la nôtre, d’autres qui y ressemblent davantage. Pour essayer de comprendre comment l’environnement a répondu à tous ces changements nous étudions ces différentes périodes ainsi que les périodes de transition. Cela devrait nous permettre d’en tirer des informations nécessaires à la modélisation du climat futur.

 

Pour mener à bien ces recherches, qu’allez-vous faire concrètement à bord du Marion Dufresne ?

C.S : Pour le volet actuel, nous avons installé sur le mat du navire un système de pompage de l’atmosphère afin de récupérer sur des filtres ces poussières qui arrivent du Sahara. Une bonne occasion de “pomper l’air” comme on dit entre nous ! Plus sérieusement, nous disposerons ainsi d’échantillons de poussières sahariennes traversant l’océan et nous les collectons juste avant leur dépôt à la surface de l’océan et du bassin amazonien. Cela nous permettra de les étudier en détails : quantité, taille des particules, composition minéralogique, chimique…
Pour le volet « passé » nous allons chercher un site stratégique au large du bassin amazonien pour prélever une carotte marine – c’est-à-dire un échantillon de l’accumulation des dépôts passés des sédiments sur le sous-sol marin. Pour étudier les apports de poussières sahariennes dans ces sédiments marins, il nous faut trouver une localisation la plus éloignée possible du fleuve Amazone : Avec son débit record, celui-ci “crache” dans l’océan énormément de sédiments dont certains pourraient se confondre avec les poussières. Il faudra donc attendre la toute fin de la mission quand nous serons le plus loin de l’embouchure du fleuve. Ensuite il faudra trouver un site où les apports de particules transportées par les masses d’eaux océaniques sont moindres. Notre stratégie est de prélever la carotte sur un mont sous-marin. En effet, surélevé de quelques mètres un mont est épargné des courants qui balayent le fond de l’océan et qui peuvent transporter des particules sur de très grandes distances. Plusieurs monts sous-marins ont déjà été repérés en amont de la mission, donc après une phase de prospection, il nous faudra choisir celui qui nous semblera le plus adéquat pour évaluer les apports de poussières sahariennes depuis plusieurs milliers d’années !

 

Comment distinguez-vous les poussières qui proviennent du Sahara ?

C.S : Au retour de mission, un travail de longue haleine en laboratoire débutera, avec toute une palette d’outils : On commencera par regarder la taille des poussières, leur composition minéralogique, ce qui nous donnera des indications sur les roches dont elles proviennent, la géologie. Puis nous pourrons étudier leur composition chimique : différents éléments comme l’Aluminium, la Silice, le Fer, le Calcium et bien d’autres qui peuvent être mesurés. On pourra même aller jusqu’à déterminer la composition des isotopes de certains de ces éléments. Ces « signatures » nous permettent de remonter à la zone source de ces poussières, c’est-à-dire à leur provenance géographique.

 

A quelques jours du départ, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

C.S : C’est une mission imaginée depuis 2016… et là nous y sommes enfin, il y a beaucoup d’excitation et d’effervescence : tout doit être prêt, à la fois pour ce qu’il y aura à faire en mer et à la fois pour les autres tâches qui devront continuer de bien fonctionner au laboratoire à terre en notre absence ! Mais j’ai hâte d’y être, vraiment : Si la mission est réussie nous aurons du matériel inédit qui nous occupera sans aucun doute pour plusieurs années !

 

Propos recueillis par Patrick Chompré ()

 

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Source
Amaryllis

Charlotte Skonieczny


Laboratoire GEOPS